14/10/2020 les-crises.fr  12 min #180373

Procès Assange Jour 1 : La juge Baraitser refuse d'ajourner l'affaire à janvier

Procès Assange Jour 13 : Un témoin de l'accusation tente de jouer les juges

Nigel Blackwood (Kings College)

Joseph Farrell, Kristinn Hrafnsson, Craig Murray et Stella Moris pendant la pause déjeuner devant Old Bailey jeudi (Mohamed Elmaazi)

Centre de détention d'Alexandrie (Ville d'Alexandrie)

Edward Fitzgerald QC. (Doughty Street Chambers [Chambres du barreau Anglais spécialisées dans le droit commun, l'immigrationn, l'emploi, les droits de l'Homme et les libertés civiles, NdT])

Sondra Crosby (Médecins pour les Droits Humains)

Source :  Consortium News, Joe Lauria
Traduit par les lecteurs du site  les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Consortium News suit virtuellement le déroulé du procès de Julian Assange à Old Bailey à Londres. Chaque jour, il publie un compte rendu détaillé de l'audience. L'équipe Les-Crises vous en propose la traduction exclusive.

9h15 EDT [Eastern Daylight Time : Heure de la côte Est des Etats-Unis, NdT]: Le deuxième témoin pour l'accusation a été entendu à la barre et, lors du contre-interrogatoire cinglant mené par l'avocat de la défense Edward Fitzgerald, des parties essentielles de son histoire ont été mises à mal.

Le Dr Nigel Blackwood, psychiatre légiste pour le National Health Service, a déclaré lors d'un examen direct par James Lewis QC [Queen's Counsel: Conseiller de la Reine, NdT] qu'il était arrivé à la conclusion que Julian Assange souffrait de dépression « modérée », et non de dépression sévère, contrairement à ce qu'a déclaré mardi le Dr Michael Kopelman, témoin de la défense.

Blackwood a déclaré qu'Assange ne courait pas de risque élevé de suicide, contrairement aux dires de Kopelman.

« Je pense qu'il y a un certain risque de suicide, mais ce risque a été attentivement pris en compte à Belmarsh et les facteurs de risque sont modifiables », a déclaré Blackwood depuis la barre à l'intérieur d'Old Bailey. « Il suit des traitements pour gérer ce risque. »

« Je crois qu'il conserve sa capacité de résister au suicide », a témoigné Blackwood. Lewis a ensuite passé en revue les mêmes notes de prison que celles qu'il a parcouru mercredi ainsi que les comptes-rendus d'examens d'Assange, selon lesquelles Assange a montré à plusieurs reprises qu'il avait « un bon contact visuel, de l'humour, de la vigilance, et qu'il n'y avait pas de mention de conduite à risques vis à vis de lui même ».

Nigel Blackwood (Kings College)

Lors du contre-interrogatoire de mercredi, Fitzgerald a établi qu'un rapport « ne mentionnant pas d'auto-atteinte » voulait en fait dire qu'Assange n'avait pas été interrogé à ce sujet et qu'il n'avait pas fait part d'envie de suicide aux médecins de la prison en qui il n'avait pas confiance.

Mais Lewis a revu de nouveau les notes, obtenant une confirmation de Blackwood sur la base de son propre examen de quatre heures d'Assange lors de deux réunions en mars. Blackwood a témoigné :

« Il a pu se concentrer pendant les quatre heures d'entretien, et tant ses gestes que sa posture étaient appropriés. Il s'anime quand on en arrive à la nature politique de son procès et au traitement qui l'attend aux États-Unis. Il devient alors très agité et s'exprime en détail dans un monologue, mais peut être interrompu. Il estime que je fais preuve de naïveté quant à ma compréhension de son cas. Il a déclaré que Kopelman n'avait pas de dimension politique dans son rapport, donc il tenait beaucoup à me donner la dimension politique et à exercer un contrôle éditorial sur mon rapport ».

Blackwood a témoigné qu'il n'avait pas trouvé qu'Assange souffrait de stress post-traumatique, contrairement au témoignage de Kopelman, et que tout aspect d'autisme présent se situait à l'extrémité inférieure du spectre.

