01/01/2017 arretsurinfo.ch  12min #123019

 Quand Internet arrive à la croisée des chemins en matière de liberté d'expression

Haro sur les « fausses nouvelles » - Novlangue et censure à tous les étages

BIENVENUE EN 1984 ET QUELQUES

C'était dans l'air depuis quelques années déjà, mais la campagne présidentielle américaine et la guerre en Syrie ont placé la lutte contre les fausses nouvelles au centre des préoccupations du moment.

Nous l'avions vu dernièrement avec la Parlement Européen & Censure (lien vidéo) adoptée au Parlement européen le 23 novembre, « visant à contrer la propagande dirigée contre l'Europe par des tiers ». Même s'il est hautement improbable que cette résolution débouche sur une directive contraignante puisque de telles mesures à l'encontre de la liberté de la presse seraient totalement inconstitutionnelles dans n'importe quelle démocratie. Mais peu importe, elle contribue à gonfler le débat, à conférer une pseudo-légitimité à l'idée même de censure, et accessoirement à faire monter la pression sur les acteurs indépendants comme Facebook.

Facebook, la cible

Il n'était pas très difficile à comprendre dès le départ que c'était Facebook, et ses 570 millions d'utilisateurs en Europe et aux États-Unis qui était la cible. Pourquoi ? Parce qu'il concentre une bonne partie du trafic internet et ce sont ses algorithmes qui déterminent quels contenus seront mis en avant. C'est donc une formidable caisse de résonance, en dehors du contrôle des États et des médias dominants.

Ces mêmes États qui savent fort bien qu'ils ne pourraient censurer la presse sans automatiquement avoir le triste privilège de figurer en bonne place, aux côtés de la Chine et quelques autres dictatures, au rang des pays restreignant la liberté de presse.

Fact-Checking ou censure ?

Et si on appelait un chat, un chat ? Dès que l'on accepte que certains articles soient mis en avant et que d'autres soient rendus invisibles, on fait un travail de censeur. Que les raisons soient bonnes ou pas, que les intentions soient pures ou non. On se pose en détenteur de la Vérité, et on sanctionne, on met à l'index (1) ce qui ne cadre pas avec le dogme (2). L'inquisition n'a pas fait autrement.

D'autre part, lorsqu'on regarde de plus près qui sera chargé de cette tâche, et surtout qui financera, on se rend compte qu'ils sont tout, sauf politiquement neutres. Il y a donc des craintes légitimes de retrouver dans un certain nombre de décisions de ces censeurs des éléments de leur propre agenda. C'est celui qui paie les violons qui choisit la musique.

Explication

Facebook, par la voix de son Vice-président en charge des actualités, Adam Mosseri a  fait savoir qu'ils délégueraient le fact-checking à des organismes tiers, ayant adhéré à une  charte relative aux principes de fact-checking international (Poynter's).

Marquer les articles sujets à caution

Nous pensons qu'une meilleure contextualisation est de nature à aider les gens à décider pour eux-mêmes de ce qu'ils peuvent croire et de ce qui peut être partagé. Nous avons démarré un programme de travail avec des organisations tierce spécialisées dans le fact-checking qui sont signataires de la  Charte relative aux principes de fact-checking international (Poynter's / IFCN). Nous nous baserons sur les rapports envoyés par la communauté, ainsi que d'autres signaux pour envoyer ces articles à ces organisations. Si elles identifient un article comme étant un faux, il sera marqué comme étant sujet à caution (disputed), et un lien sera ajouté à l'article, expliquant pourquoi. Les articles ainsi marqués pourraient apparaître plus bas dans le fil d'actualités. (traduction : lvpc).

Note : vous aurez remarqué que le fact checking ne se limitera pas à marquer les articles supposément faux, mais à les classer au trente sixième dessous, autrement dit, de les faire disparaître de votre fil. Donc non seulement on décide de ce qui est vrai, mais dans les faits on décide de ce que vous pouvez voir. Or les deux approches ne vont pas naturellement de pair. On pourrait même imaginer une case à cocher indiquant qu'on souhaite voir ou non les articles controversés.

