03/10/2020 les-crises.fr  11 min #179944

Procès Assange Jour 1 : La juge Baraitser refuse d'ajourner l'affaire à janvier

Procès Assange Jour 2 : Un témoin de la défense s'effondre lors du contre-interrogatoire

Source :  Consortium News
Traduit par les lecteurs du site  les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Consortium News suit virtuellement le déroulé du procès de Julian Assange à Old Bailey à Londres. Chaque jour, il publie un compte rendu détaillé de l'audience. L'équipe Les-Crises vous en propose la traduction exclusive.

Deuxième jour de l'audience d'Assange : Les États-Unis tentent de limiter leur accusation d'espionnage à la désignation des informateurs ; un témoin de la défense s'effondre lors du contre-interrogatoire

5h35 EDT : Le tribunal est en session. Les avocats d'Assange demandent à commencer tous les jours à 10h30 afin qu'ils puissent s'entretenir avec Assange. L'avocat Clive Stafford Smith est appelé comme témoin de la défense, mettant ainsi fin au témoignage du professeur Feldstein.

Le deuxième jour de la reprise de l'audience d'extradition d'Assange sur le fond reprendra à 10h BST (British Summer TIme: Heure d'été en Angleterre, NdT), 5h EDT à Londres. Au programme, la poursuite du témoignage de la défense du professeur de journalisme Mark Feldstein, suivi du journaliste Patrick Cockburn et se terminant par le lanceur d'alerte des Pentagone Papers, Daniel Ellsberg.

L'ouverture du tribunal a été retardée de 30 minutes afin que les avocats d'Assange puissent s'entretenir avec leur client.

6h30 EDT : Pause de cinq minutes pendant laquelle Assange s'exprime spontanément au tribunal. Difficile de comprendre ce qu'il a dit, mais il semblait s'opposer à être représenté par un mandataire et à ne pas être autorisé à parler. En colère, la juge Vanessa Baraitser a déclaré qu'elle avait plusieurs options, mais n'en a nommé qu'une : qu'il parle à ses avocats.

Baraitser est revenue de la pause avec un avertissement sévère à l'encontre d'Assange : ne pas interrompre à nouveau la procédure sous peine d'être exclu du tribunal.

L'emportement et la brève pause sont survenues alors que James Lewis QC pour l'accusation était en pleine dispute avec le témoin de la défense Clive Stafford Smith, qui n'acceptait pas l'argument de Lewis selon lequel Assange n'avait pas été accusé de publier des documents classifiés, mais seulement de révéler les noms d'informateurs dans des documents classifiés qu'il avait publiés. Smith, un avocat américain, a déclaré que dans les procès américains, d'autres preuves peuvent être apportées qui ne figurent pas dans un acte d'accusation.

Pendant l'examen direct, l'avocat de la défense Mark Summers a confirmé à Smith à quel point il s'appuyait sur les documents de WikiLeaks pour défendre ses clients à Guantanamo. Smith a déclaré que WikiLeaks était essentiel à la préparation de diverses défenses. Dans un sens, la conduite des États-Unis à l'étranger était mise sur le banc des accusés, car Smith devait détailler les programmes d'assassinat et de torture que les documents de WikiLeaks révélaient.

Lewis a ouvert le contre-interrogatoire en disant à Smith qu'Assange n'était poursuivi pour aucune des publications de WikiLeaks mentionnées dans les témoignages oraux et écrits de Smith.

8h30 EDT : La Cour est en pause déjeuner. La séance du matin s'est terminée par la réorientation du témoin de la défense, Smith.

Lors du contre interrogatoire, l'accusation a tenté d'établir qu'Assange n'était pas accusé pour avoir publié des informations classifiées, mais seulement pour avoir publié les noms d'informateurs, qui se trouvent être dans des documents classifiés.

Il n'y a pas de loi américaine spécifique contre la révélation des noms des informateurs, comme c'est le cas pour les noms des agents secrets du gouvernement, ainsi que les lecteurs peuvent s'en souvenir : affaire Valerie Plame. Mais James Lewis QC pour l'accusation a fait valoir que les noms des informateurs sont des informations de défense nationale et donc protégées par la loi sur l'espionnage.

Il s'agit d'un tour de passe-passe qui témoigne de la façon dont est relaté publiquement le dossier américain. D'une part, Lewis soutient qu'Assange n'est pas accusé de publication, mais seulement de publication de documents qui révèlent le nom d'informateurs. C'est un appel aux préoccupations lié au Premier amendement. Mais il s'agit toujours d'une accusation de publication d'informations classifiées, même si elle se limite aux documents contenant les noms des informateurs.

L'objectif des États-Unis vis à vis du public est de dépeindre Assange comme un ogre qui ne se soucie pas de la vie humaine, tout en présentant les États-Unis comme étant soucieux d'une presse libre.

