Par Bill Van Auken
19 novembre 2019
Alors que les manifestations de masse se poursuivaient dans la capitale La Paz et dans tout le pays, les dirigeants du Mouvement vers le socialisme (MAS), parti du président bolivien évincé Evo Morales, ont entamé des discussions de crise avec les représentants du régime putschiste qui l'ont renversé.
L'objectif déclaré de ces discussions - pour lesquelles la hiérarchie catholique, qui a soutenu le coup d'État, l'ambassadeur de l'Union européenne, qui a refusé de le condamner, et un envoyé des Nations Unies fraîchement nommé agissent comme médiateurs - est de parvenir à la «pacification» de la Bolivie.
Ce n'est pas une mince tâche alors que des dizaines de milliers de travailleurs, de paysans, d'autochtones et de jeunes ont continué à affluer à La Paz pour une cinquième journée consécutive vendredi, assiégeant les quartiers généraux de l'exécutif et de la législature du gouvernement bolivien. Les manifestations et les affrontements avec les forces de sécurité se sont également poursuivis à Cochabamba et dans d'autres régions de la Bolivie, le pays le plus pauvre d'Amérique du Sud.
Les manifestations ont commencé après que Morales, son vice-président, et le président du Sénat bolivien, un membre du MAS qui était troisième en ligne de succession, aient tous démissionné dimanche dernier après une vague de violence fasciste contre les partisans du MAS et une déclaration télévisée du commandement militaire du pays «suggérant» que Morales se retire. Le lendemain, Morales, le vice-président Álvaro García Linera et d'autres ont fui, trouvant asile au Mexique.
La droite bolivienne, soutenue par l'ambassade des États-Unis, a lancé une campagne pour l'éviction de Morales après les élections du 20 octobre, au cours desquelles elle a affirmé que le gouvernement avait commis une fraude. Il ne fait aucun doute que Morales a remporté le plus grand nombre de voix, mais la droite, soutenue par les représentants de l'Organisation des États américains (OEA), a affirmé que les résultats avaient été manipulés pour donner à Morales le pourcentage d'avance dont il avait besoin sur son adversaire de droite, Carlos Mesa, pour éviter un second tour des élections. Aucune preuve d'une telle manipulation n'a été fournie.
La colère contre Morales, qui a passé outre les résultats d'un référendum tenu en 2016 qui lui avait refusé le droit de se présenter pour un autre mandat - après presque 14 ans au pouvoir - a fourni une certaine base populaire à la campagne du coup d'État, en particulier parmi des couches de la classe moyenne bolivienne.
Selon la presse, le soi-disant «dialogue» entre le MAS et le régime putschiste inclut la participation d'Adriana Salvatierra, présidente du Sénat qui a démissionné sous la pression, puis a été refoulée par la police et des voyous de droite lorsqu'elle a tenté de revenir au Parlement, avec d'autres parlementaires du parti.
De l'autre côté, il y a Jerjes Justiniano, le ministre de la présidence du gouvernement «intérimaire». Il est aussi l'avocat de Luis Fernando Camacho, un homme d'affaires fasciste et chrétien évangélique qui a supervisé une grande partie de la violence de droite et qui a lancé le coup d'État comme une sainte croisade contre les traditions «sataniques» de la majorité autochtone du pays. Carlos Mesa s'est joint en tant qu'«observateur» avec d'autres figures de la droite bolivienne.
L'objectif principal des pourparlers est d'apaiser les troubles de masse et de préparer le terrain pour de nouvelles élections dans les 90 jours. Les représentants du MAS ont également plaidé pour des garanties que les fonctionnaires du gouvernement Morales ne seront pas persécutés et que le parti sera autorisé à présenter des candidats.
La demande que Morales soit autorisé à retourner en Bolivie et à se présenter aux élections a apparemment été retirée face au veto de la droite. Morales lui-même a déclaré à Reuters au Mexique: «Pour le bien de la démocratie, s'ils ne veulent pas que je participe, je n'ai aucun problème à ne pas participer à de nouvelles élections.»
Jeanine Áñez, la sénatrice de l'opposition de droite peu connue et virulente raciste anti-indigène, qui a été installée de manière inconstitutionnelle comme «président intérimaire» après la destitution de Morales, a déclaré vendredi que s'il devait retourner en Bolivie, il serait poursuivi au pénal pour fraude électorale. En ce qui concerne le MAS, elle a ajouté qu'il appartiendrait aux tribunaux de décider si le parti peut participer à une nouvelle élection.
