grand débat
La conclusion principale tirée par le Premier ministre du « grand débat national » est le ras-le-bol fiscal des Français. Sauf que, sur la fiscalité écologique, les contributeurs ont dit le contraire de ce qu'Édouard Philippe en retient.
Lundi 8 avril, sous la verrière du Grand Palais, Édouard Philippe a tiré sa conclusion du « grand débat national ». Sur la transition écologique, il a fait preuve d'un esprit de concision remarquable : « Les Français ne sont pas climatosceptiques. Changer de comportement, oui. En revanche, ils ne veulent plus que des taxes leur dictent ce qu'ils doivent faire. » Trois phrases et une idée claire : à bas la fiscalité écologique !
Comme dirait Cyrano de Bergerac, « Ah ! Non ! C'est un peu court, jeune homme ! / On pouvait dire... oh ! Dieu !... bien des choses en somme... ». La phrase d'Edouard Philippe résume en effet de façon tronquée ce que les participants au « grand débat national » ont exprimé. Car, même si on peut questionner leur représentativité, la mission du « grand débat » a tout de même dénombré plus d'un million et demi de contributeurs : « 506.000 personnes en ligne, 500.000 environ dans les quelque 10.000 réunions publiques et 500.000 qui se sont exprimés dans les 20.000 cahiers citoyens ouverts en mairie », a détaillé la secrétaire d'État Emmanuelle Wargon lundi dernier. Tout cela constitue donc pas mal de grain, que des instituts et cabinets privés se sont attelés à moudre : Opinion Way pour les contributions en ligne, Roland Berger, Bluenove et Cognito pour les « contributions libres » (cahiers, courriels, et comptes rendus de réunions publiques), Respublica et Missions publiques pour les conférences citoyennes régionales.
Les participants ont été imaginatifs et précis
Et sur la fiscalité écologique, les répondants contredisent le Premier ministre. À la question, posée sur Internet, « Pensez-vous que les taxes sur le diesel et l'essence permettent de modifier les comportements des utilisateurs ? », ils sont 55 % à répondre par la négative. Ce chiffre, répété à plusieurs reprises pendant la restitution au Grand Palais, en cache plusieurs autres : 59 % des contributeurs estiment ainsi que la transition écologique doit être financée par le budget général de l'État et la fiscalité écologique. 69 % pensent que cet effort de financement doit être assuré par tous : entreprises, administrations et particuliers. Et 53 % des répondants jugent qu'il faut taxer les produits importés qui dégradent l'environnement. La synthèse des contributions libres fait apparaître quant à elle une préoccupation récurrente « autour d'un élargissement de l'assiette de la fiscalité écologique », par exemple au transport aérien et maritime.
Quant aux conférences citoyennes, qui ont réuni plus de 1.400 personnes tirées au sort, les participants ont été imaginatifs et précis. Ils ont notamment proposé une « loi fiscale qui détermine un niveau de taxation à l'importation de la production des produits par rapport à des normes écologiques éthiques », ainsi qu'une « éco-partie flottante de la TVA fondée sur des critères d'écoresponsabilité : la distance production-consommation ; le bilan carbone ; la maîtrise production-valorisation des déchets ; le bilan éthique et social » : « Le consommateur sera ainsi amené à payer plus cher les produits ayant un bilan carbone important. »
« Les personnes ne sont pas opposées à la fiscalité écologique, mais elles veulent que ce soit juste, observe Meike Fink, du Réseau Action Climat. Ce n'est pas un "non", mais elles posent une condition d'équité et de cohérence à la mise en place de taxes. » Mme Fink regrette ainsi que le Premier ministre ait éclipsé « le lien entre transition écologique et justice sociale » : « L'unique réponse du gouvernement au sentiment d'injustice fiscale, c'est la baisse des impôts et des dépenses publiques. »
« C'est irresponsable de laisser aux citoyens le soin d'assumer la transformation sociale et écologique seuls, il y a des choix d'investissements et d'orientations politiques à faire »
Même désapprobation du côté de Jean Merckaert, directeur du plaidoyer au Secours catholique : « Il y a un risque d'instrumentalisation du "grand débat" par le gouvernement. » « Le Premier ministre a retenu l'exaspération fiscale et en a déduit une baisse des impôts et des dépenses publiques, alors que les participants ont demandé plus de justice fiscale et de services publics ! » dit-il. Concernant la transition écologique, il dresse le même constat de « partialité et d'interprétation biaisée » : « Édouard Philippe a reconnu l'urgence écologique et le fait qu'on n'est pas à la hauteur des enjeux, note-t-il. Sauf que la conclusion qu'il en tire est surprenante : les gens ne veulent pas plus de politiques publiques, ils veulent des évolutions individuelles et comportementales. »
De fait, sur le site de Matignon, le gouvernement met en avant le chiffre de 86 % des contributeurs en ligne qui « pensent pouvoir contribuer à protéger l'environnement », et en conclut « une volonté d'agir à l'échelle individuelle ». Déjà, en janvier dernier, le ministre de la Transition écologique avait défendu sur Reporterre « l'idée qu'on ne peut pas s'en remettre aux autres » pour effectuer la transition. Le même François de Rugy aurait tenu un discours comparable à Jean Merckaert, expliquant que le recours au diesel ne changerait « que lorsque les consommateurs l'auraient décidé ». Le représentant du Secours catholique voit ainsi dans cette nouvelle orientation « une forme de démission » du politique. « C'est irresponsable de laisser aux citoyens le soin d'assumer la transformation sociale et écologique seuls, il y a des choix d'investissements et d'orientations politiques à faire », estime-t-il.
Cependant, « si le gouvernement confirme cette instrumentalisation du "grand débat" au profit d'un agenda politique décidé de longue date, il va trahir la dernière once de confiance que les personnes étaient prêtes à mettre dans leurs élus, analyse encore M. Merckaert. Il s'agit d'un jeu dangereux. » Les annonces d'Emmanuel Macron, prévues pour la semaine prochaine, seront ainsi décisives. Jeudi 4 avril, les associations ont proposé la mise en place d'un « revenu climat » pour les plus modestes. Le Secours catholique espère également de nouvelles dotations pour la rénovation énergétique, « afin de mettre fin aux 7 millions de passoires thermiques ». Pour sa part, le Réseau Action climat attend des mesures plus ambitieuses sur les transports, qui pourraient être incorporées à la loi Mobilité, actuellement en cours de discussion au Parlement.