08/05/2024 chroniquepalestine.com  6 min #248196

Israel largue des tracts sur l'Est de Rafah, en annonçant une attaque pour ce 6 mai !

Rafah : le point de non-retour est déjà dépassé

Les Palestiniens pleurent leurs proches tués lors d'une attaque israélienne à Rafah, Gaza, le 06 mai 2024 - Photo : Abed Rahim Khatib via Memo

Par  Ghada Ageel

Le massacre d'Israël à Rafah ne commencera pas par une invasion terrestre, car il a déjà commencé.

Si l'on écoute les dirigeants de la planète, on pourrait se laisser bercer par l'idée que Rafah est un lieu sûr. Mais cette ville, nichée dans la partie sud de la bande de Gaza, est au seuil de la terreur depuis qu'Israël a lancé son assaut génocidaire le 7 octobre.

Le bilan quotidien du génocide et de la destruction a été dévastateur, même en l'absence d'une invasion terrestre.

Il y a six mois, une frappe aérienne israélienne a visé la maison de mon parent Ayman à Rafah. C'était le 21 octobre, et toute la famille se préparait à célébrer les anniversaires de ses enfants Sham et Adam ; Sham fêtait ses neuf ans et Adam ses trois ans.

Ayman était monté à l'étage pour vérifier si le réservoir d'eau était rempli lorsque les bombes sont tombées, tuant ses deux enfants, deux de ses belles-sœurs, leurs cinq enfants et quatre autres membres de la famille.

La femme d'Ayman, Dareen, a été grièvement blessée dans l'attaque. Elle étendait du linge sur le balcon lorsque la roquette a frappé l'immeuble et l'a projetée de l'autre côté de la rue. Lorsqu'Ayman l'a rejointe, elle respirait encore. Elle l'a supplié de sauver leur petite fille.

Alors qu'elle était mourante, Dareen a été transportée d'urgence à l'hôpital dans une tentative désespérée de sauver leur enfant à naître. Les médecins ont vaillamment fait tout leur possible, pratiquant une césarienne pour mettre au monde un bébé fragile.

Ayman l'a appelée Mecca, comme ils en avaient convenu avec Dareen. Cependant, la mort de sa mère et le manque d'oxygène avaient déjà fait des ravages. Mecca a lutté pendant trois jours, son petit corps ravagé par des convulsions. Le troisième jour, elle s'éteint à son tour.

Il ne restait de leur famille qu'un père au cœur brisé, avec une date de naissance et une date de décès gravées dans son âme.

Depuis le mois d'octobre, de nombreuses familles de Rafah ont connu le sort horrible de la famille d'Ayman. Les massacres aériens d'Israël n'ont jamais cessé, même si le pays a ordonné à plus d'un million d'habitants du nord de la bande de Gaza d'évacuer vers le sud.

Au lieu d'être en sécurité, les Palestiniens qui ont fui vers le sud ont vu la mort pleuvoir à nouveau sur eux. Au cours d'un récent week-end, des dizaines de personnes ont été tuées, la plupart d'entre elles étant des enfants.

Le vendredi 19 avril, Israël a  bombardé le quartier de Tal as-Sultan où les familles Radwan et Joudah avaient trouvé refuge. Abdel-Fattah Radwan, sa femme Najlaa Aweidah et leurs trois enfants Leen, Nadya et Amer sont morts. La sœur d'Abdel-Fattah, Rawan, et sa fille Alaa, âgée de cinq ans, ont également été tuées. Hamza et Sama Zaqout se rendaient dans l'appartement pour jouer avec les autres enfants. Ils sont également morts.

Le samedi 20 avril, les bombes israéliennes ont anéanti la majeure partie de la famille Abdel Aal : 15 enfants et leurs mères Yasmeen, Sujoud et Rasha, ainsi que leur grand-mère Hamdeh. La perte est stupéfiante : tous les enfants de la famille ont péri en un instant. Les vies innocentes de Sidra, Mohammed, Layan, Yasser, Muhannad, Osama, Ismail, Ahmad, Sajida, Shahd, Abdullah, Yasser, Othman, Ismail et Mahmoud ont été détruites en un instant.

Le lieu où l'on cherchait la sécurité s'est transformé en cimetière en un clin d'œil.

L'horreur de ce massacre se lisait sur les visages de ceux qui, à mains nues, fouillaient les décombres à la recherche des corps des enfants.

Le même samedi, au cœur de Rafah, près de la mosquée al-Awda, un bombardement israélien a tué Shukri Joudeh et sa fille Malak. Sa femme enceinte, Sabreen, a été grièvement blessée et transportée à l'hôpital. Peu de temps après son arrivée, elle a été déclarée morte.

Les médecins ont alors tenté désespérément de sauver l'enfant à naître, en pratiquant une césarienne d'urgence. Par miracle, le bébé est né vivant. Elle n'est restée orpheline dans ce monde que quelques jours avant de s'éteindre à son tour.

Mon professeur, le Dr Akram Habeeb, professeur associé à l'université islamique de Gaza, qui est aujourd'hui  en ruines après avoir été prise pour cible, comme toutes les universités de Gaza, par les forces d'occupation israéliennes (FIO), a écrit une supplique née du désespoir :

Quand cesserons-nous de compter les morts ?
Quand l'Église de Rome commencera-t-elle à sonner le tocsin ?
Quand la miséricorde sera-t-elle dans vos cœurs pour sonner notre glas ?
Quand commencerez-vous à raconter notre véritable histoire ?
Quand le Conseil de sécurité aura-t-il son mot à dire ?
Quand le monde éteindra-t-il l'enfer de Gaza ?
Quand le monde cessera-t-il de nous considérer comme des chiffres sur des écrans ?
Quand les criminels cesseront-ils de tuer les rêves de nos enfants ?
Quand la justice coiffera-t-elle sa couronne pour défendre notre cause ?
Quand la guerre contre Gaza prendra-t-elle fin, ou même seulement marquera une pause ?

Les questions du Dr Habeeb font écho à l'angoisse collective de 2,2 millions de Palestiniens victimes d'un génocide. Environ 1,5 million d'entre eux se trouvent à Rafah et n'ont nulle part où aller.

La nouvelle selon laquelle le gouvernement des États-Unis a fourni à l'armée israélienne une aide militaire supplémentaire de 17 milliards de dollars pour poursuivre son génocide à Gaza n'a fait qu'aggraver le désespoir des Palestiniens.

Pourtant, il y a une lueur d'espoir : les manifestations sur les  campus qui ont lieu aux États-Unis, en Europe et ailleurs. Elles montrent que les jeunes générations connaissent le chemin de la justice.

La nécessité de mettre fin au génocide, de rendre des comptes et d'apporter des changements significatifs n'a jamais été aussi pressante. Il est impératif que les bonnes volontés du monde entier maintiennent la pression afin que nous puissions avoir une Palestine libre et reléguer les auteurs de génocide dans les poubelles de l'histoire.

Auteur :  Ghada Ageel


* Dr. Ghada Ageel est professeure invitée au département de sciences politiques de l'université de l'Alberta (Edmonton, Canada). Chercheuse indépendante, elle participe activement à l'initiative Faculty4Palestine - Alberta.Son nouveau livre,  Apartheid in Palestine: Hard Laws and Harder Experiences, est à paraître aux éditions University of Alberta Press (Canada).

5 mai 2024 -  Al-Jazeera - Traduction :  Chronique de Palestine

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