Luk VERVAET
La Tempête Al Aqsa, l'offensive surprise de la résistance palestinienne lancée le matin du 7 octobre 2023, est l'insurrection d'un peuple enfermé dans un ghetto : incarcéré depuis des décennies dans des prisons, dans des camps de réfugiés, en Cisjordanie et à Gaza, la plus grande prison de sécurité maximum à ciel ouvert au monde.
Rappelons-nous les 750 000 Palestiniens expulsés lors du nettoyage ethnique pour créer l'État d'Israël entre 1947 et 1949. Les près de 80% de la Palestine occupée par les milices sionistes, les 530 villages détruits, les 70 massacres qui ont couté la vie à 15 000 Palestiniens.
Depuis des décennies, un million et demi des Palestiniens vivent, génération après génération, dans plus de 50 camps de réfugiés au Liban, en Syrie, en Jordanie, à Gaza. Tout au long de l'occupation coloniale de la Palestine, la politique d'implantation des colonies a continué, en vidant la terre par l'expropriation et l'expulsion de la population palestinienne. Les populations restantes ont été encerclées par des fossés autour de leurs villes (Jéricho) ou par des murs (Jérusalem).
Pendant tout ce temps, une des caractéristiques marquantes de l'occupation israélienne a été et est l'incarcération de masse. Depuis 1967, 850 000 Palestiniens, c'est-à-dire près de 40% de la population masculine et près de 20% de la population totale des territoires occupés, ont été incarcérés dans des prisons israéliennes. 227 Palestiniens y ont laissé la vie. Aujourd'hui, ils sont 5 250 prisonniers politiques dans des geôles israéliennes, dont 1 350 en détention administrative, sans aucune forme d'accusation ou de procès. Parmi eux, 39 femmes et 170 enfants. Parmi eux, 549 condamnés qui ne sortiront plus jamais et 600 prisonniers malades.
Et puis, il y a Gaza.
Une bande de terre de 41 km de long, 10 km de large, 365 km² (deux fois la superficie de la Région de Bruxelles-Capitale), avec une population de plus de 2 300 000 d'habitants, une densité de population des plus élevées au monde. Depuis 16 ans, ce petit bout de terre, est soumis à un blocus sans précédent, le transformant en un camp de concentration.
Le 19 septembre 2007, le cabinet israélien avait déclaré Gaza « entité ennemie ». Gaza devenait littéralement une prison où la population palestinienne purgeait une peine collective et d'où il était impossible de s'échapper. Priée de commenter cela, Condoleezza Rice, à ce moment la ministre des Affaires étrangères des EU, a répondu : « Gaza est une entité ennemie pour nous également ». Gaza devenait un ghetto, où la faim, les enfants sous-alimentés, les hôpitaux sans médicaments devenaient la norme.
En 2008, Wikileaks rendait public un mail de l'ambassade des EU à Tel Aviv dans lequel on pouvait lire : « Des officiels israéliens nous ont confirmé à plusieurs reprises qu'ils ont l'intention de maintenir l'économie à Gaza au bord de l'effondrement mais sans la détruire complètement ».
En novembre 2008, dans un rapport alarmant du Comité International de la Croix-Rouge, on apprenait ce que cela voulait dire. « Sous-alimentation chronique pour 70 % des 1,5 million d'êtres humains de la bande de Gaza ; 46 % des enfants souffrent d'anémie parce que leurs parents ne sont pas capables de les nourrir suffisamment ; accroissement alarmant du retard dans le développement, et des troubles mentaux, surdité largement répandue parmi les enfants par suite des franchissements du mur du son par les avions survolant Gaza à basse altitude. »
Dès 2012, l'Organisation des Nations unies (ONU) tirait la sonnette d'alarme. Elle estimait que ce territoire deviendrait « invivable » d'ici à 2020 si le blocus imposé par Israël, avec la collaboration de l'Égypte, n'était pas levé. (1)
L'année 2020 est passée, comme toutes les autres. Le monde était au courant de ce qui était en train de se passer à Gaza. Il a tourné la tête. Seize ans plus tard, rien n'a changé, la situation n'a fait que s'aggraver tout au long des années.
Les attentats du 11 septembre 2001 à Washington ?