Il a déclaré qu'Assange avait fait preuve de fierté lorsqu'il avait fait savoir qu'il avait pu rallier d'autres prisonniers à sa cause. Blackwood a ajouté qu'en février, Assange a été « trouvé en train de boire du café et de parler avec d'autres prisonniers, il s'exprimait bien et était apte à être jugé. Il a été jugé non suicidaire ».

Blackwood a dit que lorsque Assange n'était pas dans l'aile hospitalière de la prison, il lisait des livres et interagissait avec d'autres prisonniers. La façon dont il a été mis en isolement pour soins de santé a été un moment clé du drame de la matinée.

Blackwood a affirmé qu'il avait été envoyé au service médical à cause d'une vidéo montrant Assange dans la prison qui a été rendue publique en juin 2019. Il a témoigné que si Assange avait effectivement souffert de dépression sévère, les autorités de la prison l'auraient envoyé à l'extérieur pour traitement médical.

Le fait qu'ils ne l'aient pas fait montre qu'Assange ne souffrait pas autant que Kopelman l'avait prétendu, a déclaré Blackwood. « Ils ne sont absolument pas partie prenante dans ce processus », a-t-il dit.

Joseph Farrell, Kristinn Hrafnsson, Craig Murray et Stella Moris pendant la pause déjeuner devant Old Bailey jeudi (Mohamed Elmaazi)

Pendant le contre-interrogatoire, Fitzgerald a d'abord obtenu que Blackwood admette que la raison pour laquelle les autorités avaient envoyé Assange dans le quartier médical, et isolé des autres prisonniers, était que la diffusion de la vidéo avait « porté atteinte à la réputation » des responsables de la prison.

Ensuite, Fitzgerald a produit un document de la prison établissant qu'à 14h30, le jour où Assange avait été envoyé dans le quartier médical, il a été noté qu'il présentait un risque d'auto-destruction.

Affichant sa colère pour la première fois, Fitzgerald a coupé la parole de Blackwood, demandant pourquoi Blackwood n'avait pas mis cela dans son rapport. La juge Vanessa Baraitser s'est interposée rappelant que le témoin devait être autorisé à finir sa réponse.

Blackwood a déclaré que de multiples facteurs expliquaient pourquoi Assange avait été envoyé au quartier médical, et a essentiellement admis que les idées d'auto-destruction d'Assange en faisaient partie, bien qu'il ait négligé de le mentionner dans son rapport.

Conditions de détention aux États-Unis

Centre de détention d'Alexandrie (Ville d'Alexandrie)

10h15 EDT : Fitzgerald s'est ensuite penché sur les conditions de détention dans les prisons américaines et sur la question de savoir si elles étaient équivalentes à celles en vigueur en Grande-Bretagne.

Fitzgerald : « Serait-il approprié de mettre quelqu'un souffrant de dépression en isolement en prison ?

Blackwood : « Les personnes déprimées peuvent être traitées si elles sont en isolement, mais cela peut aggraver les maladies mentales. Cela dépend de ce qui est à sa disposition au-delà des appels téléphoniques, de l'accès aux réseaux sociaux.

Fitzgerald : « S'il était privé de cela, cela aggraverait-il sérieusement son état ? »

Blackwood : « Ca pourrait arriver ».

Fitzgerald : « Il est clair que oui. »

Blackwood : « M. Assange a prouvé qu'il était un homme très résistant ».

Fitzgerald a demandé si Blackwood était au courant des recommandations médicales selon lesquelles l'isolement des prisonniers ayant des problèmes de santé mentale devrait être évité.

« Oui », a déclaré Blackwood.

Fitzgerald a demandé s'il avait conscience du fait que sur l'ensemble des suicides dans les prisons américaines, 50 % concernent des détenus en isolement, et que seulement 3 à 8 % de la population carcérale totale est en isolement.

Blackwood a noté que les cas de suicide étaient encore plus nombreux dans les prisons britanniques qu'aux États-Unis.

