07/06/2019 8 articles reseauinternational.net  7 min #157479

«Génocide des femmes autochtones»: au Canada, un rapport-choc qui divise

par Jérôme Blanchet-Gravel

Au Canada, le rapport tant attendu sur les femmes autochtones disparues et assassinées a enfin été déposé. Commandé par Justin Trudeau en 2016, le rapport fait partie d'un vaste plan de réconciliation nationale. Les commissaires n'ont pas résolu tous les cas de disparition et de meurtres, mais concluent à un génocide. Les explications de Sputnik.

Une grande page d'histoire vient de se tourner au Canada, même si elle ne fait pas tout à fait l'unanimité dans l'opinion publique. Le 3 juin dernier, le rapport sur les femmes autochtones disparues et assassinées a enfin été déposé. Lors d'une grande cérémonie dans la ville de Gatineau, dans l'ouest du Québec, le Premier ministre Trudeau a présenté ses excuses aux Premières Nations. Le rapport de 1200 pages s'inscrit dans la politique de réconciliation initiée par le gouvernement libéral. Une occasion pour Trudeau de redorer son image multiculturelle, après une fin de mandat difficile.

Pour aller de l’avant, il faut faire face aux vérités les plus dures. Et la dure vérité, c'est qu’on a laissé tomber les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées, leurs familles, les survivants, et les personnes LGBTQ et bispirituelles. Ça n’arrivera plus.
«Les vérités relatées dans le cadre de ces audiences racontent l'histoire []... d'actes de génocide perpétrés à l'endroit de femmes, de filles et de personnes 2ELGBTQQIA [issues des minorités sexuelles, ndlr] autochtones. La violence dénoncée tout au long de l'Enquête nationale représente une pratique sociale génocidaire, délibérée et raciale visant les peuples autochtones», peut-on lire dans l'introduction du rapport.

Mandatés en 2016 par Justin Trudeau, les commissaires concluent ainsi à un «génocide», un terme qui ne laisse personne indifférent. Intitulé «Réclamer notre pouvoir et notre place», le rapport est basé sur les témoignages de nombreuses femmes amérindiennes, recueillis un peu partout au pays. On peut y lire que l'État canadien encourage tacitement la violence contre les femmes des Premières Nations:

«On en revient à cette croyance inhérente au système colonial, soit l'assise même de notre État-nation canadien actuel, voulant que les femmes et les filles autochtones soient inférieures, déviantes, dysfonctionnelles, qu'elles doivent être éliminées de cet État-nation; ce faisant, il devient acceptable d'abuser d'elles et de les violenter», est-il écrit à la page 428.

Dans un échange avec Sputnik, le cabinet de la ministre canadienne des Relations Couronne-Autochtones, Carolyn Bennett, a déclaré qu'il était déterminé à mettre fin à cette «tragédie». Le bureau de la ministre accepte aussi l'emploi du terme «génocide»:

«La Commission nationale a présenté son rapport final, ses recommandations et ses conclusions que la tragique violence dont les femmes et filles autochtones ont souffert représente un génocide. Nous avons accepté leur rapport et respectons leurs conclusions. []...

Les actes et les politiques des gouvernements depuis le tout début de notre histoire ont mené à l'extinction des langues, des cultures et des traditions autochtones. Notre travail maintenant, et le travail des autres gouvernements, est de développer un plan d'action national», a répondu à Sputnik Matthew Dillon-Leitch, directeur des communications du cabinet de la ministre Bennett.

Le rapport identifie quatre facteurs favorisant la violence faite aux femmes autochtones: un traumatisme historique, la marginalisation socioéconomique, le maintien du statu quo et «le refus de reconnaître la capacité d'agir et l'expertise des femmes et des personnes autochtones» issues des minorités sexuelles. Ces facteurs seraient tous liés au maintien du «système colonial». Les commissaires exhortent donc le gouvernement à démanteler ce système, lequel serait présent dans les lois, mais aussi dans la mentalité même des Canadiens d'origine européenne.

«Dans leurs descriptions des rencontres, les familles et les survivantes qui ont pris la parole dans le cadre de l'Enquête nationale ont toutes rattaché leurs expériences au colonialisme -sous sa forme historique et moderne- par l'un ou l'autre de quatre grands facteurs. Ceux-ci continuent de recréer les manifestations historiques et contemporaines du colonialisme d'une façon qui mène à une violence accrue», précise le document.

Dans un premier temps, Justin Trudeau a fait bien attention de ne pas utiliser le terme «génocide» pour décrire la problématique. Dans son discours prononcé à Gatineau, jamais ce terme n'a été prononcé par le Premier ministre, bien qu'il ait promis à nouveau d'en faire davantage pour les Premières Nations. Dès le lendemain, sous la pression, il a toutefois reconnu que l'emploi du mot était justifié, ce qui lui a valu des critiques. De célèbres éditorialistes qualifient carrément de «fake news» les conclusions sur le génocide. Le mot controversé se retrouve 122 fois dans le document.