Cette déclaration était l'une des menaces d'extrême droite proférées par le régime putschiste, qui a affirmé que des journalistes pourraient être arrêtés pour «sédition» et a lancé une chasse aux sorcières contre les Cubains et les Vénézuéliens en Bolivie, notamment en ordonnant l'expulsion de centaines de médecins cubains fournissant des services médicaux aux catégories les plus pauvres de la population.
Contrairement à la réaction combative de la population bolivienne face au régime du coup d'État, le MAS a largement capitulé face à la prise du pouvoir. Après s'être vu interdire l'accès à l'Assemblée législative, les sénateurs et membres du Congrès du MAS - qui détiennent les deux tiers des sièges - ont été autorisés à y retourner jeudi. Ils ont voté pour un nouveau président du Sénat, plutôt que de réintégrer Salvatierra, qui succéderait constitutionnellement à Morales comme président. Ils n'ont pas non plus voté sur la démission de Morales, qu'ils avaient le pouvoir constitutionnel de rejeter et d'annuler.
L'assermentation d'Áñez en tant que «président par intérim» s'est déroulée en présence d'une minorité de législateurs de droite, de l'opposition fasciste menée par Camacho et du commandement militaire, sans base de légalité. Le MAS a accordé à ce président illégitime et marionnette de l'impérialisme américain une reconnaissance de facto.
Cet acquiescement à un coup d'État de droite soutenu par les États-Unis n'est pas une question de lâcheté personnelle, mais plutôt l'expression des intérêts de classe réels que le MAS représente. Malgré sa rhétorique «socialiste», le gouvernement MAS de Morales avait forgé une alliance stratégique avec les sociétés transnationales impliquées dans l'extraction des richesses énergétiques et minières du pays ainsi qu'avec l'oligarchie agricole, utilisant une petite partie de la richesse créée par le boom des matières premières pour fournir une assistance sociale minimale aux masses pauvres de la Bolivie.
L'actuel soulèvement de masse contre le coup d'État en Bolivie constitue une menace croissante pour les intérêts capitalistes. Malgré au moins une douzaine de morts, plus de 500 blessés et des centaines d'autres arrêtés, les protestations ne cessent de croître.
Les blocus de protestation ont pratiquement paralysé la circulation automobile en Bolivie, coinçant des milliers de camions censés acheminer les marchandises vers les villes. Les paysans ont juré qu'ils cesseraient d'envoyer de la nourriture à La Paz et dans d'autres centres urbains. Et surtout, la distribution d'essence, de diesel et de gaz naturel, qui sert à alimenter une grande partie du secteur industriel du pays, a été interrompue alors que l'usine principale du groupe énergétique public, le YPFB, à Senkata, à l'extérieur d'El Alto, a été bloquée par des manifestants. Le gazoduc entre Carrasco et Cochabamba a également été coupé.
La Chambre nationale des industries de Bolivie (CNI) a lancé un appel frénétique vendredi au YPFB pour qu'il «procède de toute urgence à la réparation du gazoduc Carrasco-Cochabamba afin de prévenir une paralysie des activités productives industrielles.»
L'essence et le diesel commencent à manquer à La Paz, tout comme les réserves de nourriture.
La Confédération des entreprises privées de Bolivie (CEPB) a fait une déclaration dans laquelle elle se félicite de l'installation d'Áñez comme «président intérimaire», tout en exigeant que le gouvernement crée «les conditions pour la pacification et la normalisation des activités dans le pays.» Elle a ajouté qu'il était vital que la «sécurité» soit rétablie afin que la Bolivie puisse projeter «l'image d'un pays qui est une bonne destination pour les investissements, tant nationaux qu'étrangers.»
Ces éléments capitalistes demandent que les manifestations de masse soient noyées dans le sang. Jusqu'à présent, les forces de sécurité ne se sont pas montrées capables d'atteindre cet objectif. Dans plusieurs cas, les troupes ont refusé d'exécuter les ordres de réprimer les manifestations.
La soumission de Morales aux diktats du régime putschiste et les négociations de son MAS sur les conditions d'une «transition ordonnée» contribuent à ouvrir la voie au genre de bain de sang que l'oligarchie bolivienne et l'impérialisme américain exigent.
(Article paru en anglais le 16 novembre 2019)