par Maxime Combes 18 mars 2020
Les mots ont un sens. « La pandémie à laquelle nous sommes confrontés exigent des mesures plutôt opposées à un temps de guerre » explique l'économiste et chroniqueur de Basta ! Maxime Combes dans cette tribune.
Non, nous ne sommes pas en guerre. Nous sommes en pandémie
« Nous sommes en guerre ». A six reprises, lors de son allocution, Emmanuel Macron a utilisé la même expression, en essayant de prendre un ton martial. L'anaphore voulait marquer les esprits et provoquer un effet de sidération. Avec deux objectifs sous-jacents. L'un sanitaire : s'assurer que les mesures de confinement - mot non prononcé par le président de la République - soient désormais appliquées. L'autre politique : tenter d'instaurer une forme d'union nationale derrière le chef de l'Etat. Le tout également pour faire oublier les mesures contradictoires et les hésitations coupables de ces derniers jours.
Pourtant les mots ont un sens. Et c'est non, mille fois non : nous ne sommes pas en guerre. Nous sommes en pandémie. C'est suffisant, et totalement différent. Aucun État, aucun groupe armé n'a déclaré la guerre à la France, ou à l'Union européenne. Pas plus que la France n'a déclaré la guerre ( article 35 de la Constitution) à un autre État. Le Covid-19 ne se propage pas en raison du feu de ses blindés, de la puissance de son aviation ou de l'habilité de ses généraux, mais en raison des mesures inappropriées, insuffisantes ou trop tardives prises par les pouvoirs publics.
La pandémie à laquelle nous sommes confrontés exigent des mesures plutôt opposées à un temps de guerre
Non, le virus Covid-19 n'est pas un « ennemi, invisible, insaisissable, et qui progresse » comme l'a affirmé Emmanuel Macron ce lundi 16 mars. C'est un virus. Un virus qui se propage au sein d'une population non immunisée, porté par nombre d'entre nous et disséminé en fonction de l'intensité de nos relations sociales. Il est très contagieux, se propage vite et peut avoir des conséquences terribles si rien n'est fait. Mais c'est un virus. Pas une armée. On ne déclare pas la guerre à un virus : on apprend à le connaître, on tente de maîtriser sa vitesse de propagation, on établit sa sérologie, on essaie de trouver un ou des anti-viraux, voire un vaccin. Et, dans l'intervalle, on protège et on soigne celles et ceux qui vont être malades. En un mot, on apprend à vivre avec un virus.
Oui, les mots ont un sens. Nous ne sommes pas en guerre car la pandémie à laquelle nous sommes confrontés exige des mesures plutôt opposées à celles prises en temps de guerre : ralentir l'activité économique plutôt que l'accélérer, mettre au repos forcé une part significative des travailleuses et travailleurs plutôt que les mobiliser pour alimenter un effort de guerre, réduire considérablement les interactions sociales plutôt qu'envoyer toutes les forces vives sur la ligne de front. Quitte à provoquer, disons-le ainsi : rester confiné chez soi, sur son canapé ou dans sa cuisine, n'a strictement rien à voir avec une période de guerre où il faut se protéger des bombes ou des snipers et tenter de survivre.
Il n'est pas question de sacrifier le personnel médical, au contraire, il faut savoir les protéger
Cette référence à la « guerre » convoque par ailleurs un imaginaire viril peuplé d'héroïsme masculin - bien que largement démenti par les faits - et du sacrifice qui n'a pas lieu d'être. Face au coronavirus - et à n'importe quelle pandémie - ce sont les femmes qui sont en première ligne : 88 % des infirmières, 90 % des caissières, 82 % des enseignantes de primaire, 90 % du personnel dans les EHPAD sont des femmes. Sans même parler du personnel de crèche et de garderie mobilisés pour garder les enfants de toutes ces femmes mobilisées en première ligne. Le personnel médical le dit clairement : nous avons besoin de soutien, de matériel médical et d'être reconnus comme des professionnels, pas comme des héros. Il n'est pas question de les sacrifier. Au contraire, il faut savoir les protéger, en prendre soin pour que leurs compétences et leurs capacités puissent être mobilisés sur le long terme.
