20/11/2020 les-crises.fr  9 min #181899

L'ancien président Evo Morales est rentré en Bolivie

élection du président Luis Arce en Bolivie : une défaite pitoyable pour les états-Unis

Source :  ConsortiumNews, Patrick Lawrence
Traduit par les lecteurs du site  Les Crises

Attendez-vous à une orgie de stratagèmes américains. S'il y a une chose que Washington supporte moins qu'une social-démocratie qui fonctionne, c'est bien une social-démocratie qui fonctionne en Amérique latine.

L'élection de Luis Arce en Bolivie le mois dernier a été très saluée dans les cercles où se réunissent les personnes de bonne volonté. C'est la règle : Arce était ministre de l'Economie et des Finances dans le gouvernement socialiste d'Evo Morales, et a été le successeur choisi par le président violemment déchu pour diriger son Movimiento al Socialismo, MAS.

La victoire d'Arce, par un score de 52 % contre 31, a contré l'un des plus audacieux et des plus odieux des nombreux coups d'État de droite en Amérique latine que les États-Unis ont menés, cultivés, fomentés, organisés, etc. depuis les premières décennies du siècle dernier. Et une défaite pitoyable pour la clique qui mène la politique étrangère de Washington, ce qui est somme toute une excellente nouvelle.

Tweet de l'ancien président bolivien Evo Morales célébrant la forte progression de son parti lors des élections d'octobre.

Avons-nous entendu la dernière fois les racistes Ladino (Désigne les métis ou hispanophones non indigènes d'Amérique latine, NdT) brandissant un crucifix qui ont mené le coup d'État il y a un an ce mois-ci contre Morales, le premier président indigène de Bolivie ? Les États-Unis vont-ils maintenant se retirer, tout comme ces poux de l'Organisation des États américains qui travaillent pour Washington ? La Débauche de manipulation américaine, c'est plutôt ça.

L'adversaire conservateur d'Arce, Carlos Mesa, a eu la gentillesse de renoncer en se basant uniquement sur les sondages de satisfaction. Et le Département d'État, de façon assez grotesque, a eu le culot d'envoyer à Arce un message de félicitations signé du secrétaire d'État Mike Pompeo, notre putschiste globe-trotter.

Mais est-ce un post-scriptum ou une préface ? Nous ferions mieux d'y réfléchir, et de « penser avec l'histoire », pour reprendre une phrase de Carl Schorske, le regretté et merveilleux historien de Princeton. Il y a une longue, très longue histoire derrière le coup d'État contre Morales et le retour du MAS. Ce n'est pas une belle histoire, elle fait honte aux États-Unis et l'indifférence de leurs consommateurs (qui étaient autrefois des citoyens). Nous avons peu de raisons de penser que cette histoire soit maintenant terminée.

La contre-révolution

On peut déjà parler de contre-révolution. Camila Escalante, correspondante de TeleSUR à La Paz, a rapporté jeudi dernier que le Pacte d'Unité de la nation, une alliance de groupes de travailleurs, d'indigènes et de femmes, a déclaré un état d'urgence non officiel en réponse aux appels apparemment généralisés en faveur d'un autre coup d'état, celui-ci avant même la prise de fonction d'Arce le 8 novembre.

Non sans rapport avec ce qui précède, nous avons maintenant des informations selon lesquelles, au cours du week-end, les États-Unis ont mis fin à la levée des sanctions concernant les exportations de gazole de pays tiers vers le Venezuela pour des raisons humanitaires. Bien que cette mesure reste à confirmer, elle est prévue au moins depuis l'été dernier, lorsque la date limite de fin octobre a été signalée pour la première fois. Quand elle arrivera, ce sera un nouveau coup de massue sur la tête des Vénézuéliens.

Des élections décisives à venir

C'est un moment important pour réfléchir à ces deux nations, l'une ayant contrecarré un coup d'État et l'autre faisant face à des efforts quotidiens pour destituer son président. Au cours de l'année prochaine, des élections décisives sont prévues en Équateur (février 2021), au Pérou (avril) et au Chili (novembre prochain). Les candidats sociaux-démocrates sont les principaux prétendants dans les trois cas.

