Première partie (le 1er mai 2019) :
Depuis que Donald Trump est président, les États-Unis ont modifié leur politique : ils sont passé de la "guerre directe" - consistant à envoyer des troupes à l'étranger pour changer un régime - à une "guerre d'étranglement" plus douce et moins coûteuse. Cela ne signifie pas que son administration cessera de menacer d'une intervention militaire les pays qui ne veulent pas se soumettre. Le fameux slogan américain «Toutes les options sont sur la table» continue d'être utilisé pour intimider les pays et les régimes du monde entier. C'est le nouveau style de «diplomatie brutale» de Trump. De fait, il fonde sa politique sur la réduction des dépenses à l'étranger et sur l'argent qu'il extorque aux alliés riches en pétrole du Moyen-Orient, principalement l'Arabie saoudite. On peut se demander si les États-Unis vont tenter de soumettre Téhéran au moyen de cette «diplomatie brutale», ou s'ils vont se livrer à une intervention limitée, similaire au bombardement ciblé sélectif mené par Trump contre la Syrie.
De nombreux analystes pensent qu'une guerre étasuno-israélienne contre l'Iran et le Liban se profile, bien qu'on n'en voie aucun signe de préparation. Des forces pourraient être rapidement mobilisées s'il était décidé de faire la guerre, mais tout porte à croire que ce sera plutôt une guerre non militaire pour la simple raison que la "guerre d'étranglement" étasunienne ne coûte rien à l'establishment étasunien, et qu'elle cadre parfaitement avec les objectifs de son principal allié au Moyen-Orient, Israël. Néanmoins, des lettres menaçantes sont échangées entre les différents camps et ils se préparent tous au pire scénario.
En ce qui concerne l'Iran, le "zéro exportation de pétrole" que les Etats-Unis veulent lui imposer le 1er mai, pourrait bien être une vue de l'esprit. Il ne sera pas facile pour les membres de l'OPEP de compenser les deux millions de barils iraniens de pétrole par jour (sur une production quotidienne totale de 3,45 millions), comme le Président Donald Trump le souhaite. L'objectif des Etats-Unis est de circonscrire l'Iran et de le forcer à venir à la table des négociations pour lui imposer les mesures nécessaires à la sécurité d'Israël au Moyen-Orient. Un objectif qu'aucun pouvoir étasunien n'a réussi à atteindre depuis que la "Révolution islamique" a pris les rênes en Iran en 1979, malgré les sanctions imposées depuis quatre décennies.
L'Iran a des frontières terrestres avec le Pakistan, l'Irak et la Turquie. Il est facile à l'Iran de leur livrer du pétrole brut léger de haute qualité à un prix inférieur à celui du marché. A l'époque de Bush et d'Obama, l'Iran n'a jamais cessé d'exporter son pétrole ni de l'échanger contre des devises ou de l'or, malgré les sanctions.
De plus, la Chine a besoin de ses 650 000 barils par jour. Plusieurs entreprises chinoises proposent des services technologiques et industriels et offrent leur expertise et leurs produits aux Iraniens en échange de pétrole, et ces compagnies ne sont pas prêtes à mettre fin à ce commerce. Rien que cela suffira à faire échouer l'objectif de l'establishment américain de "zéro exportations" - à moins que la Chine n'accepte d'y adhérer, favorisant ainsi ses échanges commerciaux colossaux - ce qui ne signifie pas nécessairement que cet échec conduira à un affrontement militaire.
Le président Trump n'est pas prêt à engager ses forces dans une guerre d'envergure, même s'il a le toupet de demander à l'Arabie Saoudite de la financer. Le président étasunien va peut-être être obligé de se trouver un autre exploit au Moyen-Orient à mettre en avant pendant sa campagne de second mandat en 2020. Cette administration étasunienne ne parviendra probablement pas plus que les précédentes à dompter l'Iran malgré les sanctions sévères qu'il lui a imposées. Elle ne parviendra pas non plus à forcer l'Iran à cesser de soutenir ses partenaires au Moyen-Orient (Liban, Irak, Syrie, Afghanistan et Yémen). Le soutien de l'Iran aux acteurs étatiques et non étatiques de la région est une obligation iranienne qui figure dans de nombreux articles de sa constitution.
De plus, l'Iran n'acceptera jamais d'autoriser l'inspection de son industrie de missiles, ni d'arrêter sa production de missiles, comme l'a demandé l'establishment étasunien. Les missiles de l'Iran sont sa seule arme de dissuasion. Enfin, l'Iran et ses partenaires du Moyen-Orient n'abandonneront pas la cause palestinienne tant que tous les Palestiniens, jusqu'au dernier, n'auront pas décidé de donner toutes leurs terres à Israël. Par conséquent, Trump devrait se contenter - comme exploit de son premier mandat - des "cadeaux" qu'il a fait au Premier ministre Benjamin Netanyahu : Jérusalem et le plateau du Golan syrien occupé.