Question de Fitzgerald : » Vu son état, serait-il avisé d'envoyer M. Assange en isolement ? »

« Cela dépend du régime en place dans les cellules individuelles », a répondu Blackwood. Il a déclaré que même avec le confinement dû à la Covid-19 dans les prisons britanniques, on n'a pas constaté la hausse prévue des suicides.

Ne compter que sur Kromberg

Edward Fitzgerald QC. (Doughty Street Chambers [Chambres du barreau Anglais spécialisées dans le droit commun, l'immigrationn, l'emploi, les droits de l'Homme et les libertés civiles, NdT])

« M. Assange sera envoyé au Centre de Détention d'Alexandrie (ADC), il sera confiné dans une petite cellule privé d'exercice et d'air frais, il aura peu de communication avec ses avocats et aucun contact avec les prisonniers. En supposant que cela soit correct, ces conditions seraient-elles préjudiciables aux antécédents psychiatriques de Julian Assange ? » a demandé Fitzgerald.

« Oui, cela peut avoir un impact sur son trouble dépressif », a admis Blackwood.

Après que Fitzgerald ait décrit les Mesures Administratives Spéciales (MAS) dont Assange ferait probablement l'objet, il a ensuite demandé si Blackwood admettrait que l'envoi d'Assange à Alexandrie dans ces conditions lui causerait un préjudice psychologique.

« Il y a une série d'approches dans le cadre des MAS et ce que vous décrivez là est le scénario le plus pessimiste », a déclaré Blackwood. « Si cela devait être, cela peut avoir un impact sur son état d'esprit. Mais je maintiens que son état d'esprit est gérable ».

« Même dans ces conditions ? » a demandé Fitzgerald, incrédule.

« Je me suis basé sur les dires de Kromberg [l'assistant du procureur américain Gordon] qui dit qu'en Virginie, la situation est largement équivalente à celle de la Grande-Bretagne et qu'il n'y a pas de cellules d'isolement à l'ADC.

« Vous vous fondiez uniquement sur Kromberg ? Pourquoi dites-vous qu'il n'y a pas de cellules d'isolement à l'ADC ? » a demandé Fitzgerald.

« Parce que je m'appuie sur Kromberg », a déclaré Blackwood.

« Kromberg dit qu'il n'y a pas de cellules d'isolement à l'ADC, alors c'est ça que vous mettez dans votre rapport ? »

« C'est ce sur quoi je m'appuie », a dit M. Blackwood.

« Vous ne pensez donc pas que la déclaration de Kromberg, un fonctionnaire du gouvernement, que nous estimons incorrecte, est contestable », a demandé Fitzgerald. « Vous ne faites que reprendre les propos de Kromberg. N'auriez dû vous pas tenir aussi compte de ce que la défense a dit ? »

« Je me suis appuyé sur Kromberg et sur la littérature universitaire sur ce qui se passe dans les prisons américaines. Il y a peut-être des choses qui ne sont pas prises en compte, mais de façon générale, c'est à peu près ça. »

Fitzgerald : « Le témoin ne cesse de dire qu'il existe de nombreuses variétés de MAS, mais les preuves présentées au tribunal indiquent qu'une fois sous MAS, tous les prisonniers sont soumis au même régime. »

Jouant les juges

Fitzgerald poursuit : « Dans le contexe de cette affirmation osée selon laquelle il n'y a pas de cellules d'isolement au sein de l'ADC, vous dites ensuite qu'étant donné l'état de santé mentale de M. Assange, il ne serait pas injuste de l'extrader. C'est insensé ».

« Je dis que son état d'esprit actuel n'est pas... », a commencé Blackwood.

« Ce n'est pas à vous de décider si l'extradition est juste ou injuste, c'est à la juge de décider », a interrompu Fitzgerald.

« Bien sûr », a murmuré Blackwood.