Du coup on s'aperçoit que l'intention derrière la mesure n'est pas aussi défendable que le discours le laisse entendre : on parle bien de censure, et non, vous n'aurez pas votre mot à dire.

Où le bât blesse

Le problème c'est que l'International Fact-Checking Network qui est lui même un forum au sein de Poynter est largement financé par des  fondations dont il est difficile de croire qu'elle n'ont pas leur propre agenda politique, en l'occurrence favorable au parti démocrate, jugez plutôt :

Donateurs Détails
Arthur M. Blank Family Foundation Businessman américain, co-fondateur de The home depot
Duke Reporters' Lab Fact Checkers -  émanation de Sanford school of public policy. Accessoirement, je me demande comment cette petite organisation qui compte principalement 3 personnes se retrouve donateur de l'IFCN ?
Bill & Melinda Gates Foundation Soutien inconditionnel démocrate et grand donateur à la Fondation Clinton.
Google Soutien sans faille à la candidate démocrate Hillary Clinton.
National Endowment for Democracy ONG principalement financée par le département d'État américain.
SOURCE : WIKIPEDIA
Omidyar Network ONG de Pierre Omidyar (fondateur de Ebay). A collaboré avec l'Open Society Foundations de Soros sur nombre de projets, et a subventionné des organisations tierces via une autre fondation de G. Soros, Tides foundation. Tides est un des plus grands contributeurs aux causes de la gauche US.
 SOURCE : BREITBART
Open Society Foundations Fondation faîtière de  Gorge Soros, le milliardaire à la réputation sulfureuse. Devenu célèbre pour ses activités de spéculation sur les devises et les actions, qui ont marqué l'histoire des bourses de valeurs puis par ses activités de philanthropie.

L'homme de l'ombre derrière un certain nombre de coups d'État et de révolutions en Europe de l'Est, ces dernières années.
Park Foundation ONG fondée par le businessman et magnat des médias américain, Roy H. Park.


Notez qu'en pratique, le fact-checking sera délégué à des journalistes ayant adhéré à l'IFCN. Vous y retrouverez donc... les journalistes des médias dominants (Le Monde, Libé, Figaro, etc). Et il n'est pas totalement interdit de penser qu'ils pousseront les médias dominants au détriment de tous les autres. Une façon comme une autre de fermer le marché à la concurrence, en somme.

C'est quoi une vraie nouvelle ?

La question peut paraître triviale, mais dans les faits, il est parfois difficile, voire impossible de déterminer si une nouvelle est vraie ou fausse parce que ce jugement repose sur l'interprétation.

Paru récemment dans la presse

Mercredi 14 décembre 2016, Le  Sun et le  Daily Mail rapportaient les propos d'un expert en relations internationales du Conseil de l'Europe :

« Les services secrets russes et syriens pourraient encourager des réfugiés en Allemagne à mener des agressions sexuelles planifiées, dans une tentative visant à chasser Angela Merkel du pouvoir. »

Le 19 décembre, Atlantico publiait un  article intitulé « Non, la Russie et la Syrie ne projettent pas d'orchestrer une vague d'attaques sexuelles par des migrants pour déstabiliser l'Europe occidentale »

L'article, disait en substance :

Entre la désinformation, la propagande, ou la faute professionnelle, il n'est pas toujours évident de reconnaître une fausse information.

Mercredi dernier, le site du Daily Mail affirmait que les services secrets russes et syriens prévoyaient d'encourager les migrants arrivés en Allemagne à commettre des agressions sexuelles dans le pays en vue de déstabiliser Angela Merkel, qui brigue un quatrième mandat, citant les propos d'un expert russe de l'ECFR (Conseil européen des relations internationales), Gustav Gressel. Contacté, celui-ci dément et affirme que ses propos ont été sortis de leur contexte, l'ECFR précisant que l'interview donnée par Gustav Gressel à un journal allemand a été reprise, de manière déformée, par le site Breitbart News, puis par le Daily Mail.

Un autre exemple, tout frais du jour

Ce vendredi 30 décembre, Valeurs actuelle publiait :

Moscou répond aux provocations américaines et expulse 35 diplomates

Russie. A son tour Moscou réagit et expulse 35 diplomates américains en réponse aux sanctions décidées par Barack Obama.