Non, définitivement, nous ne sommes pas en guerre. Nous sommes face à une pandémie. Et c'est déjà bien assez. Nous ne sommes pas des soldats, mais des citoyennes et citoyens. Nous ne voulons pas être gouvernés comme en temps de guerre. Mais comme en temps de pandémie. Nous n'avons pas d'ennemi. Ni à l'extérieur, ni à l'intérieur des frontières. Confrontés pendant des semaines à l'incurie d'un gouvernement incapable de prononcer un discours clair et des mesures cohérentes entre elles, nous sommes juste des citoyennes et citoyens progressivement en train de comprendre que la meilleure chose à faire est de rester confinés. A devoir apprendre à vivre au ralenti. Ensemble mais sans se rencontrer. A rebours de toutes les exigences de compétitivité et de concurrence qui nous ont été assénées depuis des dizaines d'années.
Instituer la solidarité et le soin comme principes cardinaux, pas les valeurs martiales et belliqueuses
Lutter contre la pandémie du coronavirus n'est pas une guerre car il n'est pas question de sacrifier les plus vulnérables au nom de la raison d'État. Comme celles qui sont en première ligne, il nous faut au contraire les protéger, prendre soin d'eux et d'elles, y compris en se retirant physiquement pour ne pas les contaminer. SDF, migrant.e.s, les plus pauvres et plus précaires sont des nôtres : nous leur devons pleine et entière assistance pour les mettre à l'abri, autant que faire se peut : la réquisition de logements vides n'est plus une option. Lutter contre le coronavirus c'est instituer la solidarité et le soin comme les principes cardinaux de nos vies. La solidarité et le soin. Pas les valeurs martiales et belliqueuses.
Ce principe de solidarité ne devrait d'ailleurs pas avoir de frontière, car le virus n'en a pas : il circule en France parce que nous circulons (trop) dans le pays. Aux mesures nationales, voire nationalistes, brandies ici et là, nous devrions collectivement étendre ce principe de solidarité à l'international et nous assurer que tous les pays, toutes les populations puissent faire face à cette pandémie. Oui, la mobilisation doit être générale : parce qu'une crise sanitaire mondiale l'exige, cette mobilisation doit être généralisée à la planète entière. Pour que pandémie ne rime pas avec inégalités et carnages chez les pauvres. Ou simplement chez les voisins.
Point besoin d'économie de guerre, juste d'arrêter de naviguer à vue
Alors, oui, sans doute faut-il prendre des mesures d'exception pour réorganiser notre système économique autour de quelques fonctions vitales, à commencer par se se nourrir et produire le matériel médical nécessaire. Deux mois après les premières contaminations, il est d'ailleurs incroyable qu'il y ait encore des pénuries de masques pour protéger celles qui sont en première ligne : réorienter, par la réquisition si nécessaire, des moyens de production en ce sens aurait déjà dû être fait. Histoire de ne pas avoir à refuser d'exporter des masques comme l'UE le fait désormais, y compris avec la Serbie qui a pourtant entamé son processus d'adhésion : où est donc la solidarité européenne ?
Point besoin d'économie de guerre pour cela. Juste besoin d'arrêter de naviguer à vue et d'enfin prendre les mesures cohérentes entre elles, fondées sur ce principe de solidarité, qui permettront que chaque population, riche ou pauvre, puisse faire face à la pandémie. La participation consciente et volontaire de l'ensemble de la population aux mesures de confinement nécessaires n'en sera que facilitée. Et la dynamique de l'épidémie d'autant plus facilement brisée. Le monde de demain se joue dans les mesures d'exception d'aujourd'hui.
Maxime Combes, économiste et membre d'Attac.
Photo de une : Emmanuel Macron au Touquet le 15 mars 2020 / © Pedro da Fonseca