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En plein tollé à propos du meurtre de Khashoggi, l'Onu avertit que des millions de personnes sont menacées de famine au Yémen

Par Bill Van Auken
19 octobre 2018

Les Nations Unies ont averti que la guerre menée par l'Arabie saoudite contre le Yémen et soutenue par les États-Unis menace d'engloutir des millions d'habitants de plus de cette nation appauvrie dans la pire famine que le monde ait connue depuis plus de 100 ans.

Suad, 18 ans, mendie au milieu de la route entre Sana'a, la capitale du Yémen, et Saada avec son neveu de quatre ans, dont la mère a été tuée dans le conflit - Crédit: Giles Clarke / Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA)

Lise Grande, coordinatrice humanitaire de l'ONU pour le Yémen, a déclaré mardi: « Ce dont nous parlons, ce sont littéralement de centaines de milliers, voire de millions de personnes qui pourraient ne pas survivre.»

Le Programme alimentaire mondial (PAM), l'agence onusienne qui coordonne les opérations de secours dans ce pays dévasté, a annoncé qu'il avait été contraint de réviser son estimation d'il y a tout juste deux semaines de 8,5 millions de Yéménites au bord de la famine, déclarant que ce sont 5,6 millions de plus qui sont menacés de famine dû aux effets de la guerre, qui dure depuis trois ans et demi, sur l'infrastructure et l'économie du pays.

«Les choses se détériorent très, très rapidement», a déclaré Grande. «Les implications sont énormes et, à vrai dire, effrayantes. La réalité est qu'il est peut-être trop tard ».

L'avertissement de l'ONU intervient en même temps que grandit la crise à propos de la disparition et de l'assassinat par l'État saoudien du journaliste Jamal Khashoggi au consulat d'Arabie saoudite à Istanbul.

Des politiciens américains démocrates comme républicains ont dénoncé le régime saoudien pour l'assassinat de Khashoggi. Le journaliste s'était exilé aux États-Unis il y a un an, après avoir été pendant des décennies un interlocuteur entre le régime saoudien et les médias occidentaux et avoir travaillé en étroite collaboration avec les services de renseignement saoudiens, notamment en nouant des liens étroits avec Oussama ben Laden pendant la guerre soutenue par la CIA en Afghanistan.

On spécule de plus en plus que la monarchie dirigeante saoudienne considérait Khashoggi comme un «transfuge» susceptible d'avoir des liens avec des agences gouvernementales et de renseignement aux États-Unis, en Turquie et au Qatar, et avait décidé de l'éliminer. L'assassinat impitoyable du journaliste au consulat d'Istanbul est emblématique de la criminalité du principal allié de Washington dans le monde arabe.

La sénatrice républicaine Lindsey Graham, une alliée clé du président américain Donald Trump, a fait mardi une déclaration tonitruante sur Fox News, accusant le prince héritier Mohammed bin Salman, chef d'État de fait de l'Arabie saoudite, d'avoir tué Khashoggi, qui aurait été saisi, torturé et tué au consulat d'Arabie Saoudite à Istanbul le 2 octobre par un escadron de la mort envoyé depuis Riyad. Selon des sources gouvernementales turques, son corps aurait ensuite été scié en morceaux et retiré du consulat.

Se qualifiant de «plus grand défenseur» de l'Arabie saoudite au Sénat américain, Graham s'est distancée de Trump, qui a proposé lundi un alibi absurde pour le régime saoudien, selon lequel Khashoggi aurait pu être victime de «tueurs incontrôlés». Graham a dit que le problème était un «prince héritier voyou».

Tout en menaçant de couper les ventes d'armes à l'Arabie saoudite, Graham n'a fait aucune mention du soutien militaire indispensable fourni par le Pentagone à la guerre de l'Arabie saoudite contre le Yémen, dont le ravitaillement en vol de ses bombardiers, le partage de renseignements et l'aide au choix des cibles, sans oublier une réserve inépuisable d'avions, de bombes et de missiles.

L'administration Trump a défendu sans vergogne le régime saoudien par rapport au meurtre de Khashoggi, illustrant ainsi sa propre criminalité et sa volonté d'utiliser des méthodes similaires contre ses opposants. Trump a avancé l'alibi de « tueurs incontrôlés » qui, selon la presse, pourrait être la version publiquement adoptée par la monarchie saoudienne, affirmant que la mort du journaliste fut causée par un interrogatoire et une opération d'extradition extraordinaire ayant mal tourné, c'est-à-dire que Khashoggi est mort sous la torture. Trump a également insisté que son gouvernement ne cesserait pas ses ventes d'armes, faisant semblant de craindre que cela nuirait aux «emplois américains».

L'envoi du secrétaire d'État américain Mike Pompeo à Riyad mardi visait à consolider un alibi et à limiter les dégâts causés par une éventuelle crise des relations américano-saoudiennes. Le New York Times a rapporté que la principale préoccupation de Washington - relayée par Pompeo au régime saoudien - est que le scandale suite au meurtre de Khashoggi puisse empêcher les États-Unis d'intensifier leurs sanctions économiques contre l'Iran, qui reviennent à un acte de guerre.

