Evo Morales a démissionné le 10 novembre 2019. Entre baisse de la pauvreté et lutte contre la mortalité infantile, retour sur le bilan de l'ancien président de la Bolivie.
Une page de l'histoire de la Bolivie s'est tournée le 10 novembre 2019. Sous la pression de l'armée, de la police et d'une partie de la population, le président bolivien Evo Morales s'est résigné à quitter le pouvoir et à démissionner.
L'opposition contestait sa réélection, ayant eu lieu le 21 octobre avec 47% des voix. Soucieux d'apaiser les tensions, il a pourtant proposé à ses opposants la tenue d'un nouveau scrutin, mais il semble que ceux-ci n'aient pas voulu prendre de risques.
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Mais qui est Evo Morales ? Né dans une famille de paysans pauvres amérindiens, il exerce d'abord divers métiers pour gagner sa vie. Parmi ceux-ci : éleveur de lamas, peintre en bâtiment, maçon, boulanger ou encore trompettiste.
Ce n'est qu'ensuite qu'il devient syndicaliste et prend la tête du mouvement des cocaleros, les paysans cultivateurs de coca, assimilés à tort à des trafiquants de drogue. Puis il décide de se lancer en politique et devient député de l'opposition en 1997, après avoir été élu au Parlement avec plus de 70% des voix.
Désireux de prendre le pouvoir, il rejoint en 1999 le parti ouvrier Mouvement vers le socialisme (MAS), d'inspiration bolivarienne, pluri-nationaliste et indigéniste. Sous l'étiquette de ce parti, il échoue à remporter l'élection présidentielle de 2002, ne récoltant que 20% des suffrages. Il est finalement élu président de la Bolivie en 2005, et ce dès le premier tour, avec 53,7% des voix. Premier amérindien à occuper ce poste, il ne cessera tout au long de ses mandats de mettre en avant son identité indigène.
Souhaitant réformer le pays en profondeur, il mène une œuvre modernisatrice, s'assurant de confortables réélections jusqu'en 2019. Durant sa présidence, il renforce le rôle de la compagnie gazière nationale − la Bolivie détient les deuxièmes réserves de gaz d'Amérique du Sud après le Venezuela − au détriment des compagnies privées étrangères. Cette politique nationaliste permet au pays d'engranger de meilleurs revenus tirés de l'exploitation de ses ressources.
Evo Morales, un socialiste du XXIe siècle
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La croissance bolivienne atteint ainsi en 2013 un record historique avec 6,5%, selon RFI, alors que le PIB est multiplié par trois, relève France 24. Dans le même temps, le niveau de vie est multiplié par deux, passant de 1020 dollars en 2005 à 2590 dollars en 2013, selon les statistiques de la Banque mondiale. Enfin, Libération souligne que l'indice de Gini, qui mesure les inégalités, passe de 0,6 à 0,45.
Ces bons résultats économiques permettent à Evo Morales de mener une politique sociale ambitieuse. Souhaitant promouvoir un «socialisme du XXIe siècle», il se rapproche de Lula et de Hugo Chavez.
Sous sa présidence, le salaire minimum est multiplié par trois (avec une augmentation de 13% pour la seule année 2006). Le montant des pensions de retraite augmente, alors que l'âge légal de départ baisse pour atteindre 58 ans. De plus, Evo Morales met un coup d'arrêt aux privatisations mises en place par les gouvernements précédents. En 2016, la Bolivie détient le taux de chômage le plus faible d'Amérique du Sud (4,1% de la population active), relève Telesur. «Evo Morales a permis l'alliance de l'ouvrier, du paysan, de l'Indien et de la classe moyenne urbaine», analyse Claude Le Gouill, chercheur associé au Centre de recherche et de documentation sur l'Amérique latine, cité par Le Monde.
Le budget alloué à la santé, lui, augmente de 173%, devenant l'un des plus importants du sous-continent. Cette politique sanitaire ambitieuse permet à la Bolivie d'éradiquer presque totalement la rougeole, ou encore la rubéole. Sous la présidence de Morales, la mortalité infantile est divisée par deux, alors que la sous-nutrition infantile baisse de 14%, selon l'OMS.