Lewis a lu un extrait du livre de David Leigh et Luke Harding, « Wikileaks : Inside Julian Assange's War on Secrecy » (Wikileaks : à l'intérieur de la guerre de Julian Assange contre le Secret), dans lequel les auteurs affirment qu'Assange ne se souciait pas de révéler les noms des informateurs, et se basent sur des citations de phrases tenues lors d'un dîner au cours duquel Assange aurait dit que si ils étaient tués, les informateurs le méritaient.

Lewis a demandé au témoin de la défense Smith si, à ce sujet, il était d'accord avec Leigh ou avec Assange ? C'était une question en dessous de la ceinture. Smith a dit qu'il y avait un loi vieille de 200 ans pour protéger les défendeurs des ouï-dire. Smith est ensuite revenu sur un point qu'il a répété à plusieurs reprises, à savoir que Lewis, en tant qu'avocat britannique, ne savait pas comment les procès américains sont menés comme le sait, lui Smith, avocat américain.

Smith a déclaré que le contenu d'un acte d'accusation n'avait pas d'importance, car d'autres preuves sont régulièrement présentées dans les procès américains.

Mais Mark Summers, QC pour la défense, est allé plus loin, en lisant directement l'acte d'accusation d'espionnage d'Assange, qui montre clairement les charges dont il est accusé vont plus loin que les seuls documents contenant les noms des informateurs. Il est plutôt accusé de conspiration pour « obtenir des documents, des écrits et des notes liés à la défense nationale », y compris « des câbles du Département d'État américain et des dossiers sur les règles d'engagement en Irak classées jusqu'au niveau Secret... avec des raisons de croire que les informations devaient être utilisées au détriment des États-Unis ou à l'avantage de tout pays étranger ».

Lewis a objecté que Summers ne le lisait pas correctement, alors Summers a répété en relisant de façon sarcastique en précisant les signes de ponctuation.

Lors de la re-direction, Summers a également demandé à Smith s'il connaissait le rôle joué par Leigh et Harding dans la révélation du mot de passe concernant l'ensemble des archives des documents afghans qui contenaient les noms non expurgés des informateurs, dans leur livre.

Summers a également demandé à Smith s'il connaissait les histoires inventées par Harding (probablement une histoire sur la visite de Paul Manafort à Assange) lorsque la juge Baraitser lui a coupé la parole. Summers a souligné que c'est l'accusation qui a soulevé la question du livre, mais il a obtempéré.

Summers n'a pas pu dire que c'est la publication dans le livre du mot de passe du fichier chiffré(que les gouvernements pouvaient déchiffrer) qui a réellement mis les informateurs en danger, et que ce n'est qu'ensuite que WikiLeaks a publié l'ensemble des archives non chiffrées pour que les informateurs sachent qu'ils devaient se protéger.

Sur la liste des témoins de la défense, mercredi prochain, figure John Goetz du Spiegel, qui était présent à ce dîner et qui a déjà été cité comme ayant nié qu'Assange ait jamais tenu ces propos. Le journaliste australien Mark Davis, qui était avec Assange dans le bunker du Guardian et qui a publié les dossiers afghans, ne figure pas sur la liste, bien qu'il ait proposé de témoigner. Davis a déclaré publiquement qu'Assange travaillait à l'expurgation des noms, alors que les rédacteurs en chef du Guardian s'en fichaient.

Auparavant, lors de l'examen direct de Summers, une litanie de programmes américains de crimes de guerre, de torture et d'assassinat révélés par WikiLeaks a été discutée en audience publique en Grande-Bretagne, l'un des plus fervents alliés des États-Unis. Ce fut un moment extraordinaire, avec des fonctionnaires américains écoutant assis derrière leurs avocats britanniques. L'un d'eux, Lewis, en contre-interrogatoire, a tenté d'écarter le sujet en disant qu'Assange n'était pas accusé pour avoir divulgué les documents qui révélaient les crimes auxquels Smith faisait référence et qu'ils n'étaient pas pertinents pour l'affaire.

C'est à ce moment qu'Assange s'est écrié : « C'est absurde », que l'accusation se trompe car il est accusé d'avoir reçu et publié tous les documents.

Smith, qui représentait des détenus de Guantanamo, a déclaré à un moment donné que la surclassification par les États-Unis était l'affaire la plus grave depuis le 11 Septembre et a déclaré que les preuves de torture de ses clients faisaient partie de cette surclassification.

Julian Assange a également été averti par la juge Baraitser qu'il serait renvoyé s'il s'emportait de nouveau. Les crimes américains à l'étranger et dans le pays sont exposés.

