09/02/2020 3 articles reseauinternational.net  8 min #168752

La guerre de Staline contre ses propres troupes (1/2)

article en 3 pages

Le sort tragique des prisonniers de guerre soviétiques en Allemagne

À l'aube du 22 juin 1941 s'élançait la plus puissante offensive militaire de l'histoire : l'attaque de l'Union soviétique par les forces de l'Axe emmenées par l'Allemagne. Durant les 18 premiers mois de la campagne, près de trois millions de soldats soviétiques ont été fait prisonniers.

Vers la fin du conflit, ils étaient plus de cinq millions à être tombés aux mains des Allemands. La plupart de ces malheureux sont morts en captivité. La raison principale de cet état de fait était la nature très particulière de la guerre sur le front de l'Est avec un afflux exceptionnel de prisonniers, particulièrement durant la première année, de juin 1941 à juin 1942, qui a vu un nombre de prisonniers bien plus élevé que ce qu'il était possible d'héberger dans des conditions acceptables. Mais il y a une autre raison. Comme l'explique le journaliste Russe Teplyakov dans son article ci-dessous, une lourde part de responsabilité pèse sur Staline et sa position inhumaine et inflexible vis-à-vis de ceux qui s'étaient rendus aux Allemands.

Durant la guerre, ces derniers ont fait diverses tentatives au travers des pays neutres ou de la Croix-Rouge pour parvenir à un accord sur le traitement des prisonniers par l'Allemagne et l'URSS. Comme le souligne l'historien britannique Robert Conquest dans son livre Staline: Bourreau des Nations, les Soviétiques ont obstinément refusé de coopérer :

« Quand les Allemands ont approché les Soviétiques par l'intermédiaire de la Suède pour négocier le respect des conventions de Genève sur les prisonniers de guerre, Staline a refusé de donner suite. Les soldats russes aux mains des Allemands étaient donc abandonnés à leur sort, sans aucune protection, même théorique. Plusieurs millions d'entre eux sont morts de malnutrition ou de mauvais traitements.

Est-ce que les Allemands se seraient mieux comportés si Staline avait adhéré aux conventions de Genève (dont l'URSS n'était pas signataire) ? À en juger par leur traitement d'autres « sous-hommes » slaves prisonniers de guerre (tels que les Polonais, même ceux qui se sont rendus après le soulèvement de Varsovie en 1944), il semble que la réponse soit oui. (Staline avait déjà pu faire la démonstration de son comportement vis-à-vis des Polonais fait prisonniers par l'Armée rouge à Katyn et ailleurs). »

Nikolaï Tolstoï, autre historien, affirme quant à lui dans La trahison secrète :

« Hitler en personne avait pressé la Croix-Rouge de procéder à l'inspection des camps de prisonniers soviétiques. Mais un appel à Staline pour l'envoi de colis aux prisonniers reçut une réponse qui clôturait la discussion sur le sujet : « Il n'y a pas de prisonnier de guerre soviétique. Le soldat soviétique se bat jusqu'à la mort. S'il préfère se rendre, il s'exclut automatiquement de la communauté russe. Et nous ne sommes pas intéressés par un service postal au profit des Allemands » »

Étant donnée la situation, les dirigeants Allemands se sont résolus à ne pas mieux traiter les prisonniers soviétiques que les Soviétiques ne traitaient les prisonniers allemands. Comme on peut s'en douter, le traitement des prisonniers par les Soviétiques n'était pas tendre. Sur environ trois millions d'Allemands fait prisonniers par les Soviétiques plus de deux millions sont morts en captivité. Sur les 91 000 Allemands fait prisonniers à Stalingrad, seul 6 000 ont pu revoir un jour leur patrie.

Et comme Teplyakov le précise aussi ici, la « libération » par l'Armée rouge des prisonniers soviétiques qui avaient survécu n'a pas mis fin aux souffrances des infortunés. Ce n'est que récemment que des archives de guerre longtemps passées sous silence ont pu refaire surface, que des langues ont pu se délier et que le fond de l'histoire quant au traitement des prisonniers soviétiques par Staline a pu être connu. Ce n'est qu'en 1989, par exemple, que le sinistre ordre n° 270 du 16 août 1941 de Staline - cité plus bas - a été pour la première fois publié.

Mark Weber

*

Le fils de Staline prisonnier des Allemands

« Qu'y a-t-il de plus terrible dans la guerre ? »

« La captivité » répondent en chœur le maréchal Ivan Bagramyan, Alexandre Pokryshkin, trois fois héros de l'Union soviétique, et Nikolaï Romanov simple soldat qui n'a ni citation ni titre.

« C'est pire que la mort ?» demandais-je à Nikplaï Romanov lors d'un 9 mai [commémoration de la fin de la guerre contre l'Allemagne en 1945]. C'était il y a 25 ans, nous étions attablés devant un verre de vodka amère pour évoquer l'âme de ces Moujiks qui ne reverraient jamais leur village sur les rives de la Volga.

« Bien pire ». « La mort, ça ne concerne que vous, tandis que la captivité, vous n'êtes pas seul à en pâtir... »

À l'époque, en 1965, je n'avais pas ne serait-ce qu'une vague idée de l'étendue de la tragédie qui s'était abattue sur ces millions de soldats, ni encore moins que cette tragédie avait été décidée à quelques mètres de là, par le Service de Régulation Intérieur des travailleurs et des paysans de l'Armée rouge : un soldat soviétique ne doit pas se rendre. S'il le fait, c'est un traître à la patrie.

Combien y en avait-il de ces « traîtres » ?