Jeudi soir, Barack Obama expulsait hors du territoire américain 35 diplomates russes et fermait deux centres russes présents sur son territoire. Ce vendredi, Moscou réagit et annonce à son tour l'expulsion de 35 diplomates américains.

C'est le ministre russe des affaires étrangères qui l'a annoncé lors d'une intervention télévisée. Il a proposé "au président russe de déclarer persona non grata 31 diplomates de l'ambassade des Etats-Unis à Moscou et quatre diplomates du Consulat général américain à Saint-Pétersbourg".

Ce que RT démentait le même jour, en mentionnant comme source le Kremlin :

Putin: Russia will not expel anyone in response to US sanctions

The Russian president has rejected a suggestion of the foreign ministry to expel 35 American diplomats in response to a similar move by the US. He said Obama's act was designed to provoke a reaction, but Russia would not take the bait.

"We reserve the right to retaliate, but we will not sink to the level of this irresponsible 'kitchen' diplomacy. We will take further moves on restoring Russian-American relations based on the policies that the administration of President-elect Donald Trump adopts," Russian President Vladimir Putin said in a statement published by the Kremlin  website.

Donc en pareil cas, les fact-checkers auraient censuré l'article de Valeurs Actuelles ? Ou alors on dira qu'il faut distinguer une fausse nouvelle d'une nouvelle erronée ?

Analyse des sources comme base de référence

Là encore, ce qui apparaît plein de bon sens pourrait bien jouer contre les médias dominants eux-mêmes. Sur quelles  sources sont basées la quasi-totalité des informations dans la presse concernant la Syrie, sachant qu'il n'y a pratiquement pas de journalistes indépendants sur place, et que quand il y en a, leur récit ne colle absolument pas à la version qu'on nous sert ?

On peut craindre aussi que la presse dominante dont seront issus les fact-checkers auront naturellement tendance à favoriser les sources « officielles », c'est-à-dire avant tout la presse mainstream, alors que parfois, elle-même se repose sur le récit d'une seule personne.

L'affaire Snowden en est un parfait exemple. À la base c'est le récit d'un seul homme, appuyé par aucune source fiable. Or quand on examine le récit, on comprend vite que beaucoup de choses ne  cadrent pas.

Le dérapage prévisible

On nous dit que les articles controversés seront soumis aux fact-checkers qui les vérifieront un à un... Mais avez-vous la moindre idée de la quantité phénoménale d'articles qui paraissent chaque jour, vrais ou faux ?

Il y a donc gros à parier que devant une telle masse d'information, et le coût faramineux de leur vérification individuelle, le système glissera rapidement vers une censure basée sur les sources plutôt que les contenus. Parce que c'est infiniment plus simple à gérer sur base automatisée.

Et plus que jamais la tentation pour les médias dominants d'exclure la concurrence, en reléguant systématiquement au rebut les articles publiés par la presse alternative ou les médias jugés « propagandistes ».

Une bonne leçon

Cela devrait être une bonne leçon de choses pour chacun d'entre-nous. Depuis des années, Facebook est devenu pour beaucoup la seule source d'information qu'ils consultent, ne se rendant pas compte qu'en se fiant à cette seule source de données, concentrée dans une seule application, contrôlée par une seule entreprise, ils lui offraient un pouvoir exorbitant.

Il est peut-être temps pour nous de diversifier quelque peu nos sources d'information si nous ne voulons pas être victimes de cette censure.

Un pari risqué

Facebook n'a pas d'intérêt à la censure, eux sont payés au clic. Mais en tant qu'entreprise implantée dans la plupart des pays, ils sont susceptible de faire l'objet de pressions politiques, et c'est exactement ce qui est arrivé.

Il s'agit-là d'un pari extrêmement risqué pour Marc Zuckerberg qui est à la tête d'une entreprise dont la rentabilité a toujours été le talon d'Achille. Déléguer cet office à des tiers pour ne pas se poser en juge n'y changera rien, il s'agit bel et bien d'une délégation de pouvoir. Et pas n'importe quel pouvoir.

Philippe Huysmans | 28 décembre 2016

Source:  levilainpetitcanard.be

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