Le 5 novembre, des sanctions sont prévues visant à empêcher toute exportation de pétrole iranien et à exclure l'Iran des marchés financiers mondiaux en interdisant à toute entreprise faisant affaire avec l'Iran de mener des activités aux États-Unis et de réaliser ses transactions en dollars.

Washington, qui a formé un axe anti-iranien avec Riyad et Israël, compte sur les Saoudiens pour accroître leur production de pétrole afin de compenser l'arrêt des exportations iraniennes et d'empêcher ainsi une flambée des prix du pétrole et une crise économique mondiale potentielle.

Les membres de la classe dirigeante américaine qui réclament des sanctions américaines pour le meurtre de Khashoggi sont motivés par leur propre politique étrangère et leurs propres objectifs géostratégiques. Parmi ceux-ci il y a la crainte que l'abrogation de l'accord nucléaire iranien par le gouvernement Trump n'ait provoqué un conflit inutile et une distraction face à des affrontements plus pressants avec la Russie et la Chine.

Le cynisme des autres grandes puissances impérialistes par rapport au meurtre de Khashoggi n'a rien à envier à celui de Washington. Elles souhaitent toutes préserver leurs ventes d'armes à l'Arabie saoudite et aux autres régimes de la région.

Des responsables du gouvernement turc ont déclaré à plusieurs reprises être en possession de preuves irréfutables de l'assassinat horrible de Khashoggi, y compris des enregistrements audio. Pourtant, les preuves n'ont pas été rendues publiques et les autorités turques sont en train de procéder à une enquête conjointe avec les Saoudiens. Il est clair qu'Ankara ne veut pas provoquer une confrontation à grande échelle avec Riyad et considère probablement l'affaire Khashoggi comme un éventuel moyen d'obtenir des concessions économiques et politiques de la monarchie saoudienne.

Les gouvernements des émirats pétroliers du Golfe, ainsi que le Liban, l'Égypte et l'Autorité palestinienne, ont tous publié des déclarations se solidarisant avec la monarchie saoudienne.

Dans le même temps, la guerre du Yémen - quasiment ignorée par les médias américains et occidentaux - continue, menaçant de tuer des millions de personnes. La criminalité impudente du meurtre de Khashoggi est inscrite en grand dans les crimes de guerre saoudiens au Yémen, soutenus par les États-Unis, et dont le nombre de victimes innocentes se monte déjà à 50 000, alors que 113 000 enfants sont morts de faim ou de maladies évitables, comme le choléra, qui se sont propagées du à la destruction des infrastructures du pays.

Le manque de carburant a fermé les systèmes d'approvisionnement en eau dans la capitale, Sanaa, à Hodeidah et dans d'autres villes, laissant 2,5 millions de personnes sans accès à de l'eau potable.

La menace de famine généralisée s'est intensifiée à la suite de l'offensive menée par l'Arabie saoudite contre la ville portuaire de Hodeidah sur la mer Rouge, contrôlée par les rebelles houthis qui ont renversé le régime fantoche américano-saoudien du président Abd-Rabbu Mansour Hadi en 2015.

Soixante-dix pour cent des approvisionnements en nourriture et en carburant dont dépend la population yéménite pour survivre passent par le port de Hodeidah qui subit actuellement des bombardements continus depuis l'air, la terre et la mer. Le Programme alimentaire mondial des Nations Unies a annoncé que le siège ne lui permettait pas d'accéder à quelque 51 000 tonnes de blé stocké dans ses installations du port, une quantité de céréales qui pourrait nourrir pendant un mois 3,7 millions de personnes affamées au nord et au centre du Yémen.

Dans l'une des dernières atrocités de masse, un raid aérien saoudien samedi a visé des véhicules à un poste de contrôle encombré à Hodeidah. Il a frappé un bus, faisant 17 morts et 20 blessés, en majorité des femmes et des enfants.

Cette frappe aérienne rappelle deux massacres sanglants similaires en août, au cours desquels des avions de chasse saoudiens ont frappé un autobus scolaire dans un marché bondé tuant 51 personnes dont 40 enfants ainsi qu'un camion transportant des réfugiés fuyant le siège d'Hodeidah, tuant quatre femmes et 22 enfants. Dans tous les cas, les bombes et les missiles utilisés dans ces massacres ont été fournis par les États-Unis et les avions de chasse saoudiens qui les ont largués ont été ravitaillés en carburant par des avions américains.Le secrétaire d'État Pompeo a écarté ces massacres d'un revers de main et a certifié au Congrès américain que l'Arabie saoudite agissait pour atténuer la crise humanitaire au Yémen et protéger les vies civiles. Dire autre chose, comme l'expliquait une note interne du département d'État, aurait «des conséquences négatives sur les futures ventes militaires à l'étranger et les ventes commerciales directes dans la région».

Ce sont les mêmes considérations qui poussent Washington quand il tente de fabriquer un alibi pour le régime saoudien et le prince héritier Salman dans le meurtre brutal de Jamal Khashoggi.

(Article paru en anglais le 17 octobre 2018)

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