03/09/2025 ssofidelis.substack.com  7min #289253

 Venezuela : Le véritable objectif du Commandement Sud sur les côtes vénézuéliennes

La diplomatie de la canonnière

Simón Bolívar (1783-1830), Liberateur et premier President de Bolivie. Artiste inconnu

Par  Hans Vogel, le 2 septembre 2025

Certaines choses semblent ne jamais devoir changer. Maintenant que le monopole américain du terme "américain" est universellement reconnu (même dans de nombreuses régions d'Amérique latine), rien d'étonnant à ce que la politique américaine en Amérique latine n'ait pas changé depuis près de deux siècles.

Actuellement, une escadre de la marine américaine patrouille au large des  côtes vénézuéliennes. C'est ce que l'on appelle la "diplomatie de la canonnière", une pratique insolite initiée par les Anglais à l'époque où la Grande-Bretagne régnait encore sur les mers, et adoptée par les États-Unis, l'Allemagne, la France, l'Italie et les Pays-Bas, avec plus ou moins de succès.

Aujourd'hui, nous assistons en direct à une autre démonstration de diplomatie de la canonnière contre le Venezuela. À la différence de la Grenade en 1983 et du Panama en 1989, où ce type de diplomatie s'est mué en invasion à grande échelle, le Venezuela constitue un casse-tête difficile à résoudre. Si certains Américains sont capables de localiser le Venezuela sur une carte, les médias grand public sont peu diserts sur le sujet. Seule une poignée d'Américains connaît la culture vénézuélienne et sait comment les Vénézuéliens fonctionnent, tant individuellement que collectivement. Et il est peu probable de les compter parmi les conseillers de Donald Trump.

Il faut savoir que les Vénézuéliens, bien qu'ils soient "latino-américains", sont très différents des Nicaraguayens, Salvadoriens ou Guatémaltèques. Ils n'ont rien à voir non plus avec les Mexicains ou les Cubains, même si leur espagnol peut ressembler à celui des Cubains.

La dernière fois que la diplomatie par les armes a donné des résultats tangibles au Venezuela, c'était en 1908, lorsque la marine néerlandaise est intervenue pour porter au pouvoir Juan Vicente Gómez, alors vice-président, tandis que le président Cipriano Castro se rendait à Paris pour se faire soigner de la syphilis. Gómez est resté au pouvoir jusqu'en 1935, soit à titre de président, soit en tant qu'"éminence grise" dirigeant le pays par l'intermédiaire d'hommes de paille. Gómez a su renvoyer l'ascenseur aux Néerlandais en accordant des avantages considérables à la Shell Oil Company, à l'époque une société anglo-néerlandaise. Cette décision a permis au Venezuela de rejoindre le club restreint des principaux producteurs mondiaux de pétrole. Au début des années trente, le Venezuela était le troisième plus grand producteur, après les États-Unis et l'URSS. Trente ans plus tard, dans les années soixante, le Venezuela s'est hissé à la deuxième place, avant d'être dépassé par les nouveaux pays producteurs de pétrole du Moyen-Orient. Aujourd'hui, le Venezuela se classe 21è.

La production mondiale de pétrole étant actuellement supérieure à la demande, l'insistance avec laquelle Donald Trump tente aujourd'hui d'imposer sa volonté au Venezuela pourrait ne pas être directement liée au pétrole. Une explication possible tient peut-être à ce que de nombreuses raffineries américaines ont été conçues pour traiter le brut vénézuélien, lourd et visqueux, et qu'il serait coûteux et complexe de les adapter à d'autres hydrocarbures. Durant les dernières décennies, le Venezuela n'a pas vraiment été un partenaire commercial de choix pour les Américains.

Bien sûr, officiellement, la manœuvre actuelle des États-Unis prétend être liée au trafic de drogue. Ce prétexte est toutefois ridicule, car si le Venezuela jouait un rôle dans ce domaine, il ne serait que très modeste. La Colombie étant le  premier producteur mondial de cocaïne, avec les deux tiers de la superficie cultivée au monde consacrée à la culture de la coca (suivie par le Pérou avec un quart et la Bolivie avec près de 10 %), le Venezuela ne peut tout simplement pas être perçu comme un acteur majeur à cet égard.

