L'idée de Facebook de confier le contrôle des informations à des tiers risque d'aboutir à la censure, estime François-Bernard Huyghe, spécialiste de l'information, soulignant que «c'est le travail des médias de démontrer les mensonges».
François-Bernard Huyghe est spécialiste français de l'information et de la stratégie, auteur de très nombreux ouvrages sur le terrorisme et son discours. Il est aussi enseignant à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).
RT France : Le président du Parlement européen, Martin Schulz a déclaré vouloir lutter contre les fausses informations au niveau européen. En Allemagne le gouvernement menace Facebook de lourdes amendes s'ils ne suppriment pas les intox. D'où vient cette nouvelle préoccupation face aux «fake news» ?
François-Bernard Huyghe (F.-B. H.) : Les amendes pour des fausses nouvelles datent de l'apparition de l'humanité. Des philosophes disaient que l'homme est un singe mentant. Dès l'antiquité, il y a eu des fausses nouvelles. Ce qui s'est produit avec les réseaux sociaux, c'est que, comme chacun peut jouer au journaliste ou au découvreur de vérité cachée, il y a évidemment énormément de nouvelles fausses qui circulent sur les réseaux sociaux. Puisque qu'il n'y a pas de contrôle de rédacteurs en chef, ou qu'il n'y a pas de responsabilité, techniquement, n'importe qui peut tricoter une photographie ou simplement en changer la date.
Il y a donc très nettement une opposition entre les manufactures du consentement, comme disait Noam Chomsky
Techniquement on peut parler de plus en plus de nouvelles fausses, ce qui ne vaut pas dire que les médias traditionnels ne disent pas la vérité pour autant. Quelle est l'origine de ces nouvelles fausses ? Il y a de nouvelles partisanes, mais des deux côtés : on le voit avec le conflit en Ukraine, avec le conflit syrien, etc. On trouve des faux des deux côtés, qui pouvaient être à l'origine lancés par des militants ou par des groupes de propagande. Il y a des faux qui sont des canulars, simplement pour le plaisir de faire croire un maximum de gens à la plus grosse des carabistouilles. Il y a même des sites qui ne font que ça : ils font des faux numéros de tel ou tel journal avec des nouvelles incroyables, et, parfois, les gens les prennent au sérieux [..]. Et vous avez aussi des fausses informations qu'on appelle «le clickbait», pour attirer les clicks.
Ce ne sont pas les exemples de mensonges répandus via les télévisons et les journaux qui nous manquent
Effectivement, si vous annoncez la fin du monde où que les deux acteurs les plus célèbres de la planète se sont mariés, vous allez avoir des clicks. Il y a de multiples raisons pour faire des fausses nouvelles sur les réseaux sociaux et il y a aussi de multiples raisons pour mentir dans les médias classiques. On se souvient de la première et de la seconde guerre du Golf et de la guerre de Yougoslavie : ce ne sont pas les exemples de mensonges répandus via les télévisons et les journaux qui nous manquent.
RT France: Pourquoi ce combat contre le mensonge semble-t-il acharné à l'heure actuelle ?
F.-B. H. : Il me semble qu'il faut chercher une incitation un peu plus sociologique. C'est-à-dire qu'une partie des élites médiatiques ou des cercles dirigeants sont, je dirais, presque en état de panique par rapport à des comportements populaires qu'ils appelleront populistes, comme le vote au Brexit, l'élection de Trump, les votes en Autriche, les sondages dans d'autres pays... Il y a donc très nettement une opposition aux manufactures du consentement, comme disait Noam Chomsky - c'est-à-dire à l'opinion des médias dirigeants, des cercles dirigeants, contre les idées dominantes.
De l'autre côté il y a les gens qui votent Brexit ou qui votent Trump, qui votent Le Pen en France. Eux, ils vont plus aller sur les réseaux sociaux où ils auront une version alternative. Evidemment, sur les réseaux sociaux, il y a beaucoup de faux, il y a beaucoup de mensonges, de délires - encore une fois, dans les deux sens. La question qu'on doit se poser c'est : qu'est-ce qu'il vaut mieux - qu'il y a beaucoup de délires et beaucoup de gens qui puissent contrôler les délires et les prouver ou est-ce qu'on veut faire entrer en scène un contrôle où Google et d'autres retireraient les fausses nouvelles ? C'est la proposition de l'Europe. Aux Etats-Unis on attribue beaucoup de responsabilité dans l'élection de Trump à ces fausses nouvelles qui ont été diffusées dans les réseaux sociaux. C'est la tentation de la censure...
On voit très bien que c'est un vieux problème : qui va garder les gardiens ?
RT France : Facebook a décidé de confier le contrôle de ses contenus à des tiers, à des sociétés qui vont repérer des fausses nouvelles. Le problème qui se pose est que certaines de ces sociétés sont financées par George Soros, entre autres. L'impartialité de ces sociétés est donc remise en cause par certains médias. Cette démarche de Facebook, peut-elle effectivement devenir une censure de certains contenus ?
F.-B. H. : Quand on commence à confier à une autorité le droit d'interdire de diffuser certaines informations, moi j'appelle cela la censure. Ce n'est pas la police qui va le faire. Des algorithmes de Google ? Des contrôleurs sur Facebook ? Je ne suis pas persuadé que ça soit un progrès - des groupes qui eux-mêmes peuvent effectivement avoir des intérêts, une idéologie. Les bureaux du vrai, c'est une idée qui ne me réjouit pas beaucoup. Je crois que je préfère un peu d'anarchie, où les mensonges et les vérités se mélangent, et où les citoyens essaient de les distinguer.
En plus, on fait beaucoup de «fact checking», il y a beaucoup de groupes qui dénoncent les désinformations des autres, les légendes, le bruit qui court, les canevas de l'information déformée, etc. On voit très bien que c'est un vieux problème : qui va garder les gardiens ? On va probablement arriver à une situation où dans tous les groupes politiques, dans tous les grands courants d'opinion - les mondialistes, les libéraux, les socio-démocrates - il y aura un système de contrôle qui démontera les mensonges des autres, les fausses informations et les déformations. Pour conclure : l'idée qu'on confie à une organisation le droit de dénoncer le vrai et le faux, ce n'est pas quelque chose qui me rassure, c'est plutôt le travail des médias classiques ou les médias 2.0 de démontrer les mensonges et de les mettre sur la place au public. C'est à chacun de juger.
20 déc. 2016
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Source: francais.rt.com