Par Olivier Renault
Les responsables de l'UE ont été contraints d'admettre que la Russie n'était pas à blâmer pour la crise du gaz et ont commencé à rechercher de nouvelles sources de carburant bleu. Le dernier espoir des pays de l'UE restait le Qatar, car jusqu'à récemment, il annonçait des plans à grande échelle pour évincer Gazprom du marché de l'UE. Cependant, au dernier moment, Doha a avoué être incapable d'aider l'Europe. Est-ce que quelque chose a mal tourné?
La semaine, qui vient de passer, a été marquée en Europe par la reconnaissance du Qatar dans l'impossibilité d'augmenter l'offre de gaz naturel liquéfié (GNL) produit par celui-ci. «Nous sommes au maximum dans la mesure où nous avons donné à tous nos clients leurs quantités dues», a déclaré le ministre de l'Energie du Qatar, Saad al-Kaabi. Il a, également, déclaré: «Nous constatons une énorme demande de tous nos clients, mais, malheureusement, nous ne sommes pas en mesure de satisfaire tout le monde».
Selon Le Vif, Saad al-Kassbi a expliqué que le Qatar a toutefois atteint ses capacités «maximum», produisant quelque 77 millions de tonnes par an, assurant que «Nous n'avons jamais été en deçà du maximum. Nous n'avons pas baissé, nous n'avons pas augmenté. Nous sommes constants, nous produisons ce que nous pouvons». A le croire, le Qatar aurait «épuisé» sa production pour le moment et ne serait pas en mesure d'augmenter ses approvisionnements en gaz pour livrer, notamment l'Europe.
Ces propos sont d'autant plus surprenants qu'en juin dernier Saad al-Kaabi déclarait: «L'objectif du Qatar est d'être le producteur de GNL le moins cher, puis de placer sur le marché les volumes qui croissent le plus». En février 2021, ce même ministre affirmait que «le pays avait l'intention d'être le plus grand fournisseur du marché pendant 20 ans [de gaz LGN]».
Saad al-Kaabi s'est engagé, alors, à augmenter considérablement la capacité de liquéfaction du gaz dans les années à venir, malgré la pandémie de coronavirus. Il y avait même des prédictions selon lesquelles le Qatar serait prêt à comprimer considérablement Gazprom sur le marché européen du gaz.
Cependant, aujourd'hui, dans le contexte de la crise énergétique actuelle et de l'hiver imminent, des récits et déclarations presque hystériques se font entendre dans les média de l'UE et à travers ses hautes fonctions. Les Européens ont, non seulement, estimé qu'ils devraient très bientôt geler cet hiver, mais ils pensent aussi qu'il ne serait pas possible de corriger la situation car il n'est pas nécessaire d'attendre un remplissage soudain des installations de stockage de gaz des pays de l'UE.
Bruxelles ne veut pas admettre les erreurs commises par les gouvernements européens (y compris l'ensemble de l'Union) en se préparant au froid. Et, les autorités de l'UE situées à Bruxelles cherche frénétiquement quelqu'un à blâmer pour le fait que demain la population de l'Union et placée sous sa juridiction (environ un demi-milliard de personnes) devra, elle-même, trouver des solutions pour se réchauffer.
Habituellement, c'était Russie qui était ciblée comme étant responsable des difficultés en Europe. Mais, il s'est avéré que Moscou remplissait ses obligations envers l'UE en matière de fourniture du carburant bleu. D'ailleurs, non seulement Gazprom en parle, mais Bruxelles le reconnaît aussi. Et puis, le Qatar a débarqué avec sa déclaration toute récente où il explique qu' «il ne sera pas en mesure d'augmenter le volume des exportations de gaz naturel liquéfié». Est-ce que l'UE a trouvé un nouveau coupable pour le gel de l'Europe?
De manière générale, le Qatar fait partie des six premiers pays au monde en termes de production de gaz. Mais, celui-ci n'est pas situé en tête de la liste des producteurs. La majeure partie du gaz est pompée hors du sol par les Etats-Unis. Selon le magazine spécialisé dans le domaine de l'énergie, NS Energy, la production annuelle moyenne de gaz naturel aux Etats-Unis a été de 921 milliards de mètres cubes au cours des dernières années. Les Américains représentent 23 % du volume mondial de gaz extrait du sol (4 000 milliards de mètres cubes par an). La Russie est la deuxième - 679 milliards (17% du marché mondial). Les réserves de gaz explorées en Russie sont estimées à 38 000 milliards de mètres cubes. La plupart sont en Sibérie. La société d'Etat Gazprom est le premier producteur mondial de gaz naturel, représentant environ 12 % de la production mondiale et 68 % de la production nationale. Le troisième est l'Iran, 244 milliards (6% du marché mondial de la production). Le quatrième est le Qatar avec 178 milliards (4,5%). La Chine en produit un peu moins de 178 milliards. La sixième place revient au Canada qui en produit 173 milliards (4,5 %). Le Canada exporte plus de gaz naturel qu'il n'en consomme. La part du lion des exportations revient aux Etats-Unis.
Une question se pose. Pourquoi, donc, dans ces conditions, c'est la déclaration du Qatar qui a tant excité l'Europe? Le fait est que ce petit Etat du Moyen-Orient est un véritable géant de la production de GNL. L'émirat produit annuellement 107 millions de tonnes de produit liquéfié (une tonne équivaut à environ 1,38 mille m3 de gaz naturel après regazéification), occupant avec assurance la première ligne mondiale en termes de GNL produit.