«Imputer au Canada un "plan génocidaire", c'est tout simplement ridicule, hystérique. Une "fake news", comme on dit aujourd'hui. Sauf évidemment si on admet que les mots n'ont plus de sens, qu'on en fait ce qu'on veut, que les mots, comme la vérité, ne soient qu'une pâte à modeler», a écrit l'éditorialiste Michel Hébert dans le Journal de Montréal.

La plupart des Canadiens reconnaissent la situation difficile des Autochtones, mais ce mot reste associé aux pires massacres de l'histoire, ce qui choque une partie de l'opinion publique. Le célèbre général Roméo Dallaire, connu pour son rôle d'observateur durant le génocide du Rwanda, a critiqué l'emploi du terme. Il faut préciser qu'aucune autorité n'a jamais donné l'ordre de s'en prendre aux populations autochtones. Au Canada, la violence faite aux femmes amérindiennes demeure un phénomène obscur. Pour cette raison, les commissaires n'ont pas réussi à faire toute la lumière sur les cas de disparition et de meurtres. Peu d'éclaircissements sont donnés sur ces crimes.

Dans une autre optique, le rapport vient répondre aux demandes du mouvement décolonialiste. Depuis quelques années, des groupes antiracistes prônent une révision en profondeur de l'histoire canadienne en fonction des nouveaux enjeux liés à la diversité. Des groupes plus résolus souhaitent aussi retirer les statues des personnages historiques considérés comme ayant été hostiles aux Amérindiens. Des statues de John A. MacDonald, l'un des pères fondateurs du Canada, sont souvent vandalisées dans les grandes villes. On reproche à MacDonald d'avoir adopté la Loi sur les Indiens et mis en place le système des pensionnats autochtones, deux éléments condamnés dans le rapport.

source: fr.sputniknews.com

 reseauinternational.net

 Commenter

Articles enfants plus récents en premier
3 articles 07/12/2019 wsws.org  7 min #165615

«Génocide des femmes autochtones»: au Canada, un rapport-choc qui divise

Le Tribunal canadien des droits de la personne condamne le traitement réservé par le gouvernement aux enfants autochtones

Par Janet Browning et Roger Jordan
7 décembre 2019

Le Tribunal canadien des droits de la personne (TDP) a sévèrement réprimandé le gouvernement libéral de Justin Trudeau pour son refus de négocier le versement d'une indemnité aux enfants autochtones pauvres et à leurs familles. La critique publique du TDP fait suite à la contestation par les libéraux de la décision du Tribunal selon laquelle le gouvernement doit verser, depuis le 1er janvier 2006, une indemnité de 40.000 $ à chaque enfant vivant dans les réserves, en raison du sous-financement systématique et massif des services de protection de l'enfance dans les réserves par les gouvernements fédéraux successifs.

17/07/2019 mrmondialisation.org  19 min #159275

«Génocide des femmes autochtones»: au Canada, un rapport-choc qui divise

« Génocide Canadien » : enquête sur les femmes autochtones disparues et assassinées

Il aura fallu deux gouvernements et 3 ans de travail pour que l'Enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées au Canada rende enfin ses conclusions. Depuis la colonisation, les Premières Nations, les Inuits et les Métis ont été victimes de discriminations qui font perdurer de fortes inégalités encore aujourd'hui. Une réconciliation entre personnes autochtones et allochtones est-elle toujours possible au Canada ? (crédit photo : Chris Wattie)

22/06/2019 wsws.org  13 min #158128

«Génocide des femmes autochtones»: au Canada, un rapport-choc qui divise

L'enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées présente son rapport final

Par Roger Jordan et Keith Jones
22 juin 2019

L'enquête publique du gouvernement canadien sur les femmes et les filles autochtones assassinées et disparues (ENFFADA) a publié son rapport final le 3 juin.

Fruit d'une enquête de trois ans sur les «causes systémiques de toutes les formes de violence - y compris la violence sexuelle − à l'égard des femmes et des filles autochtones» au Canada, le rapport fait référence à bon nombre des crimes que le capitalisme canadien et l'État canadien ont commis contre les peuples autochtones.

14/06/2019 reseauinternational.net  14 min #157785

«Génocide des femmes autochtones»: au Canada, un rapport-choc qui divise

Femmes amérindiennes assassinées : ce génocide qui embarrasse l'Amérique du Nord

par Margaret Moss

En tant qu'Amérindienne récemment arrivée au Canada, j'ai été attristée de constater que le racisme systémique et insidieux dont sont victimes les femmes et les filles autochtones aux États-Unis se manifeste également de l'autre côté de la frontière. Ma nouvelle résidence provinciale, la Colombie-Britannique, compte la plus forte proportion de femmes et de filles autochtones du Canada assassinées et disparues.

09/06/2019 mondialisation.ca  6 min #157538

«Génocide des femmes autochtones»: au Canada, un rapport-choc qui divise

Génocide autochtone au Canada - Honorer ou trahir

« Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la réaliser ou la trahir. » Frantz Fanon

Que dire sur ce rapport et sur les travaux de la commission des deux dernières années (l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ENFFADA) ? La commission a expérimenté plusieurs défis, tels qu'un mandat trop épars, des démissions multiples et des critiques concernant son manque d'indépendance et de transparence.