De 13% en 2005, le taux d'analphabétisme passe à 4% en 2008, selon El Mundo, faisant de la Bolivie le troisième pays le moins illettré d'Amérique latine, après Cuba et le Venezuela.
Sur les questions sociétales, Evo Morales se caractérise par un progressisme marqué. La Bolivie devient ainsi le pays latino-américain comptant le plus de femmes au Parlement (52% à l'Assemblée nationale et 47% au Sénat). En 2016, une loi autorise les transgenres à modifier leur nom et sexe à l'état civil, même sans recours à une opération chirurgicale.
L'écologie et le bien-être (buen vivir) sont constamment mis en avant par le président, qui appelle en 2009 à la tenue d'un référendum mondial sur la création d'un «tribunal international climatique de la défense des droits de la Terre-mère».
Evo Morales, un anti-impérialiste devenu la proie des Américains ?
La politique d'Evo Morales suscite toutefois la méfiance des Etats-Unis. Mécontents de voir leurs compagnies gazières défavorisées, les dirigeants américains ne goûtent pas non plus les prises de position géopolitiques du président bolivien. Celui-ci s'oppose notamment à la présence de bases militaires américaines sur son territoire, accusant les Etats-Unis d'occuper militairement le pays sous prétexte de lutter contre le trafic de cocaïne. En 2008, l'ambassadeur des Etats-Unis Philip Goldberg et la DEA (l'équivalent de la brigade des stupéfiants américaine) sont expulsés du pays, accusés d'espionnage et d'opérations de déstabilisation.
De fait, le gouvernement doit faire face en 2008 à une tentative de sécession de la province de Santa Cruz, la plus grande et la plus riche du pays. L'armée bolivienne est mise en alerte, mais Evo Morales se refuse à proclamer l'état de siège. 400 policiers seront envoyés dans la province pour rétablir l'ordre. Néanmoins, la déstabilisation interne de la Bolivie suivra lentement son cours, et finira par emporter le gouvernement en 2019.
Evo Morales organise en effet un référendum en 2016 afin de faire modifier la Constitution, pour lui permettre de briguer un quatrième mandat en 2019. Le président connaît alors son premier échec cuisant. Consultés par référendum, les électeurs rejettent à 51,3 % des suffrages la modification constitutionnelle. Quelques semaines plus tôt, une chaîne de télévision avait opportunément accusé le gouvernement dans une affaire de corruption impliquant une ancienne compagne du chef de l'Etat. Un rapport d'enquête d'une commission mixte finira par blanchir le président de ces accusations, mais il est déjà trop tard.
Après son désaveu électoral, Evo Morales refuse le résultat. En novembre 2017, la justice l'autorise finalement à se porter candidat, au motif que sa candidature relève «de son droit humain». Le président bolivien décide alors de se représenter et remporte l'élection avec 47% des voix. L'opposition l'accuse de fraude et déclenche une série d'émeutes dans les grandes villes du pays. Les villages plus défavorisés, eux, restent fidèles à Morales. Mais, contrairement au Venezuela, la police puis l'armée se retournent contre leur chef et le poussent à la démission.
Le président des Etats-Unis, Donald Trump, s'est depuis réjoui du renversement d'Evo Morales, appelant également la population du Venezuela à se soulever. L'opposant de droite au gouvernement d'Evo Morales et candidat à l'élection présidentielle Carlos Mesa a, lui, exprimé le souhait d'un rapprochement diplomatique avec les Etats-Unis et le Brésil de Jair Bolsonaro.
Peu avant d'être renversé par Augusto Pinochet en 1973, Salvador Allende déclara, lors d'un discours devant les Nations Unies en 1972 : «Nous combattons des forces de l'ombre, sans drapeau, avec des armes puissantes, postées dans des zones d'influence directe. Nous sommes des pays potentiellement riches, mais nous vivons dans la pauvreté. Nous courons après les aides et les crédits alors que nous sommes de grands exportateurs de capitaux. C'est le paradoxe classique du système capitaliste». Il est alors applaudi par l'assistance, et signe son arrêt de mort.
Evo Morales s'est-il opposé à ces mêmes «forces de l'ombre» et a-t-il été puni pour cela ?
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