21/04/2020 cadtm.org  6 min #172669

Commerce : « Les sanctions qui empêchent les pays d'obtenir des fournitures médicales doivent cesser »

Pour un arrêt des négociations commerciales durant la pandémie

Dans une lettre ouverte (voir document à télécharger ci-dessous) plusieurs centaines d'organisations de la société civile internationale exigent l'arrêt de « toutes les négociations de traités commerciaux et d'investissement pendant l'épidémie de COVID-19 » et que la priorité soit donnée à « l'accès aux fournitures médicales et au sauvetage de vies ».

Alors que la pandémie de Covid-19 bat son plein, les États multiplient les mesures d'exception, y compris commerciales, pour tenter d'y faire face. Pour les chantres de la mondialisation néolibérale, cela ne doit toutefois pas se faire au détriment des règles qui la sous-tendent. Au contraire même, la crise du Covid pourrait être l'occasion d'en approfondir encore la portée.

Dans cette optique, dès le 30 mars, les dirigeants du G20 se sont engagés à ce que « les mesures d'urgence conçues pour faire face au COVID-19, si elles sont jugées nécessaires, doivent être ciblées, proportionnées, transparentes et temporaires, et... ne pas créer d'obstacles inutiles au commerce ou de perturbations des chaînes d'approvisionnement mondiales, tout en étant conformes aux règles de l'OMC » [1].

Dans la foulée, une semaine plus tard, le secrétaire général de l'OMC, Roberto Azevêdo, fustigeait les États qui « se repliaient sur eux-mêmes au lieu de se concentrer sur la coopération multilatérale pour faire face à la crise mondiale » [2]. Certes, il reconnaissait que les restrictions aux exportations, par exemple, sont autorisées par l'OMC en cas de crise sanitaire, mais il craignait que ces mesures ne fassent finalement pire que bien, notamment en mettant à mal les chaînes de production mondiales. Or, selon lui, le commerce est non seulement indispensable dans la lutte actuelle contre le virus, mais il le sera également pour la relance qui suivra. D'où la nécessité de l'entraver le moins possible à court terme, tout en travaillant déjà à son approfondissement à moyen-long terme.

Des négociations clés se poursuivent en pleine pandémie

C'est dans ce contexte que des négociations commerciales sensibles ont continué d'avoir lieu malgré la pandémie. Rien qu'à l'OMC, c'est le cas des négociations sur les subventions à la pêche, sur les disciplines relatives à la réglementation intérieure ou encore sur la facilitation des investissements. Même les discussions encore plus controversées sur le « commerce électronique » [3] semblent se poursuivre [4]. Le 27 mars dernier, on apprenait également qu'un groupe d'États emmenés par l'Union européenne s'était finalement mis d'accord pour instituer un mécanisme d'appel destiné à contourner le blocage par les États-Unis du mécanisme normal d'appel de l'OMC, une décision déjà problématique en soi [5], mais dont le timing est probablement encore plus critiquable.

La société civile internationale demande l'arrêt des négociations

Pour une coalition d'associations de la société civile internationale dont fait partie le CETRI, cette situation est inacceptable. Dans une lettre ouverte adressée aux ministères du Commerce et à l'OMC, elles se déclarent « choquées que certaines négociations commerciales se poursuivent encore à l'OMC, ainsi qu'au niveau bilatéral et régional, en utilisant les technologies virtuelles. De nombreux pays en développement et pays les moins avancés ne peuvent pas participer, étant donné la fracture numérique et la nécessité de concentrer toutes les ressources gouvernementales sur cette urgence de santé publique ».

Dans le cas de l'OMC, cet appel apparaît d'autant plus nécessaire que selon une clause de l'organisation, si un État ne s'oppose pas formellement à un élément en négociation, il est présumé y avoir consenti. Devant les critiques que cela a commencé à susciter, Azevêdo a toutefois fini par convoquer une réunion destinée à évaluer comment continuer au mieux les négociations durant la pandémie et à déterminer si des décisions contraignantes pouvaient être adoptées dans ce contexte. La réunion doit se tenir par vidéo-conférence ce vendredi 17 avril, d'où la publication ce même jour de la lettre ouverte pour tenter d'en infléchir le résultat.

Priorité à la lutte contre l'épidémie

Dans ce contexte, toujours selon les signataires, « La première et seule priorité pour les négociateurs commerciaux à l'heure actuelle devrait être de supprimer tous les obstacles, y compris les règles de propriété intellectuelle, dans les accords existants qui empêchent un accès rapide et abordable aux fournitures médicales, telles que les médicaments, les appareils, les diagnostics et les vaccins vitaux, et la capacité des gouvernements à prendre toutes les mesures nécessaires pour faire face à cette crise ».

Autre demande, la levée des « sanctions unilatérales qui empêchent les pays d'obtenir des fournitures médicales essentielles ». Le texte fait évidemment référence ici aux décisions immorales et criminelles des États-Unis et d'Israël, en particulier, de maintenir leurs sanctions vis-à-vis de pays comme l'Iran et le Venezuela pour les États-Unis [6] ou encore des Palestiniens pour Israël [7], alors même que ces décisions risquent d'entraîner des catastrophes humaines et sanitaires considérables.

Pour une refonte plus large du système commercial international

Plus largement, le document en appelle également à « reconnaître que la pandémie du COVID-19 nécessite de repenser fondamentalement les types de règles qui sont négociées dans les accords commerciaux, y compris celles qui peuvent encourager les monopoles et réduire l'accès abordable à toutes les formes de fournitures médicales, et mettre en danger la vie des personnes dans tous les pays du monde. » Cette crise pourrait en effet être l'occasion de rompre une fois pour toute avec la mise en concurrence généralisée qui sous-tend l'architecture économique mondiale actuelle, au bénéfice quasi exclusif d'une poignée d'États et, surtout, de multinationales.

Malheureusement, comme le souligne notamment Florian Horn de la Fondation Rosa Luxemburg, ce n'est pas vraiment la direction privilégiée actuellement par ceux qui dominent le système économique international [8]. Certes, l'ampleur de la crise les pousse à envisager des réorientations significatives - à l'image d'une relocalisation de certains maillons clés des chaînes d'approvisionnement ou encore d'une numérisation accrue des processus de production -, mais dont aucune ne touche aux vices fondamentaux de la mondialisation néolibérale, au contraire. Pour l'auteur, la conclusion est donc évidente : « L'abandon de la doctrine du libre-échange ne sera pas obtenu maintenant ou à l'avenir par une conversion miraculeuse de ceux qui en bénéficient actuellement, mais seulement lorsqu'il y aura une pression irrésistible en ce sens de la part de larges pans de la société ».


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Notes

[1] g20.org

[2]  insidetrade.com

[3] Sur ce point, lire :  monde-diplomatique.fr

[4]  insidetrade.com

[5]  citizen.typepad.com.

[6]  theguardian.com

[7]  alencontre.org.

[8]  rosalux.eu.

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