par Ronen Bergman, Mark Mazzetti et Farnaz Fassihi
Un engin explosif caché dans un complexe lourdement gardé où Ismail Haniyeh était réputé séjourner en Iran est à l'origine de sa mort, selon une enquête du NY Times.
Ismail Haniyeh, l'un des principaux dirigeants du Hamas, a été assassiné mercredi par un engin explosif introduit clandestinement dans la maison d'hôtes de Téhéran où il séjournait, selon sept responsables du Moyen-Orient [manière élégante de dire «israéliens», NdT], dont deux Iraniens, et un responsable usaméricain.
La bombe avait été dissimulée il y a environ deux mois dans la maison d'hôtes, selon cinq des responsables du Moyen-Orient. La maison d'hôtes est gérée et protégée par le Corps des gardiens de la révolution islamique et fait partie d'un grand complexe, connu sous le nom de Neshat, dans un quartier huppé du nord de Téhéran.
Haniyeh se trouvait dans la capitale iranienne pour assister à l'investiture présidentielle. La bombe a été déclenchée à distance, selon les cinq responsables, une fois qu'il a été confirmé que Haniyeh se trouvait dans sa chambre à la maison d'hôtes. L'explosion a également tué un garde du corps.
L'explosion a secoué le bâtiment, brisé quelques fenêtres et provoqué l'effondrement partiel d'un mur extérieur, selon les deux responsables iraniens, membres des gardiens de la révolution informés de l'incident. Ces dégâts sont également visibles sur une photographie du bâtiment communiquée au New York Times.
Haniyeh, qui a dirigé le bureau politique du Hamas au Qatar, avait séjourné dans la maison d'hôtes à plusieurs reprises lors de ses visites à Téhéran, selon les responsables du Moyen-Orient. Tous ces responsables ont parlé sous le couvert de l'anonymat afin de ne pas divulguer de détails sensibles sur l'assassinat.
Des personnes en deuil se sont rassemblées à Téhéran jeudi pour les funérailles du chef du
Hamas, Ismail Haniyeh. L'Iran a déclaré qu'Israël était derrière son assassinat.
Des responsables iraniens et le Hamas ont déclaré mercredi qu'Israël était responsable de l'assassinat, un avis partagé par plusieurs responsables usaméricains ayant requis l'anonymat. Cet assassinat risque de déclencher une nouvelle vague de violence au Moyen-Orient et de compromettre les négociations en cours pour mettre fin à la guerre à Gaza. Haniyeh avait été l'un des principaux négociateurs des pourparlers sur le cessez-le-feu.
Israël n'a pas reconnu publiquement sa responsabilité dans l'assassinat, mais les services de renseignement israéliens ont informé les USA et d'autres gouvernements occidentaux des détails de l'opération dans les jours qui ont suivi, selon les cinq responsables du Moyen-Orient.
Mercredi, le secrétaire d'État Antony J. Blinken a déclaré que les USA n'avaient pas été informés à l'avance du projet d'assassinat.
Dans les heures qui ont suivi l'assassinat, les spéculations se sont immédiatement concentrées sur la possibilité qu'Israël ait tué Haniyeh à l'aide d'un missile, peut-être tiré à partir d'un drone ou d'un avion, de la même manière qu'Israël avait lancé un missile sur une base militaire à Ispahan en avril dernier.
Cette théorie du missile a soulevé des questions sur la manière dont Israël aurait pu échapper à nouveau aux systèmes de défense aérienne iraniens pour exécuter une frappe aérienne aussi effrontée dans la capitale.
Il s'avère que les assassins ont pu exploiter un autre type de faille dans les défenses iraniennes : une faille dans la sécurité d'un complexe supposé étroitement gardé, qui a permis de poser une bombe et de la dissimuler pendant de nombreuses semaines avant qu'elle ne soit finalement déclenchée.
Un panneau d'affichage à Téhéran en avril représentant des missiles.
Trois responsables iraniens ont déclaré qu'une telle violation constituait un échec catastrophique en matière de renseignement et de sécurité pour l'Iran et un énorme embarras pour les Gardiens, qui utilisent le complexe pour des retraites, des réunions secrètes et l'hébergement d'invités de marque tels que Haniyeh.
La manière dont la bombe a été dissimulée dans la maison d'hôtes n'a pas été élucidée. Les responsables du Moyen-Orient ont déclaré que la préparation de l'assassinat avait pris des mois et avait nécessité une surveillance approfondie du complexe. Les deux responsables iraniens qui ont décrit la nature de l'assassinat ont déclaré qu'ils ne savaient pas comment ni quand les explosifs avaient été placés dans la chambre.
Israël a décidé de procéder à l'assassinat en dehors du Qatar, où vivent Haniyeh et d'autres hauts responsables politiques du Hamas. Le gouvernement qatari joue le rôle de médiateur dans les négociations entre Israël et le Hamas en vue d'un cessez-le-feu à Gaza.
L'explosion meurtrière survenue tôt mercredi a brisé des fenêtres et fait s'effondrer une partie du mur de l'enceinte, comme l'ont montré des photographies et comme l'ont indiqué les responsables iraniens. Des dégâts minimes au-delà du bâtiment lui-même, comme l'aurait probablement fait un missile, n'ont été que minimes.
