12/12/2018 ruptures-presse.fr  5 min #149522

L'exécutif refuse de changer de cap : il ne prend pas la mesure de l'urgence sociale et écologique

Intervention télévisée de Macron le 10 décembre : personne n'a écouté la dernière phrase !

Gilets jaunes : Bruxelles est en embuscade, tant sur les concessions budgétaires que sur le prix (libéralisé) de l'énergie.

Face à l'ampleur du mouvement des gilets jaunes, et à la détermination de ceux qui l'animent, Emmanuel Macron a dû reculer. Très insuffisamment, certes, au regard des exigences de pouvoir d'achat, de justice sociale, et de souveraineté populaire - un terme qui revient désormais régulièrement sur les ronds-points.

Insuffisamment, mais assez, cependant, pour inquiéter la Commission européenne. Le Commissaire à l'Economie, Pierre Moscovici, a mis en garde la France, le 11 décembre. Interrogé par l'AFP, il a indiqué que Bruxelles « suivra avec attention l'impact des annonces faites par le président » français sur le déficit, et étudiera de près les modalités de financement de ces mesures. Le lendemain (le 12), il a précisé dans Le Parisien que dépasser cette limite ne peut être envisageable que « de manière limitée, temporaire, exceptionnelle ».

L'exécutif européen rappelle que le pays reste soumis au Pacte de stabilité

En d'autres termes, l'exécutif européen rappelle que le pays reste soumis au Pacte de stabilité qui impose un déficit budgétaire inférieur à 3% du PIB. Depuis la crise de 2008, la « gouvernance » de la zone euro a même été renforcée - le gouvernement italien en sait quelque chose.

Le prix de l'énergie

Mais l'Union européenne est aussi en embuscade sur un autre point : les prix de l'énergie. Car si le coût de l'essence, du gaz, mais aussi du fuel ne résume pas, et de loin, la colère, il a quand même mis le feu aux poudres dès lors qu'était annoncée pour janvier une taxe écologique visant à imposer d'autres comportements.

Au demeurant, l'énergie reste plus que jamais un poste qui pèse lourd dans le budget de millions de ménages. Pour rouler, bien sûr, mais aussi pour se chauffer. Du coup, après avoir tenté en vain de désamorcer l'exaspération en annulant lesdites taxes environnementales sur les carburants, le gouvernement a également promis de geler le prix du gaz et de l'électricité.

Pour cette dernière cependant, il y a un os. Le premier ministre peut certes différer de quelques mois l'augmentation attendue de 6% du prix du kilowatt. Mais il ne peut pas la bloquer, libre marché oblige. Un tel gel avait déjà été entrepris par un précédent gouvernement, en 2012, mais les concurrents d'EDF avaient attaqué cette décision en justice. Avec succès : en application des règles européennes, le Conseil d'Etat avait condamné cette décision en 2014, ce qui avait contraint l'entreprise nationale à récupérer des arriérés sur les factures des usagers.

« La Commission encourage les Etats membres à établir une feuille de route pour sortir du système des prix administrés »

C'est que, pour Bruxelles, les règles de la concurrence sont sacrées. Le marché de l'électricité a été progressivement déréglementé à partir des années 1990, par des « paquets législatifs » européens successifs. En 2016, la Commission a présenté un projet de directive visant à parachever cette libéralisation (et à y inclure les sources nouvelles de production). Ses attendus sont sans ambiguïté : « la régulation des prix peut limiter le développement d'une concurrence effective, décourager les investissements et l'émergence de nouveaux acteurs. C'est pourquoi (...) la Commission encourage les Etats membres à établir une feuille de route pour sortir du système des prix administrés ».

Les « prix administrés » désignent le système où la puissance publique prend la main face au marché. C'est cette faculté-là qu'il faut éliminer, martèle la Commission, soutenue en cela par l'europarlement. Dans cette assemblée, c'est un député Vert espagnol qui pilote le dossier. Pour ce dernier, Florent Marcellesi, « la position du Parlement européen sur ces tarifs réglementés, qui est aussi celle de mon groupe, c'est qu'il faut en sortir, car ils bloquent le développement des énergies renouvelables ». Encore un bienfait de l'écologie.

Du reste, certaines capitales, dont Paris, essaient en coulisses d'atténuer un tout petit peu cette libéralisation totale, espérant garder un modeste espace pour le tarif réglementé.

Evidemment, si la puissance publique n'a plus la main sur les prix du courant proprement dits, le gouvernement peut choisir de diminuer les taxes sur ce dernier. Ces taxes représentent en l'occurrence plus de 35% de la facture pour l'usager. Il y a bien sûr la TVA, mais aussi ladite « contribution au service public de l'électricité » (CSPE), qui assure notamment le financement des énergies renouvelables. Utile rappel : la facture d'électricité avait naguère été alourdie au bénéfice des éoliennes ou des panneaux solaires, car le courant ainsi produit revient bien plus cher que le classique (nucléaire, hydraulique...). Qui s'en souvient ?

Là encore, il s'agissait de se conformer aux objectifs définis au niveau européen (« paquet énergie-climat ») visant à diminuer les émissions de gaz carbonique.

Austérité budgétaire imposée, alourdissement des contraintes environnementales, libre concurrence obligatoire : de quelque côté qu'on se tourne, les chemins mènent à Bruxelles.

« Notre seule bataille, c'est pour la France »

Il reste pourtant une lueur d'espoir que seuls les courageux ayant écouté le maître de l'Elysée pérorer jusqu'au bout, le 10 décembre, ont pu déceler. Car qui a prêté attention à la dernière phrase ? « Notre seule bataille, c'est pour la France », a-t-il proclamé sans rire. Lui qui, durant dix-huit mois, de la colline d'Athènes au grand amphithéâtre de la Sorbonne ne cessait de proclamer : notre avenir, c'est la « souveraineté européenne ».

Si Manu avait vraiment opéré ce spectaculaire demi-tour, on pourrait immédiatement sabler le Champagne sur les ronds-points de France et de Navarre. On n'en est hélas pas encore tout à fait là.

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