16/12/2016 arretsurinfo.ch  14min #122421

 Quand Internet arrive à la croisée des chemins en matière de liberté d'expression

Un guide pour remporter la guerre des médias

Michael Krieger

Alors nous nous battrons dans l'ombre...

La bataille en cours entre les médias indépendants et alternatifs, et les médias de propagande parrainés par le gouvernement d'entreprise, est en pleine effervescence après la victoire de Donald Trump aux élections de 2016. Bien que je ne sois pas un grand fan de Trump, sa victoire a tellement endommagé émotionnellement le statu quo des États-Unis qu'ils ont commencé à attaquer, d'une manière hystérique et imprudente, tous ceux qu'ils accusent d'avoir empêché son Altesse Hillary Clinton de monter sur le trône.

L'escalade de ce combat, que j'ai qualifié de «Guerre des médias» depuis l'été, était facile à prévoir. Comme je l'ai noté dans  l'article intitulé Questionner la santé de Hillary n'est pas de la conspiration :

«En contemplant aujourd'hui le paysage de 2016, je constate des signes émergents que les médias alternatifs ont enfin commencé à prendre le relais des médias de l'héritage traditionnel, quand il s'agit de l'impact et de l'influence. Les médias traditionnels - contrairement à John McCain en 2008 -, avaient décidé que la santé de Hillary Clinton n'était pas un problème et ont choisi de ne pas l'évoquer. Beaucoup dans le monde des médias alternatifs ont pris une position différente et, en raison de l'incapacité des médias traditionnels à informer le public américain depuis des décennies, les médias alternatifs ont conduit cette question en tête des nouvelles. Ça, c'est le pouvoir.

C'est une affaire extrêmement importante, et les médias dominants savent intuitivement ce que cela signifie. Cela signifie une perte totale de légitimité, de prestige et de pouvoir. Tout cela est évidemment bien mérité.

Voici donc la conclusion. 2016 représente le véritable début de ce que j'appellerais la Guerre des Médias. Les médias alternatifs sont maintenant capables de régler le rythme des nouvelles. Les médias traditionnels n'ont maintenant plus d'autre choix que de se battre, et ils le feront. Il vont se défendre, et salement. Cela va devenir très laid, mais au moment où la poussière retombera, je pense qu'une grande partie des médias traditionnels seront abandonnés comme les fossiles de ce qu'ils furent.»

2016 a été l'année où les médias alternatifs indépendants sont passés d'un rôle simplement influent à la possibilité d'affecter le résultat d'une élection présidentielle. Comme cela a été largement commenté, pratiquement tous les journaux de la nation ont soutenu Hillary Clinton pour la présidence. Le fait qu'elle a, malgré tout, perdu a été le plus grand bras d'honneur signifié aux médias - et au statu quo en général - par le public américain depuis au moins une génération.

Alors que de véritables faux sites de nouvelles basés en Macédoine ont certainement recueilli beaucoup de clics - et de revenus - en inventant des histoires ridicules, quiconque pense vraiment que c'est ce qui a conduit à la défaite de Hillary est simplement dans le déni. Nous savons tous que les acteurs décisifs sont les sites Web indépendants qui ont interpellé Hillary, avec des preuves très réelles, la présentant sous l'aspect déplorable d'une menteuse compulsive. Les médias traditionnels le savent, c'est pourquoi ils n'ont pas réellement mis l'accent sur la censure des faux sites d'actualité, mais ont plutôt promu un ordre du jour visant à placer dans la catégorie des fausses nouvelles tout ce qui n'entrait pas dans les perspectives de l'establishment, afin d'éliminer la concurrence et de reprendre la main sur le récit national. Si ceux d'entre nous qui apprécient les médias indépendants veulent contrecarrer ce plan néfaste, ils doivent comprendre pleinement à quoi ces crétins veulent en venir.