« Cette attaque du Hamas, c'est notre 9/11 (le 11 septembre, jour des attentats contre le World Trade Center), déclarait l'ambassadeur israélien à l'ONU. « C'est notre Pearl Harbour. Le Hamas n'est rien d'autre que Al Qaeda et DAESH », y ajoutaient les services de propagande israéliens. Et Manuel Valls sur TV5 Monde : « C'est une répétition des attentats de Paris et de l'assassinat de l'enseignant Paty ». Toutes ces grandes déclarations, l'une plus stupide que l'autre, servent à justifier et à préparer les esprits occidentaux à la terreur sioniste qui va s'abattre sur Gaza.
Quant à la question de la colonisation, ses méthodes et ses conséquences, les politiciens étasuniens et européens, dont monsieur Valls, sont pourtant bien placés pour comprendre la situation coloniale en Palestine. Souvenez-vous de la manière dont vous avez traité les populations colonisées et voyez les ressemblances avec le traitement du peuple palestinien aujourd'hui.
En 1946, face à la rébellion du Viet Minh, la France a déplacé un demi-million de Cambodgiens vers des « agrovilles », des ghettos à la mode française. En 1955, en Algérie colonisée, la France a pratiqué le « quadrillage » (le grillage et la conquête graduelle des terres et des villes) et créé des « Centres de regroupements » de la population algérienne. Les paysans restants étaient chassés vers les bidonvilles autour des villes où ils vivaient sans travail, sans eau, égouts ou électricité. En 1961, 3,5 millions de personnes, la moitié de la population agraire de l'Algérie, avait été déplacée et « regroupée ». Dans ces camps, écrivait Le Figaro en 1958, il n'y avait pas eu « d'huile d'olive ou de pois chiches pendant un an et les enfants recevaient un verre de lait par semaine ».
On pourrait continuer la liste de la création des camps de concentration pour les Kényans par les Britanniques au déplacement de millions de paysans Vietnamiens par les Étasuniens dans des « hameaux stratégiques ». Une liste de crimes colonialistes sans fin. (2)
ou l'insurrection du ghetto de Varsovie en 1943 ?
S'il s'agit de faire des comparaisons historiques, une comparaison avec l'insurrection du ghetto de Varsovie pendant la Deuxième Guerre mondiale ne serait-elle pas plus adaptée ?
En s'emparant de la Pologne en 1939, le régime nazi « héritait » d'un plus grand nombre de Juifs qu'il y avait en Allemagne. Devant cette situation, le plan des nazis était de purifier ethniquement tout son territoire en expulsant tous les Juifs du Reich vers l'Est, le plus loin possible et de les mettre dans une vaste réserve. Pour y arriver, il fallait d'abord procéder à une concentration provisoire des Juifs dans des ghettos au sein ou au bord des villes. Le premier ghetto habitait la ville polonaise de Lodz. Six mois plus tard, le 12 octobre 1940, les nazis ouvraient le ghetto de Varsovie, au centre de la ville, sur une superficie d'environ 300 hectares. Il était entouré de 18 kilomètres de murs, hauts de trois mètres, et de fil de fer barbelé. Il y avait treize accès, des checkpoints extrêmement bien gardés. Les nazis vont y entasser jusqu'à 400 000 Juifs. Coupés du monde, affamés, victimes de typhus et de tuberculose, ils moururent par milliers. En 1943, lorsque les nazis ont commencé à transporter les Juifs restants au ghetto vers les camps d'extermination, une révolte armée contre les forces d'occupation allemandes éclata. Sept cents résistants, les armes à la main, se sont battus pendant plusieurs semaines. Du 19 avril au 16 mai 1943, ils ont tué une centaine de soldats nazis. Ces derniers ont répondu par la destruction du ghetto, maison par maison. 13 000 Juifs ont été massacrés, dont la moitié brûlés vifs.
« Aucun n'espérait survivre », a déclaré Marek Edelman, le commandant adjoint de l'insurrection et le seul dirigeant à avoir survécu à l'insurrection et à la guerre, mais « il s'agissait de ne pas laisser les Allemands décider de l'heure et du lieu de notre mort ». Après la guerre, Marek Edelman s'est rangé du côté des Palestiniens et il a soutenu leur résistance armée. Pour lui, le sionisme était une idéologie raciste utilisée pour justifier le vol des terres palestiniennes.(3)
Les mots de Marek Edelman sur le soulèvement du ghetto de Varsovie pourraient être ceux de Mohamed Deif, le commandant des Brigades Al-Qassam, sur le soulèvement du ghetto de Gaza : « décider de l'heure et du lieu de notre mort ».