Compte tenu de la nature du trafic de drogue, des risques y afférents, mais surtout des intérêts financiers et politiques colossaux en jeu, il serait hasardeux de faire des déclarations trop catégoriques. Cependant, au fil des ans, on peut affirmer sans grand risque que les agences de renseignement américaines, en particulier la CIA, jouent un rôle clé dans ce secteur. C'est elle qui supervise et coordonne la production des matières premières, organise le processus de fabrication de la drogue et le transport de la marchandise vers les principaux marchés d'Amérique du Nord, d'Europe et d'ailleurs. La DEA joue également un rôle clé dans ces opérations, contribuant ainsi à éliminer les concurrents indésirables et à maintenir des prix suffisamment élevés pour que les parties prenantes réalisent d'importants profits, le tout sans payer d'impôts ! On peut donc raisonnablement conclure que l'État profond américain porte la responsabilité du trafic de drogue à l'échelle mondiale.

Par conséquent, les accusations portées contre le président vénézuélien Nicolas Maduro sont aussi scandaleuses qu'infondées et dénuées de tout fondement. En réalité, les États-Unis tentent de réitérer l'opération menée en 1989 contre l'homme fort du Panama, Manuel Noriega, extradé à Miami pour trafic de drogue et emprisonné depuis dans une prison américaine.

Cependant, il ne sera probablement pas aussi facile d'arrêter Maduro, car une invasion du Venezuela par les troupes américaines semble exclue, le Venezuela n'étant pas le Panama, qui présentait l'avantage pour les États-Unis d'abriter d'importantes bases militaires (dans la zone du canal de Panama). Les bases les plus proches du Venezuela à partir desquelles les États-Unis pourraient opérer sont les îles de Curaçao, d'Aruba et de Bonaire, qui font toutes trois partie du Royaume des Pays-Bas. Bien que les Pays-Bas soient un État vassal des États-Unis et un membre loyal de l'OTAN, la création d'une base opérationnelle américaine à court terme sur ces îles se heurte à de nombreuses considérations pratiques et politiques.

Toutefois, d'autres obstacles à une réédition sans accroc de l'opération panaméenne sont à prendre en compte, notamment la géographie du Venezuela et la taille, l'état d'esprit et le niveau de préparation au combat de ses forces armées. Si le Panama est un État en proie à des difficultés, le Venezuela est l'héritier de la tradition bolivarienne et ses habitants, sont un peuple fier et profondément attaché à son indépendance.

Même si les conseillers de Trump, et peut-être Trump lui-même, considèrent Maduro comme une version contemporaine de Noriega ou une version latino-américaine de Saddam Hussein, et s'attendent à ce que l'armée vénézuélienne s'effondre dès l'arrivée des Américains, ils se bercent d'illusions. Toute intervention armée américaine au Venezuela se heurtera à une forte résistance.

Ceux qui se sont déjà rendus au Venezuela et ont passé du temps avec les Vénézuéliens savent qu'ils ne sont pas des proies faciles. Prenons l'exemple de la vie nocturne à Caracas. Un jour, alors que je prenais un verre avec un professeur de la Universidad Central de Venezuela, j'ai été surpris d'apprendre qu'il portait toujours une arme automatique à la ceinture, ce qu'aucun de mes collègues américains ou européens n'aurait jamais songé à faire. À Caracas, la plupart des hommes dans les bars sont équipés de la même manière. Et ne croyez pas que ces armes ne sont jamais utilisées. Leur propriétaire peut les dégainer dès qu'il se sent menacé ou insulté.

Un diplomate européen haut placé m'a un jour dit que les Vénézuéliens ont la réputation d'être de coriaces négociateurs, ajoutant que, contrairement à beaucoup d'autres pays d'Amérique latine, les couteaux ne sont pas cachés sous la table, mais toujours en évidence.

En d'autres termes, les Vénézuéliens sont fiers, déterminés et combatifs, et ils ne céderont pas, conformément à leur histoire, depuis qu'ils sont devenus la troisième nation indépendante d'Amérique, après les États-Unis et Haïti. Et contrairement aux États-Unis, ils ont obtenu leur indépendance sans le soutien de l'Europe.

L'issue de l'impasse actuelle étant totalement imprévisible, le président  Maduro pourrait changer de stratégie et tenter l'apaisement avec le dur à cuire de la Maison Blanche.

Quoi qu'il en soit, Donald Trump ferait bien de ne pas sous-estimer le président vénézuélien.

Traduit par  Spirit of Free Speech

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