À cette fin, je voudrais attirer votre attention sur l'un des meilleurs articles que j'ai lu sur le sujet.  Publié sur Counterpunch et intitulé Manufacturing Normality, voici quelques extraits - assurez-vous de lire tout l'extrait :

Vers la mi-novembre, à la suite de la défaite de Hillary Clinton - c'est-à-dire le début de la fin de la démocratie -, les auto-proclamés Gardiens de la réalité, mieux connus sous le nom de médias système, lancèrent une campagne mondiale de marketing contre le fléau perfide des fausses nouvelles. Cette campagne en est maintenant à un stade fiévreux très avancé. Les médias de l'ensemble de l'empire diffusent quotidiennement des avertissements terrifiants au sujet de la menace imminente et existentielle contre notre liberté, représentée par les fausses nouvelles. Ce n'est pas seulement la diffusion de la désinformation, de la propagande, etc., qui dure depuis des milliers d'années... La vérité elle-même est attaquée. Les fondements même de la réalité sont ébranlés.

Qui est derrière cette menace de fausses nouvelles ? Eh bien, Poutine, naturellement, mais pas seulement Poutine. Cela semble être l'œuvre d'une vaste conspiration de type anti-establishment, virulente, ultra-droitière, ultra-gauchiste, des retraités libertaires, des socialistes en chambre, des Sanderistes, des Corbynistes, des terroristes ontologiques, des normalisateurs fascistes, des dingues ignares de l'anti-globalisme, et le cortège de toute la variété haineuse des anti-Clinton.

Comme je l'ai  suggéré dans les pages précédentes, ce que nous vivons est la pathologisation - ou l'anormalisation - de la dissidence politique, c'est-à-dire la stigmatisation systématique de toutes les formes de non-respect de la réalité vue par le consensus néolibéral. Les distinctions politiques comme gauche et droite disparaissent et sont remplacées par des distinctions impondérables comme normales et anormales, vraies et fausses, réelles et truquées. Ces distinctions ne se prêtent pas à l'argumentation. Elles nous sont offertes comme des vérités axiomatiques, des faits empiriques qu'aucune personne normale ne songerait jamais à contredire.

Aux philosophies politiques concurrentes, l'intelligentsia néolibérale substitue un choix plus simple, normalité ou anomalie. La nature de l'anomalie varie selon ce qui est stigmatisé. Aujourd'hui, c'est Corbyn l'antisémite, demain, ce sera Sanders, le cinglé raciste, ou Trump le candidat mandchou, ou n'importe qui d'autre. Que les diffamations elles-mêmes soient aveugles - et, dans bien des cas, totalement ridicules - dément l'efficacité d'une stratégie plus large, qui est simplement d'anormaliser la cible et ce qu'elle représente. Il ne fait aucune différence que l'on soit couvert de boue comme raciste, ce qui est arrivé à Sanders pendant les primaires, ou comme antisémite, accusation subie par Corbyn, ou fasciste, qualificatif systématique pour Trump, ou marchands de propagande russe, comme Truthout, CounterPunch, Naked Capitalism, et un certain nombre d'autres publications ... le message est qu'ils ne sont, en quelque sorte, pas normaux.

Pourquoi est-ce différent de la diffamation honteuse utilisée par la presse contre les gens depuis l'invention de celle-ci ? Eh bien, attendez, je vais vous le dire. Cela a essentiellement à voir avec les mots, en particulier des oppositions binaires comme réel et faux, normal et anormal, qui n'ont, bien sûr, aucune signification substantielle... leur valeur étant purement tactique. C'est-à-dire qu'ils ne dénotent rien. Ce sont des armes déployées par un groupe dominant pour faire respecter la réalité du consensus. Voilà comment ils sont utilisés pour le moment.

Les oppositions binaires sans signification que l'intelligentsia néolibérale et les médias système s'emploient à substituer aux philosophies politiques opposées traditionnelles, en plus de stigmatiser une diversité de sources d'information et d'idées non conformes, restructurent également notre consensus sur la réalité comme étant devenu un territoire conceptuel dans lequel toute personne pensant, écrivant ou parlant en dehors du courant dominant est considérée comme une sorte de déviant, d'extrémiste, ou toute autre forme de paria social. Encore une fois, peu importe de quel type, car c'est la déviance en soi qui compte.

En fait, l'important est le contraire de la déviance. Parce que c'est ainsi que la normalité est fabriquée. Et comment le consensus sur la réalité dans son ensemble est fabriqué ... et comment le processus de fabrication est caché.

