Les témoignages sur les réseaux sociaux ont afflué tout le week-end, provoquant l'ire de nombreux internautes et responsables politiques. Plusieurs Africains affirment avoir été empêchés de monter dans les trains pour fuir l'Ukraine bombardée par la Russie depuis le 24 février. La priorité aurait été donnée aux personnes blanches. Les mêmes scènes se sont répétées aux frontières ukrainiennes, où patientent des milliers de personnes pour se mettre en sécurité en Pologne.
Sur une vidéo publiée par le compte Twitter Brayson53233089, on voit une femme noire tenter de monter dans un train à quai dans une gare ukrainienne. Des hommes en uniforme postés à l'entrée du wagon lui interdisent l'accès en criant "No, no". Quelques minutes plus tard, une femme blanche est autorisée à prendre place dans la rame.
"On est là depuis trois jours, c'est injuste !"
D'autres récits font état des mêmes discriminations, cette fois aux poste-frontières polonais. "Les étrangers n'ont pas le droit de franchir la frontière polonaise", raconte un étudiant Ivoirien vivant en Ukraine bloqué entre les deux pays, dans une vidéo publiée par le compte Niangob. Sur d'autres images relayées par la page Twitter de Damilare-Arah, un Africain assure que "toute personne noire n'est pas autorisée à passer la barrière [avec la Pologne, ndlr]. Seuls les Ukrainiens sont autorisés. Mêmes les femmes noires avec des enfants ne sont pas autorisées", dit l'un d'entre eux.
D'après plusieurs sources, les étudiants étrangers sont envoyés par les autorités polonaises au fond de la file d'attente, derrière les Ukrainiens. Les garde-frontières expliqueraient aux Africains "qu'ils doivent d'abord laisser passer les Ukrainiens", rapporte une journaliste de la BBC, en contact avec une Nigériane. "On est là depuis trois jours, c'est injuste !", soupire un jeune homme.
Des Africains ont également été violentés par les forces polonaises. Une vidéo montre un homme en uniforme asséné un coup de pied à un homme noir à la frontière ukraino-polonaise. D'autres encore ont été braqués par les autorités, armes à la main. "On n'a pas d'armes, nous sommes étudiants", répète à plusieurs reprises un homme dans une vidéo publiée par le compte Twitter Nzekiev.
We are currently at the Ukraine -Poland border.
Their Police and Army refused to let Africans cross they only allow Ukrainian.
Some have slept here for 2 days under this scorching cold weather, while many have gone back to Lviv.
"Nous sommes aussi des humains"
L'Ukraine compte 76 500 étudiants étrangers, la majorité étant originaires d'Inde, et 20% d'Afrique. Pour alerter sur leur situation, le hashtag #AfricansInUkraine a été lancé ce week-end et des groupes WhatsApp et Telegram ont été créés pour organiser leur assistance.
Les ambassades africaines ont été vivement critiquées pour ne pas avoir prévu de plan d'évacuation de leurs ressortissants. Un étudiant en médecine nigérian a expliqué au média irlandais Irish Times que les étudiants britanniques avec lesquels il avait étudié avaient été emmenés en bus à la frontière polonaise par les autorités universitaires, tandis que les Africains sont restés sur place. L'ambassade du Nigéria n'a pas répondu à ses appels. "Les étudiants noirs, les étudiants africains sont complètement délaissés. Nous sommes aussi des humains", a-t-il déclaré.
Face aux critiques, plusieurs responsables africains ont finalement réagi, à l'instar des autorités nigérianes. Contacté par une avocate, le ministre nigérian des Affaires étrangères a affirmé avoir échangé avec son homologue ukrainien. Celui-ci aurait ordonner à ses garde-frontières de laisser entrer tous les étrangers en Pologne. Le ministre ghanéen des Affaires étrangères a de son côté tweeté les coordonnées des fonctionnaires pouvant aider ses compatriotes à franchir les frontières.
En Europe aussi, les appels à mettre fin à ces discriminations se sont multipliés. Le candidat EELV à la présidentielle française, Yannick Jadot, s'est fendu d'un tweet, affirmant que "tout le monde doit pouvoir être accueilli.e dans un pays, ou le quitter s'il se sent menacé. TOUT LE MONDE". L'eurodéputé belge Saskia Bricmont a appelé l'UE à "actionner d'urgence [une] protection temporaire et la solidarité pour accueillir tous les réfugiés".
Le correspondant du Monde dans la région, Jean-Baptiste Chastand a tenu à nuancer les accusations de racisme. Selon lui, "il y a certainement pu avoir du racisme de certaines autorités dans ces conditions difficiles", mais les Africains seraient empêchés de traverser la frontière polonaise ou de monter dans les trains car les femmes et les enfants sont prioritaires. "Certains réfugiés ukrainiens se plaignent que les étrangers ne laissent pas fuir d'abord les femmes et les enfants", constate-t-il.
Depuis le début de l'offensive russe en Ukraine, plus de 150 000 personnes sont arrivées en Pologne. Les autres pays frontaliers doivent aussi faire face à un important afflux avec l'arrivée d'environ 43 000 personnes en Roumanie, plus de 70 000 en Hongrie et plus de 17 000 en Slovaquie.