On parle maintenant d'une nouvelle « marée rose » déferlant sur l'Amérique latine. La première au début des années 2000, pour se perdre ensuite dans un retour aux régimes économiques néolibéraux abusifs qui servaient les profits des multinationales et corrompaient leurs collaborateurs, tout en laissant les citoyens ordinaires dans un état de dénuement quasiment total.

Plébiscite chilien se déroulant à Macul, le 25 octobre 2020. (Sgonzalezb, CC BY-SA 4.0, Wikimedia Commons)

La victoire d'Arce a une fois de plus attiré l'attention du continent. Le président argentin Alberto Fernández, qui a donné asile à Morales depuis le coup d'État de l'an dernier, a fait l'éloge de Morales ainsi que de Arce. Tout comme Luis Ignácio da Silva, « Lula », le président brésilien qui incarnait la marée rose (et qui a été destitué en 2010 pour ses efforts).

« Félicitations au MAS », a déclaré Miguel Díaz-Canel, le premier dirigeant cubain post-Castro. « L'idéal bolivarien renaît ». Nicolás Maduro, le président du Venezuela assiégé, partageait également ce sentiment.

Pour mesurer l'état d'esprit dans la rue, les Chiliens ont voté lors d'un référendum à la fin du mois dernier l'abandon de la constitution promulguée sous la dictature de Pinochet afin de pouvoir en rédiger une qui reflète ce qu'ils sont au XXIe siècle. Bravo pour les 78 % de votes favorables. Ce serait encore mieux s'ils avaient une statue d'Henry Kissinger à abattre et à jeter dans le Pacifique.

L'équipe est au complet, et c'est bien. Mais ne considérons pas la victoire d'Arce, ou les perspectives électorales prometteuses ailleurs en Amérique latine, à travers des verres teintés, roses ou pas. Il est certain qu'aucun des dirigeants que nous venons de citer ne porte de telles lunettes. On est sûr qu'ils connaissent tous la longue histoire de leur peuple et les leçons à en tirer. Examinons-les.

Une ère de l'indépendance d'après-guerre

J'ai longtemps porté un intérêt à « l'ère de l'indépendance », ces décennies d'après-guerre où des dizaines de nouvelles nations ont vu le jour, chacune débordant d'aspirations. Les leaders charismatiques de cette époque - Nehru, Nasser, N'krumah, Nyerere (les quatre N) - ainsi que Sukarno, Lumumba, Árbenz, Mossadegh, avaient quelque chose de remarquablement élevé. Il y en a eu d'autres. Ces personnages hors du commun exprimaient des idéaux que seul un crétin pouvait ne pas admirer : la parité entre les nations, le non-alignement, l'élévation de leurs peuples, les ressources nationales au profit de ceux qui les possèdent légitimement, une forme de social-démocratie en somme.

Cela a pris du temps, mais la frénésie de coups d'État, d'assassinats et d'ultimatums exigeant de prendre position pour ou contre nous, a fini par étouffer ces aspirations et ces idéaux.

Le Tanzanien Julius Kambarage Nyerere en 1985. (Rob Bogaerts, CC0, Wikimedia Commons)

Leçon n°1 : S'il est une chose que les États-Unis craignent plus que n'importe quelle « menace » communiste, c'est une social-démocratie qui fonctionne et qui incitera d'autres nations à suivre la même voie.

Supprimé au lieu d'être éteint : c'est précisément la vision inspirée partagée par les dirigeants d'après-guerre que l'on vient de noter qui a refait surface, une fois que les polarités destructrices de la Guerre froide ont finalement perdu leur pertinence. Lula, Morales et maintenant Arce, Hugo Chávez et maintenant Maduro, le Mexicain Andrés Manuel López Obrador, tous ces candidats de gauche aux élections de l'année prochaine : ce sont les descendants des géants de l'époque de l'indépendance. Ils défendent les mêmes valeurs.