L'explication qui précède crève les yeux. On comprend alors pourquoi il a fallu deux semaines au Washington Post, pour simplement répondre au fait qu'il avait publié un faux article sur les fausses nouvelles. Voici comment le Washington Post «prend ses responsabilités».

Par Craig Timberg, le 24 novembre

Note de l'éditeur : Le 24 novembre, le Washington Post a publié un article au sujet du travail de quatre groupes de chercheurs, qui ont examiné ce qu'ils disent être des efforts de propagande russe pour saper la démocratie et les intérêts de l'Amérique. L'un d'eux était PropOrNot, un groupe qui insiste sur son anonymat, et qui a publié un rapport identifiant 200 sites Web qui, selon lui, font écho, volontairement ou non, à la propagande russe. Un certain nombre de ces sites ont contesté leur inclusion dans cette liste, et certains de ces sites, ainsi que d'autres qui ne sont pas sur la liste, ont publiquement mis en cause la méthodologie et les conclusions du groupe. Le Washington Post, qui ne nomme aucun de ces sites, ne s'engage pas lui-même sur la validité des découvertes de PropOrNot concernant un média quelconque et l'article ne prétend pas non plus à cela. Depuis la publication de notre récit, PropOrNot a supprimé certains sites de sa liste.

Bien que tout à fait pathétique, la note de l'éditeur est tout aussi révélatrice de sa négligence et de son arrogance. L'article était une faute journalistique professionnelle tellement grossière, que le seul acte déontologique honnête du journal eût été de se rétracter complètement et de s'excuser. Pourtant le Washington Post ne l'a pas fait. Pourquoi ?

La raison en est que le journal et ses éditeurs savaient exactement ce qu'ils faisaient, avec la publication et la promotion de ce faux absurde. Bien sûr, ils sont maintenant un peu embarrassés, parce qu'ils ont été interpellés par pratiquement tout le monde, mais l'intention, dès le départ, était de lier à la Russie des sites de médias indépendants qui n'ont absolument aucune connexion avec elle, dans une tentative désespérée de récupérer le récit public via les listes noires et la censure exercée par les entreprises de technologie.

Maintenant que nous savons de quoi ils sont capables, jusqu'à quel point devons-nous nous inquiéter ? Bien que je sois extrêmement optimiste quant à l'avenir des médias décentralisés et indépendants, et à la prolifération des voix individuelles en général, il est tout à fait évident que les gardiens des médias ne lâcheront pas sans combattre. La bonne nouvelle, c'est qu'ils sont sur la défensive, pas nous. Ce sont eux qui se battent à nos conditions, et non l'inverse. Un bon exemple de cela peut être vu dans la façon dont le mème fausses nouvelles a été tourné, avec beaucoup d'efficacité, contre les médias grand public.

C'est lorsque vous êtes désespéré, effrayé et paniqué que vous faites les plus grandes erreurs, et les médias système sont actuellement désespérés, effrayés et paniqués. Comme Napoléon Bonaparte l'aurait dit :

«Ne jamais interrompre votre ennemi quand il fait une erreur.»

Qu'il les ait ou non réellement dits, ces mots sonnent toujours vrai. Nous ne devons pas faire obstacle à l'inévitable autodestruction des anciens médias. Mais nous ne devons pas nous détruire nous-mêmes dans le processus. Nous devons tout d'abord reconnaître qu'il y a une raison pour laquelle les médias indépendants et alternatifs gagnent la bataille des idées. Pour tous les parasites et les mauvais acteurs, l'émergence de l'internet est en effet l'équivalent historique de l'invention de la presse, mais sous stéroïdes.

