La première conclusion sur la consultation publique que nous venons de vivre (voir article lié) est qu'elle ressemble à un embrayage qui patine.
La force vive est la motivation. Il en résulte une multitude de propositions. On en extrait une synthèse qui n'a statistiquement rien à voir. Les politiciens s'en servent pour faire du clientélisme, faisant de la démocratie un libéralisme basé sur le concept de l'offre et la demande.
Mais si on veut répondre immédiatement à la question initiale, que faire, que changer ? Il suffit de s'attaquer directement au nœud du problème, comment abolir le capitalisme.
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C'est ensuite seulement qu'on pourra revenir sur la problématique restée irrésolue : comment faire fonctionner correctement l'intelligence collective. Après tout, c'est cela qui est promit par la main invisible du marché. C'est donc un fondement de la problématique, et non une méthode de résolution ; puisqu'on a vue comme elle patine.
La méthode d'un système social viable réside dans le paradigme de l'émergence au lieu de celui des "buts à atteindre". Les buts objectifs doivent rester des sous-produits des activités menées, et non les seules activités menées. C'est dans le constat global qu'on doit mesurer le succès ou l'échec de la méthode systémique choisie.
Elle doit embarquer avec elle la totalité de l'activité humaine, et non être faite pour une majorité, laissant des minorités se multiplier. Aujourd'hui c'est ce qui s'est passé, les minorités sont les 99%, tandis que les 1% sont considérés comme les seuls spermatozoïdes à avoir atteint l'ovule.
Le paradigme doit être celui de la totalité de l'humanité, et non de ses grands gagnants. C'est ainsi qu'on est arrivés aujourd'hui à une gestion statistique de l'humanité, en faisant des lois qui sont génériques, paresseuses, et dont on espère à chaque fois qu'il y ait le moins de victimes collatérales possible. Non, le système doit être pensé pour tous, pour le bien commun, et de manière intégrale. Personne ne doit être oublié.
C'est comme si on prônait un système de gestion de l'intelligence collective qui aurait été capable de satisfaire 100% des propositions d'une consultation publique. Cela paraît impossible, mais c'est cela qui doit être accompli.
L'astuce est que la consultation publique doit se produire au moment de la commande des transferts de biens. C'est à dire que leur valeur, c'est à dire que ce qui justifie leur transfert ne soit pas monétaire, mais argumentaire.
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Comme je l'ai expliqué antérieurement, la justification des transferts (qui remplace le terme de "transaction" dans un système d'échange de valeurs) est régie (dans ce que j'ai proposé) par la loi. La loi définit différentes classes de justifications, celles qui sont inaliénables, celles qui sont liées à des plans globaux ou locaux, et celles qui relèvent de l'initiative.
Dans un système de justification des transferts, on distingue celles qui répondent à des besoins mesurés concrètement, et celles qui répondent à des attentes ou des promesses faites par la poursuite de plans qui ont été collectivement décidés. Lorsque la justification d'un transfert se situe dans le futur, cela correspond à ce qu'on nomme l'investissement. Dans ce cas la force productive se met, en plein accord, au service de tel ou tel plan. C'est pourquoi on peut distinguer différents plans, globaux ou locaux, de façon à en assouplir la contribution que chacun veut bien y apporter, en fournissant son travail et des biens manufacturés.
En amont, dans la chaîne de fabrication des biens, les producteurs eux n'ont pas les mêmes contraintes. Leurs besoins sont suffisants pour justifier les transferts dont ils bénéficient. Tout cela, les droits, les justifications, les arguments, doivent pouvoir se conjuguer au cas par cas, en mesure de l'échelle de mesure de l'entreprise, de la portée de ses choix, etc.
C'est à la gouvernance populaire que revient la décision de répondre favorablement ou non à des argumentations et des volontés. Là encore, cette décision se conjugue avec des raisons dictées par des lois, qui elles en revanche sont déterministes. Statistiquement, si on parle ainsi, la plus grande majorité des activités humaines est décidée par le peuple, et la justification de ces transferts, c'est à dire de son système de répartition des richesses, est logée dans l'addition de l'intelligence de chacun.