« Sur l'ensemble des années de guerre », me dit le Colonel Yvan Yaroshenko, chef adjoint des archives centrales du ministère de la défense situé à Podolsk, près de Moscou, « on a compté jusqu'à 32 millions de soldats, sur ces 32 millions, 5 734 528 ont été fait prisonnier par l'ennemi»

Plus tard, j'ai appris où et quand l'Armée rouge avait subi ses plus grosses pertes en termes de prisonniers, c'était lors des batailles suivantes : sur le mois d'août 1941, 323 000 à Bialystok-Minsk, 103 000 à Ouman, 348 000 à Smolensk-Roslavl et 30 000 à Gomel. Puis, en septembre 1941, 35 000 à Demiansk, 665 000 à Kiev, 20 000 à Louga-Leningrad. En octobre 1941, 100 000 à Melitopol, 662 000 à Viazma et, en novembre, 100 000 à Kertch. En mai 1942, il y a encore eu 207 000 prisonniers à Izioum-Kharkov et même en février 1945, en Hongrie, 100 000 soldats ont été fait prisonnier.

Toujours dans ces mêmes archives à Podolsk, on compte 2,5 millions de soldats portés disparus, eux non plus ne sont jamais rentrés à la maison. D'après les experts, deux millions d'entre eux gisent dans les forêts et les marais en Russie, mais 200 000 sont probablement à ajouter à la liste des prisonniers de guerre. Pour preuve ? De temps à autre, une lettre est adressée aux archives de Podolsk de quelque part en Australie ou en Amérique : « J'ai été fait prisonnier, demande confirmation que j'ai participé aux batailles contre le fascisme ».

Ces personnes avaient eu de la chance, elles avaient survécu, mais pour les autres, la majorité, le sort a été autre, c'est ce que montrent les archives Allemandes : 280 000 sont mortes dans les camps, 1 030 157 ont été exécutées en tentant de s'évader ou sont mortes dans les usines ou les mines en Allemagne.

Nombre de nos officiers et hommes du rang sont morts de famine avant même d'arriver au camp, 400 000 pour les seuls mois de novembre et décembre 1941. À comparer à ce qui s'est passé pour les Anglais et les Américains : 235 473 prisonniers sur l'ensemble de la guerre, 8 348 morts. Nos hommes étaient-ils plus faibles ? Pas vraiment. Il y avait une autre raison. Si des millions de soldats sont morts en captivité à l'Ouest, ces hommes ne sont pas tombés victime du seul fascisme, mais aussi du système Stalinien lui-même. Au moins la moitié de ceux qui sont morts de famine auraient pu être sauvés si Staline ne les avait pas qualifié de traîtres et refusé de leur envoyer des colis alimentaires via la Croix-Rouge internationale.

C'est un fait, nous avons décidé d'abandonner les captifs à leur sort. L'Union Soviétique n'était pas signataire de la convention de Genève sur les prisonniers de guerre. Ce refus de la signer était bien dans la nature jésuitique du « petit père des peuples ».

Prisonniers soviétiques en Allemagne abandonnés par la « mère patrie stalinienne »

Du point de vue de Staline, plusieurs dispositions de la convention étaient intrinsèquement incompatibles avec la morale des institutions régissant l'économie du pays « le plus libre du monde ». Cette Convention n'avait manifestement pas songé à garantir les droits des travailleurs prisonniers à un salaire correct, à des jours de congé et à un horaire de travail limité. En outre, elle prévoyait des privilèges pour certaines catégories de prisonniers. Autrement dit, elle manquait d'humanité : difficile d'être plus hypocrite, car, dans le même temps, de quels privilèges bénéficiaient les millions d'internés dans les goulags ? Où étaient les garanties et combien y avait-il de jours de congé ?

En août 1941 Hitler avait autorisé une visite de la Croix-Rouge au camp d'Hammerstadt, réservé aux prisonniers de guerre soviétiques. C'est suite à cette visite qu'il y eut un appel au gouvernement soviétique pour qu'il envoie des colis alimentaires à nos hommes et à nos officiers. « Nous sommes prêts à suivre les dispositions de la convention de Genève », répondit-on à Moscou, « mais envoyer de la nourriture revient, dans la situation actuelle, à faire un cadeau à l'ennemi fasciste ».

Pour les délégués de la Croix-Rouge, cette réponse fut une véritable surprise : ils n'avaient pas dû lire l'ordre du jour de Staline, l'ordre n° 270 signé le 16 août 1941, sinon, ils se seraient rendu compte de toute l'ingénuité de leur proposition et mesuré l'étendue de la haine de Staline pour ceux qui avaient eu le malheur de se retrouver derrière les lignes ennemies.

Peu importe qui, où et pourquoi. Même les morts étaient considérés comme des criminels. « Le lieutenant-général Vladimir Kachalov », pouvait-on lire dans l'ordre, « encerclé avec l'état-major d'un corps d'armée a fait montre d'une grande lâcheté et s'est rendu aux fascistes allemands. L'état-major du corps d'armée a brisé l'encerclement, les unités du corps se sont battues, mais le lieutenant- général Vladimir Kachalov a préféré déserter et se rendre à l'ennemi. »

Le général Vladimir Kachalov avait des excuses, il gisait depuis 12 jours, piégé dans son tank carbonisé dans le village de Starinka près de Smolensk et pouvait donc difficilement s'échapper vers les lignes amies. Mais ce n'était pas une raison suffisante, surtout pour ceux qui avaient besoin de trouver un bouc émissaire à livrer à la vindicte populaire, un ennemi du peuple dont la traîtreuse lâcheté avait une fois de plus contrecarré la volonté du grand chef militaire.

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