Dans les années à venir, l'Iran va subir le poids des sanctions sévères imposées par les États-Unis et il sera obligé de réduire ses dépenses et de trouver des moyens d'accroître son autonomie. Il est très probable que Trump réussisse à obtenir un second mandat. Il est tout aussi probable que le prochain président des États-Unis sera comme Trump, et qu'il manifestera la même hostilité que lui à l'égard de l'Iran.
Le bras de fer entre les Etats-Unis et l'Iran ne sera probablement pas réduit tant que Trump sera au pouvoir, tant qu'il ne voudra pas remplir les deux conditions de l'Iran pour la reprise des négociations avec Téhéran: lever les lourdes sanctions imposées à l'Iran. et honorer l'accord nucléaire signé par son prédécesseur Barak Obama. Trump semble incapable d'accepter la fin de l'hégémonie unilatérale américaine sur le monde. Cependant, les États-Unis éviteront toute attaque directement punitive qui conduirait à la fermeture du détroit d'Ormuz, comme l'Iran l'a menacé de façon répétée. Si la situation devenait incontrôlable, il y aurait un risque pour le scénario de 2008, lorsque le prix du baril de pétrole atteindrait 145,93 dollars, voire pire.
Deuxième partie (le 2 mai 2019) :
Bien qu'on ne constate aucuns préparatifs de guerre, les autorités libanaises pensent devoir prendre toutes les précautions nécessaires en vue d'une éventuelle attaque israélienne contre le Liban. Israël n'est pas seul ; cette fois-ci, ses forces bénéficient du soutien militaire illimité de l'administration étasunienne via les forces étasuniennes stationnées en Israël et sur diverses bases du Moyen-Orient. Israël a également le soutien financier de pays du Moyen-Orient, l'Arabie Saoudite notamment, en cas d'une guerre punitive contre les alliés non étatiques de l'Iran (le Hezbollah, ndt). En effet, Israël a envoyé un message sans équivoque aux autorités libanaises pour l'avertir de son intention de bombarder des cibles libanaises qu'il considère comme une menace pour lui. Le Liban a répondu : "La réponse à un bombardement du Liban sera un bombardement similaire en Israël, et nous sommes prêts à faire face à une éventuelle escalade si nous y sommes contraints", a déclaré une source bien informée du pays.
Les Etats-Unis et Israël œuvrent ensemble contre l'Iran et ses alliés/partenaires au Moyen-Orient. Au Liban, les autorités libanaises ont été averties officiellement, par la France, de l'intention d'Israël de bombarder des endroits du Liban où des missiles seraient soi-disant entreposés. Les autorités locales ont répondu : "Le Liban ne déclarera pas la guerre à Israël. Mais si un endroit du Liban est bombardé, un endroit similaire en Israël sera bombardé. Si Israël bombarde plusieurs endroits, le Liban répondra en bombardant un nombre équivalent d'emplacements et d'objectifs. Si Israël intensifie le conflit, le Liban fera de même, et sa réponse pourrait s'étendre au-delà des frontières du Liban car ses alliés n'hésiteront sans doute pas à le rejoindre dans une guerre contre Israël", a déclaré la source.
"L'armée de l'air israélienne a, au Moyen-Orient, la prédominance sur l'armée étasunienne. Les forces étasuniennes ne peuvent offrir que des conseils militaires, du renseignement, des batteries de missiles d'interception, de l'approvisionnement en armes et en munitions, ils peuvent exercer des pressions sur les pays du Moyen-Orient (principalement l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis) afin qu'ils financent une campagne militaire pour mettre à mal les alliés de l'Iran dans la région, et ils peuvent s'assurer que l'ONU ne prenne aucune Résolution contre une éventuelle agression israélienne. Mais pour ce qui est des attaques proprement dites, elles sont normalement menées par l'armée de l'air israélienne", a déclaré la source.
Bien que le leadership des combattants non étatiques au Liban "estime personnellement qu'une guerre est peu probable", "les pires scénarios ont été envisagés par le haut-commandement", comme l'a dit le leader du Hezbollah dans son dernier discours, en rappelant à ses auditeurs "qu'Israël était passé maître en fourberie" (pour déclencher une guerre soudaine).
Plusieurs scénarios de guerre ont été discutés. "Il est peu probable qu'Israël se mette à bombarder les cibles qu'il a en ligne de mire, puis s'arrête, parce que le Liban réagirait en frappant les cibles en Israël qu'il a lui-même en ligne de mire et ses missiles de précision causeraient de gros dégâts à Israël", a confirmé la source.
L'acteur non étatique au Liban dispose de plusieurs types de roquettes et de missiles, estimés par Israël à environ 150 000, et "capables de créer suffisamment de confusion dans les missiles d'interception du Dôme de fer d'Israël pour limiter son efficacité. Il suffirait que 20 à 30 % de ces missiles très puissants et très précis atteignent leurs objectifs. La question est de savoir si Netanyahu est prêt à s'engager dans une guerre longue et destructrice. L'expérience nous dit le contraire, et l'affrontement récent d'Israël avec les Palestiniens à Gaza montre qu'Israël a du mal à soutenir une longue guerre destructrice, quand des missiles peuvent atteindre le cœur de Tel-Aviv, ses aéroports et ses infrastructures", selon la source.