Seul une élite idiote et auto-satisfaite croit en réalité que les gens les plus intelligents et les plus informés en Amérique sont les experts de la télévision et les journalistes employés par les médias traditionnels. En voyant à l'œuvre une poignée d'entreprises et quelques oligarques, il faudrait être l'imbécile le plus naïf de la terre, pour ne pas comprendre que les médias système sont guidés par des récits bien arrangés et que ces récits ne sont pas dans notre intérêt. Le reste d'entre nous comprend que l'internet a servi de contrepoids nécessaire, et a été une bénédiction incroyable pour les connaissances humaines, la connectivité et le marché des idées. Le fait que certaines personnes ne peuvent pas distinguer la vérité de la fiction n'empêche pas les progrès incroyables réalisés dans la diffusion de l'information décentralisée. Ce sont seulement ceux qui ne veulent pas s'engager dans un débat public sur les questions elles-mêmes, qui veulent censurer les choses. Le reste d'entre nous est plus qu'heureux d'avoir une discussion ouverte.

Beaucoup d'entre nous ont passé des années, sinon des décennies, à construire leur réputation en ligne et nous devrions faire attention de ne pas gaspiller tout ce que nous avons gagné. Il y aura des tentatives de cooptation, explicitement ou autrement. Soyez sur vos gardes. Il y aura des frappes et des tentatives de diffamation. Restez cool et attaquez calmement à partir d'une position de force. Cependant, je crois que la plus grande menace vient du danger toujours présent d'erreurs auto-infligées. Une des raisons pour lesquelles les médias indépendants et alternatifs ont si bien réussi est que le comportement agressif, puéril et propagandiste des médias traditionnels a rendu facile de paraître mieux qu'eux. Nous devons continuer à être meilleurs. En tant que tels, nous devons être plus honnêtes dans nos actions, moins hypocrites dans notre analyse des événements, et juste plus éthique dans l'ensemble. Compte tenu de la concurrence, cela ne devrait pas être difficile.

Une autre façon pour le statu quo de se défendre consiste à attaquer nos moyens de survie financière, ce qui signifie que les lecteurs doivent être prêts, plus que jamais, à faire un don à leurs sites favoris - vous pouvez soutenir Liberty Blitzkrieg ici. L'autre façon sera d'empêcher notre contenu d'apparaître sur les sites des médias sociaux ou les moteurs de recherche, ou quand il apparaît, il viendra avec un avertissement. Si c'est la tactique qu'ils choisissent, il sera relativement facile de se battre.

Il y a dix ans, il aurait été difficile de contrer une telle stratégie, mais pas aujourd'hui. Nous en savons déjà beaucoup trop. Beaucoup d'entre nous atteignent beaucoup de gens, et les gens que nous atteignons sont intelligents et influents. Nous avons déjà suffisamment infiltré et influencé le discours public, donc nous refuser la parole n'est plus une option. Si Facebook ou Google commencent à présenter Liberty Blitzkrieg, Zerohedge, ou Naked Capitalism avec des messages d'avertissement, les gens intelligents comprendront immédiatement de quoi il retourne, ce qui accroîtra leur dégoût.

Permettez-moi de terminer ceci avec un avertissement à Facebook, à Google, et à tous les autres mammouths de la technologie. Vous entrez dans ce combat à vos risques et périls. Toute tentative maladroite de diffamer des sites de médias authentiques et indépendants par le biais de listes noires et de censure, finira par vous nuire plus qu'elle ne nous fera du tort. Dans une tentative désespérée de nous détruire, vous vous détruirez vous-mêmes. Agissez prudemment et soyez du bon côté de l'histoire.

Quant à tous les autres, restez forts. Mes écrits seraient sans importance sans vous. Ce ne sont pas les écrivains des médias alternatifs qui infligeront le dernier coup aux médias traditionnels, ce sera vous, les lecteurs. Nous sommes ensemble et dépendants les uns des autres. Ensemble, nous allons gagner.

En toute Liberté.

Par Michael Krieger - Le 8 décembre 2016 - Libertyblitzkrieg

Pour les articles connexes, voir :

 Obama entre dans les guerres des médias - Pourquoi son attaque récente contre la liberté d'expression est si dangereuse et radicale

 Hillary Clinton entre dans la guerre des médias

 La mort des médias traditionnels

 Libertyblitzkrieg dans la liste du Washington Post des «sites Web de propagande russe»

 Pensées supplémentaires sur les fausses nouvelles, le Washington Post et l'absence de journalisme réel

Traduit par jj pour le  Saker Farncophone

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