14h50 EDT (Eastern Daylight Time: heure de la côté Est des Etats-Unis, NdT): La deuxième journée de l'audition sur le fond d'Assange est terminée. Grâce à une liaison vidéo depuis Old Bailey, Consortium News a suivi chaque moment de l'audience qui a dépassé d'environ 20 minutes.

L'accusation a tenté de réduire les charges liées à la loi sur l'espionnage (Espionage Act) aux seuls documents classifiés qui mentionnent les noms des informateurs, un stratagème descendu par la défense lorsqu'elle a cité directement l'acte d'accusation prouvant le contraire.

Avant que la défense n'en ait l'occasion, depuis sa cage de verre, au fond du tribunal, Julian Assange a crié qu'il était « absurde » de prétendre qu'il n'était pas poursuivi pour tous les documents classifiés qu'il avait publiés. La magistrate Vanessa Baraitser l'a donc fermement prévenu qu'il serait renvoyé du tribunal s'il recommençait.

Nous pouvons nous attendre à ce que le gouvernement continue de parler du sujet des informateurs pendant toute la durée de cette audition, car ils n'ont pas grand-chose d'autre à dire. James Lewis QC (Queen's Counsel: Conseiller de la Reine, NdT) pour l'accusation a cité un livre qui prétend qu'Assange aurait dit que les informateurs méritaient de mourir, une affirmation qui a été démentie par un éditeur allemand présent. Il doit témoigner la semaine prochaine.

L'autre ligne d'attaque de l'accusation est qu'Assange aurait « conspiré » avec Chelsea Manning pour « pirater » un ordinateur du gouvernement afin d'obtenir des documents classifiés. Dans l'après-midi, le témoignage du professeur Mark Feldstein commencé lundi s'est poursuivi.

Lors de l'examen direct, Feldstein a défendu avec fougue les activités d'Assange comme étant de la routine pour les journalistes. Le gouvernement, dit-il, « peint les activités journalistiques sous une lumière néfaste ». Il a déclaré qu'il était « normal de demander aux sources des preuves et des documents pour étayer ce qu'elles disent et de travailler avec elles pour trouver des documents, en leur faisant des suggestions sur ce qu'elles devraient chercher. C'est la routine ».

Feldstein a également déclaré à l'avocat de la défense Mark Summers qu'aucun éditeur n'avait jamais été poursuivi auparavant pour publication, mais que d'anciens présidents avaient essayé de le faire. Il a raconté l'histoire de Richard Nixon qui voulait poursuivre le chroniqueur Jack Anderson mais qui s'est fait dire par son avocat qu'il ne pouvait pas faire ça parce que cela violerait le Premier Amendement.

Nixon a alors conçu un plan avec un ancien agent de la CIA pour envoyer un faux article sur papier à en-tête de la Maison Blanche en espérant qu'il le publierait et qu'il serait ensuite diffusé, mais Anderson a vérifié et ne l'a pas utilisé, contrairement à de nombreux journalistes d'aujourd'hui qui courent après les documents du gouvernement.

Nixon a donc essayé de tuer Anderson, mais tous les plans ont été déjoués : empoisonner ses aspirines, essayer de lui rentrer dedans avec une voiture ou le poignarder pour faire croire à une agression. Il a fait tout cela, mais Nixon n'a pas poursuivi Anderson pour publication.

Ce fut un témoignage glaçant devant un tribunal britannique qui venait s'ajouter à des témoignages antérieurs sur les crimes de guerre américains.

Mais lors du contre-interrogatoire, Feldstein s'est effondré. Il s'est laissé intimider par Lewis. S'il s'était agi d'un combat, l'arbitre y aurait mis fin.

Au lieu de cela, Lewis a profité de sa proie, en posant des questions juridiques alors qu'il savait que Feldstein n'était pas armé pour y répondre. Il l'a harcelé au sujet des raisons pour lesquelles le grand jury d'Assange a continué, même si Feldstein a témoigné que l'administration Obama avait décidé de ne pas engager de poursuites parce que cela viendrait se heurter au Premier Amendement.

Lewis s'est ensuite joué d'un Feldstein complètement démonté, lui demandant comment il pouvait qualifier le procès d'Assange de politique alors qu'il ne pouvait pas prouver que l'ordre venait de la Maison Blanche. Mais les procureurs généraux et les directeurs de la CIA peuvent exercer des pressions politiques. Lewis a également adopté une définition très étroite de la politique, en omettant de préciser que le fait que faire venir Assange (aux Etats Unis) avait pour but de préserver la politique étrangère américaine de toute exposition ainsi que de maintenir la réputation politique des fonctionnaires américains.

Lorsque Baraitser a annoncé l'ajournement du procès, un large sourire a illuminé le visage de Feldstein. Son calvaire était terminé.

Source :  Consortium News, 09-09-2020

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