Israël possède les batteries d'interception du "Dôme de fer" pour se défendre contre les roquettes et les missiles lancés depuis Gaza ou le Liban. Il a la "Flèche 3" et la "Flèche 4" pour intercepter les missiles balistiques. Il possède également le système américain "THAAD", le "Barak 8" et le "David's Sling".
Néanmoins, il n'est pas certain qu'Israël soit capable d'intercepter et de détruire des missiles de croisière lancés de différentes parties du Liban. Il n'est pas certain non plus, qu'Israël puisse défendre son pétrole et son gaz offshore et ses ports contre les missiles antinavires avancés "Yakhont", malgré le déploiement du Dôme de fer sur ces plates-formes et sur les navires de protection. Par ailleurs, la Syrie a livré au Liban des missiles antiaériens capables de détruire des hélicoptères ou des avions à réaction à basse ou moyenne altitude. Cela signifie que la marine israélienne ne pourra pas participer à la guerre, ni les hélicoptères israéliens. L'armée de l'air israélienne aura besoin, dans ce cas, de coûteux missiles guidés par laser qu'on peut tirer à haute altitude.
Au cours des années et des guerres précédentes, les combattants libanais se battaient sur un terrain d'opérations de 2000 km², en déployant leurs forces et leurs effectifs pour tirer des missiles et des roquettes contre Israël. Dans une éventuelle guerre à venir, la zone d'opération sera étendue à plus de 6000 km², comprenant la vallée de la Bekaa et la frontière libano-syrienne. Les missiles à longue portée utilisant du combustible solide et munis d'ogives hautement destructrices permettront un rapide déploiement des effectifs au-delà du sud Liban, et l'armée de l'air israélienne aura alors du mal à localiser, attaquer et anéantir leurs positions militaires dans les montagnes et les vallées de tout le pays.
Pour pouvoir faire la différence sur le terrain en cas de guerre, Israël n'aura d'autre choix que d'engager des forces terrestres. L'un des pires scénarios envisagés est celui où Israël enverrait des forces à travers le plateau du Golan, via la ville syrienne Zabadani, jusqu'à la frontière libano-syrienne. Ce scénario était l'un de ceux envisagés pendant la guerre de 2006, mais il ne s'est pas réalisé. Dans un tel cas, Israël pourrait atteindre la frontière libano-syrienne, la fermer, et imposer ses conditions avant de laisser le contrôle de la frontière syrienne à une force des Nations Unies en mesure d'empêcher toute livraison d'armes au Liban à l'avenir. Mais encore une fois, ce n'est ni simple ni sans risque pour Israël de forcer son chemin aussi loin et d'y rester jusqu'à ce qu'une solution politique soit négociée. Les forces d'élite syriennes et leurs alliés leur ont préparé de nombreux pièges sur le chemin. Lorsque des scénarios militaires et des plans sont discutés au grand jour, cela fait savoir aux belligérants que toutes ces possibilités ont été étudiées et prises en compte. Comme il n'y aura plus d'effet de surprise et que les objectifs seront mieux protégés, cela réduit les chances de guerre. Les deux camps sont-ils prêts à montrer leur force sans l'utiliser ?
Certains au Liban pensent qu'Israël n'y est pas prêt. Les responsables militaires israéliens se sont en effet plaints du manque d'empressement du "front intérieur" à aller à la guerre. Les experts militaires pensent qu'aucune population n'est jamais vraiment prête à la guerre, mais il y a un minimum de précautions à prendre pour protéger et alerter la population à l'avance. Israël travaille sur ces mesures et envisage sérieusement la possibilité de délocaliser les colonies et les villages israéliens pour empêcher les pertes humaines, les éventuels tirs croisés, ou les kidnappings. Tout cela coûterait très cher.
Israël pourrait très bien opter pour l'option la moins coûteuse : l'étranglement financier du Liban. Le Hezbollah ne sera sans doute pas sérieusement affecté par la "guerre d'étranglement" étasunienne. Les sanctions américaines contre les dons chiites et les riches hommes d'affaires chiites ont provoqué des dommages périphériques à l'acteur non étatique en privant ses combattants du salaire régulier, des soins gratuits et du cadeau de 200 $ pour chacun entrepreneur et employé au début du Ramadan (6 de mai) qui provenaient de ces riches chiites. Les dons reçus de l'étranger ont été utilisés pour faciliter la vie des militants désireux de se marier ou de meubler leur logement. Ces avantages ont disparu, mais rien d'autre.
L'administration étasunienne et Israël veulent que leurs sanctions fassent souffrir les Libanais dans l'espoir qu'ils accuseront le Hezbollah d'être responsable des sanctions et du manque de soutien financier au pays. Au bout du compte, une guerre militaire est peu probable. Il vaut mieux que les Etats-Unis et Israël s'habituent à cohabiter avec un Liban défendu par un acteur non étatique qui fait partie intégrante de la société libanaise. Il n'y aura alors plus besoin d'en venir aux armes.
Elijah Magnier
Traduction : Dominique Muselet
La source originale de cet article est ejmagnier.com
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