Je n'ai pas encore écrit un mot que déjà cette lettre me pose question. On se croirait devant une dissertation au lycée, où toute la problématique est dans la manière de poser le sujet. Je veux écrire une lettre aux médias. Mais que veut dire les médias ? On dit les médias comme on dit les politiques, comme d'autres disent les parisiens, les provinciaux, les gens des banlieues.
Quand je dis Vous, médias... je n'oublie pas qu'il y a vous, directeurs de rédactions à la porte inaccessible et vous enquêteurs qui rencontrez tant de portes fermées ; vous qui choisissez et préparez vos sujets, et vous qui lisez des fiches préparées par les attachés d'émission, vous les techniciens qui baillez parfois devant votre console ou derrière votre caméra ; vous les anciens dont le public est déjà conquis, vous les nouveaux qui cherchez à conquérir un nouvel auditoire ; vous qui n'avez que les lucarnes des programmations estivales et espérez un jour être considéré comme digne pour le reste de l'année, vous les stars de l'information à qui tous les grands boulevards audiovisuels sont ouverts ; vous qui êtes envoyés sur le terrain avec quelques heures pour couvrir un sujet, vous les pigistes qui travaillez des semaines et des mois sans espoir de réponse ; grands médias des formats classiques, nouveaux médias qui proposez d'autres angles et d'autres formats, presse dite alternative, médias parisiens ; presse régionale. Vous tous, diseurs du monde, qui devez accepter de vous ranger sous cette désignation, médias, comme d'autres sont appelés intellectuels, habitants des cités ou SDF. Car les étiquettes et les mythes agissent bien dans le réel.
Aux quatre coins de la France, chez les paysans comme chez les cadres supérieurs, chez les ouvriers, les chômeurs, les étudiants, les retraités, j'ai toujours entendu parler des médias. Et vous vous en doutez, à ce terme est associé manipulation, ignorance, bourrage de crâne. Fallait-il attendre la violence et la haine qui s'expriment aujourd'hui envers les journalistes pour s'interroger ?
L'émergence des Gilets Jaunes a posé à nouveau la question de l'information par les réseaux sociaux et des fausses nouvelles. Bien des gens, « dégoûtés des médias » se tournent vers les réseaux sociaux, dont les algorithmes favorisent l'entre-soi. Comme souvent en France, on se retrouve dans une alternative binaire. Moi je ne veux pas avoir à choisir entre une information non vérifiée, non filtrée, hiérarchisée uniquement par le buzz, et une information enfermée dans les cadres actuels de la presse. Je veux me donner le droit d'espérer que de cette crise émerge une remise en question profonde des médias par eux-mêmes. On nous parle de Débat National. Pourquoi ne pas lancer un débat national sur la presse ?
On parle beaucoup du traitement médiatique des Gilets Jaunes: les médias ont-ils trop parlé des GJ, ont-ils été trop complaisants ? Mais vous êtes-vous demandé si vous leur donniez la parole, à ces invisibles, avant qu'ils aillent sur les ronds-points ? Car c'est vous, médias, qui créez les invisibles et les inaudibles, autant que vous créez les stars et les personnalités. S'il faut se mettre un gilet fluo sur le dos pour que vous daignez porter vos regards sur nous, c'est bien que la crise de la représentation touche autant nos institutions politiques que nos médias.
La crise de la représentation est aussi la vôtre
Courtesy of Sarah Roubato
Source: sarahroubato.com
Publication date of original article: 08/02/2019