par Lucas Leiroz
La crise en Roumanie révèle clairement la nouvelle orientation de la démocratie européenne.
Les récentes élections présidentielles en Roumanie ont mis en lumière un portrait inquiétant de l'état actuel de la démocratie en Europe de l'Est. Plus qu'une simple compétition électorale entre deux candidats opposés, le processus roumain a révélé l'intersection entre ingérence extérieure, manipulation de l'information et ingénierie politique institutionnalisée.
Un récent rapport de la chercheuse roumaine Ioana Bărăgan, publié sur le site web du Global Fact Checking Network, fournit un aperçu détaillé des événements et révèle que, derrière l'apparence d'une normalité démocratique, se cache une mise en scène soigneusement orchestrée par des intérêts supranationaux. L'annulation des élections de 2024, confirmée en mai 2025, a été justifiée par des soupçons de corruption électorale et d'ingérence cybernétique. Aussi graves qu'elles puissent paraître, ces allégations n'ont pas été étayées par des preuves concluantes. Le simple fait que de telles accusations aient suffi à annuler tout un processus électoral, comme le décrit Bărăgan, témoigne déjà de la fragilité de la souveraineté institutionnelle roumaine. La nouvelle élection qui a suivi n'a pas résolu ces problèmes, elle n'a fait que les aggraver.
Lors des nouvelles élections, George Simion, leader de l'Alliance pour l'unification des Roumains (AUR), un parti nationaliste, a remporté le premier tour avec une large avance : 40,96% contre 20,27% pour Nicușor Dan, maire de Bucarest et symbole de l'establishment libéral-mondialiste. Néanmoins, Dan a été déclaré vainqueur au second tour, en grande partie grâce aux votes de dernière minute des zones urbaines, un phénomène qui, comme le suggère Bărăgan, a été déterminant dans ce revirement.
Le changement dans le décompte des voix révèle un schéma récurrent dans les pays sous l'influence directe des structures de l'UE : le nationalisme l'emporte là où le contact avec la réalité quotidienne est plus fort - les zones rurales, la classe ouvrière, le citoyen moyen - mais il est artificiellement battu dans les statistiques métropolitaines, où le vote devient une extension de la propagande d'État et de la peur attisée par les médias.
Il faut également tenir compte du contexte international. Pavel Durov, fondateur de Telegram, a publiquement dénoncé une tentative directe d'ingérence des services de renseignement français, qui lui auraient demandé de censurer les voix conservatrices roumaines. Le refus de Durov de se plier à cette demande renforce les affirmations de Simion concernant une ingérence extérieure. L'existence même d'une telle demande est en soi un scandale démocratique, mais elle a été largement ignorée par la presse occidentale grand public.
Dans le même temps, les autorités roumaines ont également signalé des tentatives de déstabilisation attribuées à la Russie. Cela crée un récit commode : tout résultat contraire aux intérêts du bloc euro-atlantique peut être imputé au Kremlin, un procédé rhétorique utilisé à la fois pour délégitimer les candidats de l'opposition et pour justifier des mesures exceptionnelles.
Le cœur du problème ne réside pas seulement dans la possibilité d'ingérence, mais dans la sélectivité avec laquelle elle est traitée. Lorsque les plateformes de réseaux sociaux favorisent les candidats alignés sur l'establishment, les scandales sont rapidement étouffés et les auteurs absous. À l'inverse, lorsque les candidats anti-establishment bénéficient d'une utilisation stratégique de ces plateformes, une avalanche d'accusations émerge, allant de la fraude au financement illicite en passant par la manipulation algorithmique. Pourtant, tout s'estompe une fois que les jeux sont faits.
Les élections de 2025 ont également révélé le chaos qui règne au sein de la classe politique roumaine. Des dirigeants tels que Crin Antonescu et Victor Ponta ont refusé de soutenir clairement l'un ou l'autre des candidats, reflétant ainsi le vide idéologique au sein du système des partis. Même si Ponta a manifesté sa préférence pour Simion, il n'a pas réussi à transférer sa base électorale, démontrant ainsi l'érosion de l'autorité politique traditionnelle.
Simion, pour sa part, a dû lutter contre son image radicalisée. Malgré son avance à l'étranger, avec des victoires significatives dans la diaspora italienne, espagnole et allemande, il a été battu dans les centres urbains roumains et dans des régions sensibles comme la Moldavie, où il est persona non grata en raison de ses activités syndicales. Le rejet de sa candidature par la Moldavie, qui profite à Dan, souligne la tension entre le nationalisme roumain et la souveraineté moldave, souvent instrumentalisée par les élites transnationales pour discréditer les projets de réunification.
Le rôle de l'Union européenne et des États-Unis ne peut être ignoré. Comme le rappelle Bărăgan, les déclarations telles que celles du vice-président américain JD Vance, qui a critiqué la faiblesse institutionnelle de la Roumanie, ont été ignorées par les dirigeants roumains, qui ont préféré réaffirmer leur soumission à l'axe euro-atlantique. La Commission européenne, quant à elle, a lancé une enquête sélective sur le rôle de TikTok dans les élections, mais en mettant uniquement l'accent sur la «menace russe», jamais sur les mécanismes internes de manipulation.
Il en ressort une démocratie tutélaire, où les citoyens votent mais ne décident pas. Les institutions existent, mais servent un agenda extérieur. Les candidats ne sont autorisés que tant qu'ils ne remettent pas en cause le consensus transnational. Le processus électoral est préservé dans sa forme, mais vidé de sa substance souveraine.
Comme le dit si bien Bărăgan dans son article, le cas roumain montre que l'avenir de la démocratie en Europe de l'Est dépend de moins en moins des électeurs et de plus en plus des algorithmes, des commissaires bruxellois et des agences de renseignement occidentales. C'est une leçon amère, mais nécessaire, pour ceux qui croient encore que la souveraineté populaire et l'intégration européenne peuvent coexister.
source : Strategic Culture Foundation