Par Thomas Scripps et Laura Tiernan
28 février 2020
Le rédacteur en chef de WikiLeaks, Julian Assange, a émis une protestation de défi devant la cour mercredi. Il s'opposait à l'abus flagrant de ses droits juridiques fondamentaux dans le cadre de la procédure d'extradition engagée contre lui par le gouvernement américain.
Le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, est vu dans une camionnette de prison se rendant au Westminster Magistrates Court à Londres, le vendredi 20 décembre 2019 [Source: AP Photo/Frank Augstein]
Assange s'est exprimé depuis le banc des accusés lors de la troisième journée des audiences d'extradition au tribunal de Belmarsh. On accuse le journaliste, plusieurs fois récompensé, en vertu de la loi sur l'espionnage. Il risque 175 ans de prison pour avoir dénoncé les crimes de guerre, la surveillance illégale de masse et la torture commis par les États-Unis.
Incarcéré à la prison de haute sécurité de Belmarsh pendant près de 12 mois essentiellement en isolement, Assange est détenu en violation du droit international qui interdit la torture et la détention arbitraire. Il est incarcéré à Belmarsh uniquement en détention provisoire.
Au début de la procédure mercredi matin, la juge de district Vanessa Baraitser a informé le tribunal qu'Assange était «sous médicaments» et qu'il pourrait avoir «des difficultés à suivre la procédure». Juste après 14 h, elle a demandé à l'avocat d'Assange, Gareth Peirce, si son client était capable de se concentrer et avait besoin d'une pause.
Se levant du banc des accusés, Assange s'est approché des panneaux de verre pare-balles qui le séparaient du tribunal. En détresse évidente, il a dit à Peirce qu'il était sous la surveillance constante des gardiens de prison: «Je ne peux pas communiquer avec mes avocats ou leur demander des éclaircissements sans que l'autre partie le voie».
«L'autre partie a environ 100 fois plus de contacts avec ses avocats par jour... À quoi bon demander si je peux me concentrer si je ne peux pas participer?»
Assange, qui a lutté pour entendre les procédures pendant une grande partie des trois derniers jours, a déclaré à Peirce: «Je suis autant un participant à ces procédures qu'un spectateur à Wimbledon».
L'intervention d'Assange a provoqué une hostilité non dissimulée de la part de Baraitser. Elle a déclaré qu'Assange n'avait pas le droit de s'adresser au tribunal, sauf s'il témoignait, et a demandé un bref ajournement. À la reprise de la procédure, Edward Fitzgerald QC a indiqué qu'il demanderait à Assange de siéger avec son équipe juridique.
La demande inattendue de Fitzgerald a paralysé Baraitser, qui est apparu comme une marionnette dont les ficelles avaient été coupées. «Elle a demandé à James Lewis QC, après qu'il ait indiqué que l'accusation serait «neutre» par rapport à la demande d'Assange de le faire sortir du banc des accusés. Peut-être pourrait-on le menotter au bureau, a suggéré Lewis.
«Cela me met dans une position difficile en ce qui concerne l'évaluation des risques», a déclaré Baraitser à la cour. Fitzgerald a répondu: «Nous affirmons respectueusement qu'il est un homme doux de nature intellectuelle et qu'il n'y a pas de raison pour qu'il ne puisse s'asseoir avec nous».
Une plus grande confusion s'ensuivit. Baraitser demandant si la demande de l'équipe de défense équivalait à une demande de caution - une suggestion qui fut immédiatement rejetée par Lewis. Il a dit à Baraitser qu'il s'opposerait sans aucun doute à toute demande de caution. Il aurait besoin de recevoir des instructions à ce sujet pendant la nuit, a-t-il dit au juge.
Cet échange surréaliste a mis en évidence le «no man's land» juridique dans lequel Assange se trouve. Fitzgerald devait présenter une demande au tribunal pour qu'Assange soit retiré du banc des accusés avant 10 h hier.
Ce simulacre de procès scandaleux organisé par les autorités britanniques n'a suscité aucune protestation cette semaine de la part du chef travailliste Jeremy Corbyn ou de son chancelier John McDonnell. Durant la période de Questions au premier ministre mercredi, Corbyn s'est concentré sur la réponse du gouvernement aux inondations britanniques. Il n'a rien dit sur le sort du prisonnier politique le plus célèbre du monde qui est en train d'être décidé à seize kilomètres de là.
Après une brève prise de position contre l'extradition, McDonnell a déclaré la semaine dernière que les travaillistes seraient limités par la règle du «sub judice» (du fait que le procès soit toujours en cours) s'ils veulent soulever la question du sort d'Assange. C'est une excuse pratique de lâcheté et de duplicité politique. S'il avait choisi de le faire, Corbyn aurait pu s'élever contre le traitement brutal infligé à Assange tous les jours de la semaine et exiger sa libération immédiate, quelles qu'en soient les conséquences.
Mercredi, les arguments juridiques ont porté sur le traité d'extradition entre le Royaume-Uni et les États-Unis. L'équipe de défense d'Assange a fait valoir que les 17 accusations portées contre lui en vertu de la loi sur l'espionnage (et une accusation distincte de criminalité informatique) étaient des «délits politiques purs».