De l'extérieur, à partir de l'Europe, les stocks de GNL du Qatar semblent écrasants, et cette tromperie visuelle donne à ceux qui ont besoin de gaz le sentiment que Doha peut toujours aider n'importe qui, n'importe quand et en n'importe quelle quantité. En d'autres termes, le Qatar semblait être le dernier espoir de l'Europe au milieu de la crise énergétique.
En fait, ce n'est pas le cas. Le Qatar fournit plus de 72 millions de tonnes du produit aux pays asiatiques (Chine et Japon, tout d'abord) qui sont en train de récupérer rapidement leurs économies après la pandémie. L'UE reçoit moins de 32 millions de tonnes. Le Qatar n'a tout simplement pas de réserves libres car les usines de liquéfaction fonctionnent à leur limite. C'est précisément ce que confirme la déclaration toute récente du ministre qatari.
Il serait possible d'envoyer du gaz supplémentaire vers l'Europe par des gazoducs. Mais, le problème fondamental et factuel est qu' il n'y a pas de gazoducs, et, si cela était le cas, il faut savoir que l'itinéraire idéal (c'est-à-dire le plus court) pour sa construction passe par la Syrie, un pays dans lequel où les conditions pour une construction sûre et garantie d'un gazoduc et son utilisation ultérieure sont peu susceptibles d'être bientôt réunies.
Il n'y a pas si longtemps, Doha a annoncé son intention d'améliorer significativement sa capacité de production pour la production de GNL à travers un projet d'extension du champ Nord (développé avec l'Iran) vers l'est. Les autorités qataries ont approuvé un investissement de 28,75 milliards de dollars américains pour développer un projet d'usine de GNL qui deviendra la plus grande au monde avec une capacité de 33 millions de tonnes de produit par an. Mais, l'élaboration du projet et sa mise en œuvre prendront plusieurs années.
Le GNL américain n'ira aux Européens que s'ils acceptent de l'acheter à des prix nettement plus élevés qu'aujourd'hui. En attendant, il n'y a pas un tel accord, les transporteurs de gaz américains exportent du GNL en Asie où vous pouvez obtenir beaucoup mieux qu'ee Europe en ce qui concerne les affaires.
Vous ne pouvez pas non plus vous procurer de GNL auprès des Canadiens car ce pays peut à peine faire face à l'approvisionnement en gaz liquéfié aux Etats-Unis et il n'a tout simplement rien à voir avec les autres. La Chine, qui ne peut pas vraiment faire face à ses propres questions énergétiques, n'est pas non plus adaptée dans le rôle de sauveur de l'Europe. En outre, en raison de la pression des Etats occidentaux tout mouvement de la Chine vers l'UE est considéré comme une tentative du géant asiatique pour asservir économiquement l'UE. Il y a aussi la Norvège et l'Algérie, mais il ne faut pas non plus s'attendre à un miracle car ces pays fournissent déjà le maximum de volumes possibles à l'Europe. La Russie reste, mais elle remplit aussi ponctuellement ses obligations au titre des contrats à long terme, ce qui est reconnu par Bruxelles.
Premièrement, la Russie doit remplir ses réserves. Deuxièmement, la pénurie de gaz dans l'UE est, selon le ministre de l'Energie de la Fédération de Russie, Alexander Novak, de 25 milliards de mètres cubes. Il est, ainsi, irréaliste de transférer un tel montant avant le passage à l'année 2022 même via Nord Stream 2 (sa capacité annuelle est de 55 milliards de mètres cubes), mais une partie du problème du Nord Stream 2 pourrait être résolue.
Bruxelles traîne, aussi, les pieds avec la certification du gazoduc et n'est pas déterminé à le sortir du champ du troisième paquet de l'énergie qui condamne Nord Stream 2 à fonctionner à moitié de sa capacité. La Russie, pour être honnête, ne deviendra pas beaucoup plus pauvre car des acheteurs plus accommodants d'Asie, de Turquie, de Serbie et de certains pays de l'UE (en violation du courant dominant - l'Autriche et la Hongrie, par exemple) font la queue aux portes de Gazprom.
De son côté, Bruxelles, en tentant d'étrangler ou d'émasculer Nord Stream 2, finit par se tirer une balle dans le pied, laissant les installations de stockage des Etats de l'UE assurément sous-remplies. Mais il continue de chercher à l'étranger les responsables de la situation intérieure de l'UE. A ce constat, il faut signaler le contrat signé entre le Qatar et la Chine à la fin du mois de septembre 2021 comme l'agence Anadolu l 'indique: «La compagnie Qatar Petroleum a signé un accord de vente de gaz naturel liquéfié (GNL) à long terme avec son homologue CNOOC, filiale de la China National Offshore Oil Corporation, pour lui fournir 3,5 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié, par an». La durée de l'accord de vente de gaz naturel liquéfié entre les deux parties s'étendra sur les 15 prochaines années, à compter de l'année prochaine, laissant penser que le Qatar aurait préféré faire des livraisons de son gaz à la Chine qu'à l'UE.
Ainsi, la faute semble bien revenir aux responsables politiques de Bruxelles et des divers pays de l'UE qui n'ont pas su correctement négocier les livraisons de gaz et prévoir sa gestion.
Olivier Renault
La source originale de cet article est Observateur continental
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