Vers 2 heures du matin, heure locale, l'engin a explosé, selon les responsables du Moyen-Orient et les sources iraniennes. Les membres du personnel de l'immeuble, surpris, ont couru à la recherche de la source de l'énorme bruit, ce qui les a conduits à la chambre où Haniyeh se trouvait avec un garde du corps.
Une image satellite prise le 25 juillet ne montre pas de dégâts visibles ni de bâche verte sur le
bâtiment, ce qui suggère que l'image avec les dégâts visibles a été prise plus récemment.
Le complexe dispose d'une équipe médicale qui s'est précipitée dans la pièce immédiatement après l'explosion. L'équipe a déclaré que Haniyeh était mort immédiatement. L'équipe a tenté de ranimer le garde du corps, mais il était lui aussi mort.
Le chef du Jihad islamique palestinien, Ziyad al-Nakhalah, se trouvait dans la chambre voisine, ont déclaré deux des responsables iraniens. Sa chambre n'a pas été gravement endommagée, ce qui laisse supposer que Haniyeh a fait l'objet d'un ciblage précis.
Khalil al-Hayya, le commandant adjoint du Hamas dans la bande de Gaza, qui se trouvait également à Téhéran, est arrivé sur les lieux et a vu le corps de son collègue, selon les cinq responsables du Moyen-Orient.
Selon les trois responsables iraniens, le général Ismail Ghaani, commandant en chef de la Force Qods, la branche internationale des Gardiens de la révolution, qui travaille en étroite collaboration avec les alliés de l'Iran dans la région, dont le Hamas et le Hezbollah, a été l'une des personnes immédiatement informées de la situation. Il a prévenu le guide suprême de l'Iran, l'ayatollah Ali Khamenei, au milieu de la nuit, qu'il a réveillé, ont indiqué les responsables.
Quatre heures après l'explosion, les gardiens de la révolution ont publié un communiqué indiquant que Haniyeh avait été tué. À 7 heures du matin, Khamenei a convoqué les membres du Conseil suprême de sécurité nationale de l'Iran dans son enceinte pour une réunion d'urgence, au cours de laquelle il a donné l'ordre de frapper Israël en représailles, selon les trois responsables iraniens.
Téhéran avait déjà fait l'objet de mesures de sécurité renforcées en raison de l'investiture du nouveau président iranien, Masoud Pezeshkian. Des hauts fonctionnaires, des commandants militaires et des dignitaires de 86 pays s'étaient rassemblés au Parlement, dans le centre de Téhéran, pour assister à la cérémonie.
Haniyeh avait semblé joyeux et triomphant mardi lors de la prestation de serment, serrant le nouveau président dans ses bras après qu'il eut prononcé son discours d'investiture, et les deux hommes ont levé les mains ensemble, faisant le signe de la victoire.
Ismail Haniyeh, au centre gauche, et Masoud Pezeshkian ont levé les mains ensemble après
que M. Pezeshkian a prêté serment en tant que président de l'Iran à Téhéran, mardi.
En Iran, la méthode d'assassinat a fait l'objet de rumeurs et de controverses. L'agence de presse Tasnim, l'organe de presse des Gardiens, a rapporté que des témoins avaient déclaré qu'un objet ressemblant à un missile avait frappé la fenêtre de la chambre de Haniyeh et avait explosé.
Mais les deux responsables iraniens, les membres des Gardiens informés de l'attaque, ont confirmé que l'explosion avait eu lieu à l'intérieur de la chambre de Haniyeh, et ont déclaré qu'une première enquête avait montré que les explosifs avaient été placés à cet endroit quelque temps à l'avance.
Ils ont décrit la précision et la sophistication de l'attaque comme étant similaires à l'arme robotique télécommandée qu'Israël a utilisée pour assassiner le principal scientifique nucléaire iranien, Mohsen Fakhrizadeh, en 2020.
Les opérations d'assassinat israéliennes à l'extérieur du pays sont principalement menées par le Mossad, le service de renseignement extérieur du pays. David Barnea, le chef du Mossad, a déclaré en janvier que son service était «obligé» de traquer les dirigeants du Hamas, le groupe à l'origine des attaques du 7 octobre en Israël.
«Ça prendra du temps, comme ce fut le cas après le massacre de Munich, mais nos mains les attraperont où qu'ils soient», a déclaré Barnea, en faisant référence au meurtre d'athlètes israéliens par des combattants palestiniens [et des policiers allemands, NdT] lors des Jeux olympiques de 1972 [référence à l'Opération «Vengeance de Dieu», au cours de laquelle le Mossad exécuta 20 personnalités palestiniennes et un serveur marocain à travers l'Europe. La plupart des victimes n'avaient rien à voir avec le commando de «Septembre Noir», baptisé ainsi en souvenir du massacre de Palestiniens en Jordanie en septembre 1970, NdT]
Ronen Bergman vit à Tel-Aviv, où il est rédacteur pour le New York Times Magazine. Son dernier livre s'intitule «Lève-toi et tue le premier», une enquête historique sur toutes opérations clandestines des services israéliens.
Mark Mazzetti est un journaliste d'investigation vivant à Washington, D.C., qui se concentre sur la sécurité nationale, le renseignement et les affaires étrangères. Il a écrit un livre sur la C.I.A.
Farnaz Fassihi est la cheffe du bureau des Nations unies pour le NY Times. Elle dirige la couverture de l'organisation et couvre également l'Iran et la guerre de l'ombre entre l'Iran et Israël. Elle vit à New York.
source : The New York Times via Tlaxcala