« Alors pourquoi avez-vous inscrit dans votre rapport quelque chose qui relève du rôle de la juge ? »

« C'est à la juge de décider, bien sûr. »

Fitzgerald a ensuite souligné le fait que Blackwood n'avait jamais visité l'ADC ni aucun établissement fédéral, n'ayant été que dans une prison d'État du Connecticut et une prison de Newport, à Rhode Island.

Son état physique

Sondra Crosby (Médecins pour les Droits Humains)

La témoin de la défense, la Dr Sondra Crosby, spécialiste de médecine interne au Massachusetts, a ensuite pris la parole. Crosby a rendu visite à Assange à cinq reprises, trois fois à l'ambassade d'Équateur, la première fois en octobre 2017, et deux fois à Belmarsh, la dernière fois en janvier de cette année. Chaque fois qu'elle l'a vu, il s'était nettement détérioré.

Dans son témoignage, Crosby a fait état d'une série de maladies physiques, Consortium News a accepté de ne pas en divulguer les détails afin de protéger le secret médical concernant Assange.

Certains de ses problèmes étaient déjà connus, tels une affection pulmonaire et une dent infectée. Elle a déclaré qu'elle n'avait pas réussi à convaincre Assange de quitter l'ambassade pour se faire soigner.

Crosby a fait état qu'Assange était confiné à l'ambassade. Lors du contre-interrogatoire, Lewis a invoqué un mème anti-Assange commun, selon lequel il pouvait partir quand il le voulait.

Crosby a déclaré qu'il s'agissait d'une question « complexe » et elle a comparé la situation d'Assange à l'ambassade à celle d'une personne « qui est poursuivie avec une hache ou un pistolet et qui s'enferme dans une pièce pour se mettre à l'abri ».

En effet, le ministre britannique des affaires étrangères a déclaré qu'Assange était libre de partir quand il le souhaitait et que la police britannique serait là, l'accueillant à bras ouverts.

Avant qu'il ne soit arrêté et traîné hors de l'ambassade, Assange et ses avocats ont déclaré à plusieurs reprises qu'ils craignaient que son arrestation ne conduise finalement à son extradition vers les États-Unis. Cela a été tourné en ridicule à l'époque, mais nous sommes pourtant sur le point de mettre fin à la deuxième semaine de procédure d'extradition vers les États-Unis.

Crosby a également fait état de l'état mental d'Assange, ce qui a été remis en question par Lewis car elle est spécialiste de médecine interne. Mais Crosby a rétorqué qu'une partie de son travail médical auprès des réfugiés et des demandeurs d'asile impliquait les conditions psychologiques et qu'elle avait témoigné à de nombreuses reprises devant les tribunaux sur des questions psychologiques.

Crosby a déclaré qu'Assange était à haut risque suicidaire et en a fréquemment discuté avec lui lors de ses visites. Le moment peut-être le plus perturbant de son témoignage, est celui où elle a décrit comment Assange lui a dit avoir étudié la vidéo d'un Croate, Slobodan Praljak, jugé pour crimes de guerre à la Cour Pénale Internationale, se suicidant en 2017 dans une salle d'audience après avoir pris du cyanure de potassium.

Dans la salle d'audience, seule une personne très endurcie serait restée insensible au témoignage de Crosby.

John Young de Cryptome

La journée au tribunal s'est terminée par la lecture faite par Fitzgerald du témoignage de John Young, fondateur et opérateur de Cryptome.com. Young a déclaré qu'il avait publié les câbles diplomatiques non expurgés contenant les noms des informateurs un jour avant que WikiLeaks ne le fasse le 1er septembre 2017. Il a déclaré que les fichiers sont toujours accessibles sur son site. Young a déclaré être citoyen américain.

« Depuis que j'ai publié les câbles diplomatiques non expurgés sur Cryptome.org, aucune autorité américaine chargée de l'application de la loi ne m'a notifié que cette publication des câbles était illégale, qu'elle constitue ou contribue à un crime de quelque manière que ce soit, et ils n'ont pas demandé qu'ils soient retirés », a témoigné Young.

L'audition se poursuit.

Source :  Consortium News, Joe Lauria, 24-09-2020
Traduit par les lecteurs du site  les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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