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La mécanique à l'œuvre est simple, il s'agit de concilier numériquement des valeurs qui proviennent de deux sources, celles qui sont rigides, issues d'un calcul, produit par les lois (qui peuvent être modifiées mais cela prend plus de temps) et les décisions rationnelles des comités d'affectation des richesses, qui regroupent des secteurs d'activité.
À l'intérieur de ces comités, dans une deuxième itération, il y a les décisions collectives et les décisions individuelles. Il faut savoir que d'après la loi chacun est libre de contribuer à la collectivité de son choix, c'est d'ailleurs ce qui force celle-ci à agir pour le bien commun. Ainsi, elle aussi, possède une ligne d'action qui est décidée de façon rigide et une ligne d'action qui est laissée à la libre initiative de ses membres.
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Il n'y a pas d'argent mais des scores. Ces scores doivent seulement atteindre un seuil pour déclencher un transfert ou non. Dans toute partie du système social, avant chaque acquisition de biens courants, on interroge le compte mondial, qui procède à une grande somme de calculs, et qui délivre une autorisation ou un refus de transfert.
C'est le même compte qui est interrogé pour toute activité humaine, et ce compte est lui-même alimenté par les capacités qui découlent de cette activité humaine. C'est à dire qu'il est capable de faire preuve d'assez d'intelligence pour prévoir un coup à l'avance les conséquences des transferts qu'il autorise.
C'est seulement dans les cas complexes, les investissements qui nécessitent une argumentation et des débats, que la mécanique de transfert est mise en attente des résultats d'une délibération. Et là encore, cette délibération n'est pas explicitement capable de décider si oui ou non le transfert pourra avoir lieu, il lui est seulement demandé de répondre, en faisant des études solides, à des questions qui elles ensuite sont intégrées dans le calcul de la réponse.
Par exemple on ne demandera pas à un comité d'étude s'il faut ou non autoriser la production de Coca-Cola, on lui demandera, de façon anonyme, quel est l'impact du sucre sur l'organisme. Le comité n'aura qu'une faible conscience ou intérêt pour la marque Coca-Cola. Le résultat de son étude sera intégré au système et ira contribuer à toutes les autres questions qui font intervenir les problèmes liés au sucre.
Et c'est là qu'est l'intelligence de ce système : si un cas de figue exceptionnel fait état d'une injustice due à la façon dont le calcul est produit, alors pourtant qu'il est correct pour la plupart des cas rencontrés - si par exemple un scientifique se voit refuser l'attribution de sucre pour ses expériences - alors il peut saisir le comité et argumenter sa position afin de lever le blocage qui l'empêche de travailler. Ce faisant, comme à chaque fois, en se rendant service à lui-même il rendra service à l'ensemble des dispositions futures qui se trouveraient dans le même cas.
Et inversement, le producteur d'un bien doit avoir une marge de manœuvre laissant libre court à son initiative personne d'autoriser ou non un transfert, au regard des plans servis par celui-ci, et s'ils lui conviennent. Dans ce cas il peut se créer un litige, qui devra être résolu au niveau supérieur de ce qui autorise ou non le transfert.
En définitive les transferts sont présentés par une jauge, avec des champs, l'un qui force l'acceptation, un qui l'interdit strictement, et un qui laisse la décision au libre-arbitre. Ce qui est intéressant pour le système de calcul d'affectation des droits est précisément de pouvoir d'inclure et de prévoir les raisons de chacun, c'est à dire d'avoir une connaissance effective de l'état des lieux, aussi bien sur le plan matériel que sur le plan décisionnel.
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C'est pourquoi l'avenir systémique sera forcément algorithmique. C'est un supercalculateur mondial qui sera en charge, en quelque sorte, de décider de la valeur des biens et des droits de chacun, afin de justifier les transferts, en raison des besoins et des cas de figure. Seul un supercalculateur peut accomplir cette tâche puisqu'il s'agit avec le temps d'additionner une quantité infinie de cas de figure et de situations complexes, qui dépassent allègrement la capacité d'un cerveau humain, même s'ils s'y mettent à plusieurs, et même s'ils sont sérieux et dévoués (et même s'ils portent de jolies cravates).