Fitzgerald a déclaré à la cour: «Il s'agit de la politique à Guantanamo, de la politique dans la guerre en Irak, de la politique dans la guerre en Afghanistan, de la perte de vies civiles, de la torture et des crimes de guerre».
L'article 4 du traité d'extradition anglo-américain stipule que «l'extradition n'est pas accordée si l'infraction pour laquelle l'extradition est demandée est une infraction politique». Elle devrait donc interdire l'extradition d'Assange pour les actes d'espionnage allégués.
Cependant, l'accusation affirme que cette disposition spécifique du traité n'est pas incorporée dans le droit anglais, ainsi elle n'est pas pertinente pour la procédure judiciaire. La loi britannique sur l'extradition (2003) a supprimé l'exception relative aux infractions politiques. Le gouvernement travailliste de Tony Blair l'a adopté en même temps qu'une série de lois antidémocratiques de «lutte contre le terrorisme».
Cherchant à faire respecter cette exception, Edward Fitzgerald QC a monté un dossier solide pour la défense. Il fait référence à des siècles de principes juridiques et de normes internationalement reconnues en matière de droits de l'homme.
L'interdiction de l'extradition pour des délits politiques «est considérée dans le monde entier comme une protection fondamentale», a fait valoir Fitzgerald. Elle est «contenue dans tous» les traités d'extradition conclus par les États-Unis avec les démocraties occidentales, y compris le traité anglo-américain ratifié en 2007.
En outre, a déclaré Fitzgerald, «au cas par cas, les tribunaux ont souligné l'importance de respecter les obligations du traité en tant que principe cardinal qui guide l'ensemble du processus d'extradition et la façon dont les tribunaux devraient l'aborder».
Fitzgerald a fait référence à l'article 87 de la loi sur l'extradition (2003). C'était en réponse à l'affirmation de l'accusation selon laquelle ce traité n'a aucun fondement dans le droit national. Ainsi, il ne pourrait conférer aucun droit à Assange. Par contre, selon l'article 87, le juge doit décider si l'extradition d'une personne est compatible avec la Convention européenne des droits de l'homme, adoptée en droit anglais par la loi sur les droits de l'homme (1998). Le traité d'extradition «est le pilier sur lequel s'appuie» l'extradition d'Assange. Ignorer son exception pour les délits politiques était clairement un abus de procédure et constituait donc une détention arbitraire, en violation de l'article 5 de la CEDH.
Fitzgerald a ensuite procédé à un examen approfondi des principes juridiques fondamentaux en jeu. Le droit à la liberté n'est pas seulement le droit à la liberté conformément aux dispositions légales, mais le test plus large: «est-ce non arbitraire ?»
Il a poursuivi en disant que «le droit à une procédure régulière est une expression abrégée qui invoque le concept même d'État de droit et les normes universelles de justice».
Fitzgerald a cité trois cas clés pour faire valoir son point de vue.
Primo, l'affaire «R contre Mullen» (2000), dans laquelle on a invoqué l'abus de procédure avec succès. C'était parce que le comportement des autorités britanniques dans les procédures d'extradition impliquait qu'elles «agissent en violation du droit international public».
Secundo, l'affaire «Thomas contre Baptiste» (2000), où le Privy Council (Conseil privé de la reine) «a estimé que la clause de procédure régulière de la Constitution de Trinidad "invoque le concept de l'État de droit lui-même"» - ce qui permettait aux défendeurs de faire appel à un traité non incorporé dans le droit interne de Trinidad. Fitzgerald a dû expliquer devant un tribunal britannique en 2020, «la loi sur le droit à un procès équitable de la Grande Charte fait toujours partie de notre droit».
Tertio, «Neville Lewis contre le procureur général de la Jamaïque» (2001), qui a estimé que le concept constitutionnel de «protection de la loi» l'emportait sur la dépendance de l'État jamaïcain à l'égard des autorités mêmes qui sont citées par l'accusation dans l'affaire Assange. Le même concept constitutionnel est établi dans le cinquième amendement de la Constitution américaine, qui est la «pierre angulaire des protections constitutionnelles offertes à ses citoyens».
Fitzgerald a conclu que «le rejet simpliste par l'accusation de tout recours aux devoirs de l'État requérant en vertu du droit international public... ignore le fait que l'abus de la compétence de la procédure est là pour protéger contre le mépris de l'État de droit, dont le droit international lui-même fait partie».
Autrement dit, l'accusation cherche à faire appel à une lecture totalement réactionnaire, nationaliste, du droit dans ses grandes lignes - qui repose sur la législation antidémocratique du gouvernement Blair.
La réfutation du procureur James Lewis QC affirme qu'Assange «n'est pas habilité à tirer des droits du traité». Le Parlement avait «expressément abrogé» l'exception pour délit politique avec la loi sur l'extradition (2003) et que par conséquent «l'application de la loi a privé M. Assange de la contestation qu'il souhaitait faire».
Lewis a admis: «Cela peut être légèrement surprenant pour d'autres États étrangers, mais en droit anglais, le traité n'est pas pertinent».
Les audiences se poursuivent.
(Article paru en anglais le 27 février 2020)