Leçon n°2 : Selon toute vraisemblance, ils sont confrontés à la même résistance vicieuse et au même stratagème des États-Unis : s'il y a une chose que Washington ne peut supporter plus qu'une social-démocratie qui fonctionne, c'est bien une social-démocratie qui fonctionne en Amérique latine. Demandez-le aux Cubains, ou aux Nicaraguayens, ou (plus loin) aux Argentins, aux Chiliens, ou aux Guatémaltèques.

« Evo-Alvaro, encore 500 ans. » Fresque en Bolivie en 2015 pour exprimer le soutien au président et au vice-président. (Flickr, Françoise Gaujour, CC BY-NC-ND 2.0)

En 2013, alors qu'il était le secrétaire d'État de Barack Obama, John Kerry a déclaré pompeusement lors d'un discours à l'OEA, prononcé à Rio de Janeiro : « L'ère de la doctrine Monroe est terminée. » En d'autres termes, plus d'interventions révoltantes. Nous, les Nord-Américains, sommes désormais « des partenaires égaux. » En pensant au Honduras, au Vénezuela, au Nicaragua et à la Bolivie, on peut se demander si les Latino-américains devaient rire ou pleurer. (Doctrine Monroe : énoncée par le président américain James Monroe dès 1823 contre les puissances coloniales « l'Amérique aux américains » s'est traduit dans les faits comme l'Amérique aux Etats-Uniens qui n'ont cessé depuis d'intervenir dans les affaires intérieures latino-américaines.

Aujourd'hui, c'est naturellement Joe Biden qui entre en jeu.

Un projet de politique étrangère fourni en juillet dernier à The Intercept, où des sentiments pro-Biden démesurés l'obligent à censurer toute critique du candidat démocrate, promet de mettre fin à notre culture du coup d'État - « changement de régime », et « guerres sans fin » étant les euphémismes les plus courants.

Jake Sullivan, membre de l'équipe de politique étrangère de Joe Biden, en 2012, lors d'une discussion en ligne avec les médias du département d'État. (Département d'État, Ben Chang)

À la fin du mois dernier, Jake Sullivan, chef de cabinet adjoint d'Hillary Clinton à l'époque où elle était le prédécesseur de Kerry à la tête des Affaires étrangères et maintenant un poids lourd de l'équipe de politique étrangère de Biden, avait ceci à dire sur l'Amérique centrale, où la politique américaine a eu ses conséquences les plus sanglantes au cours des décennies d'après-guerre : « Le vice-président croit fondamentalement que les États-Unis devraient agir dans le respect mutuel et le sens de la responsabilité partagée. »

Trop d'histoire pèse pour le moment pour que tout cela puisse être prouvé. Tant qu'il y aura un empire, c'est tout simplement impossible.

Ce qui est remarquable chez ces gens, après tout ce que les États-Unis ont fait et tout ce qui se profile devant nous maintenant, c'est qu'ils attendent toujours des autres qu'ils prennent au sérieux la vieille Amérique-mère-nouricière.

On espère que Luis Arce ne le fera pas. Nicolás Maduro ne le peut pas. Quant aux candidats de la nouvelle vague rose, qui s'affrontent en Équateur, au Pérou et au Chili, on espère qu'ils vont tenir la distance et gagner, gagner, gagner - et ensuite se préparer pour les autres compétitions à venir.

Patrick Lawrence, correspondant à l'étranger depuis de nombreuses années, principalement pour l'International Herald Tribune, est chroniqueur, essayiste, auteur et conférencier. Son dernier livre s'intitule Time No Longer : Americans After the American Century (Yale). Suivez le sur Twitter  @thefloutist, son site web est Patrick Lawrence. Soutenez son travail via son site Patreon.

Source :  ConsortiumNews, Patrick Lawrence, 02-11-2020
Traduit par les lecteurs du site  Les Crises

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