
Par Ahmad Ibsais, le 29 octobre 2025
Une autre nation riche en pétrole, une autre pseudo-menace.
La machine de guerre prend position au large des côtes vénézuéliennes, et avec elle, le discours éculé sur la drogue, le terrorisme et "la protection des intérêts américains". Mais quiconque prend la peine de se pencher sur l'histoire ou simplement sur les contradictions flagrantes de la rhétorique de l'administration Trump saisira aisément les enjeux. Les États-Unis fabriquent le consentement à un changement de régime, et le scénario est aussi prévisible que l'impérialisme américain lui-même.
Dix mille soldats à bord de l'USS Gerald R. Ford, le plus grand navire de guerre au monde, patrouillent désormais dans les Caraïbes, flanqués de destroyers, de navires d'assaut amphibie et d'un sous-marin nucléaire. Le Pentagone qualifie cette opération de lutte contre le trafic de drogue. Pourtant, les analystes militaires s'accordent à dire qu'intercepter des bateaux chargés de drogue ne nécessite pas une telle puissance de feu. L'ampleur même du déploiement, combinée à au moins 57 exécutions extrajudiciaires lors de frappes contre des navires supposés transporter de la drogue, raconte une toute autre histoire.
Photo illustration © Elise Swain/The Intercept, Getty Images
Mais l'argumentation officielle ne tient pas la route au regard des faits. L'administration Trump affirme que le président vénézuélien, Nicolás Maduro, serait à la tête du "Cartel de los Soles", une vaste organisation de trafic de drogue qui inonderait les rues américaines de cocaïne. Le secrétaire d'État, Marco Rubio, a mis à prix la tête de Maduro pour 50 millions de dollars. Pourtant, le rapport 2024 National Drug Threat Assessment de l'Agence américaine de lutte contre le trafic de stupéfiants (DEA) ne mentionne même pas le Venezuela. Un rapport classifié du Conseil national du renseignement n'a pas trouvé la moindre preuve de l'implication de Maduro dans une quelconque organisation de trafic de drogue. Lorsque les renseignements contredisent le discours politique, l'administration se contente de renvoyer ceux qui exposent des faits gênants, comme ce fut le cas avec Mike Collins, le directeur par intérim du National Intelligence Council.
En réalité, le Venezuela joue un rôle marginal dans le trafic de drogue, comparé à la Colombie, au Mexique et à l'Équateur. Le pays ne produit pas de coca et n'est pas impliqué dans la production de drogues synthétiques ou dans la crise du fentanyl qui ravage les communautés américaines. Si l'administration Trump était véritablement préoccupée par la lutte contre le trafic de drogue, elle se tournerait vers d'autres pays. Mais il n'a jamais été question de drogue.
Les analogies avec les interventions américaines passées sautent aux yeux. En 1989, les États-Unis ont envahi le Panama pour arrêter Manuel Noriega, accusé de trafic de drogue. Ce dernier était, fort opportunément, à la solde de la CIA depuis des années. Les bombardements américains ont tué des centaines de civils panaméens et ont mené à la destitution de Noriega. Trente ans plus tard, le Panama a déclaré la date de l'invasion jour de deuil national.
La CIA a précédemment soutenu un changement de régime au Guatemala, favorisant l'instauration de dictatures et provoquant des centaines de milliers de morts. À Cuba, Fidel Castro a survécu à des opérations secrètes menées par plusieurs présidents américains. Le scénario est toujours le même : l'intervention américaine en Amérique latine, justifiée par une noble rhétorique, engendre le chaos, la violence et une haine anti-américaine tenace.
Le Venezuela est aujourd'hui confronté aux mêmes stratégies cyniques. L'administration a approuvé des opérations secrètes de la CIA. Trump lui-même l'a confirmé, compromettant ainsi le concept même du secret. La dirigeante de l'opposition vénézuélienne María Corina Machado, lauréate récente du prix Nobel de la paix qu'elle a dédié à Trump, a ouvertement approuvé l'intervention militaire américaine dans son propre pays. Par ailleurs, Trump a évoqué une "action terrestre" et le secrétaire à la Défense, Pete Hegseth, a confirmé que six "narco-terroristes" ont été tués lors d'une récente frappe dans les Caraïbes. Sans procès, sans procédure régulière, sans la moindre preuve à présenter à l'opinion publique.
D'autant que le Venezuela revêt une importance stratégique qui va bien au-delà du trafic de drogue. Il dispose en effet de certaines des plus grandes réserves de pétrole au monde et de certains des plus importants gisements d'or d'Amérique latine. Le Venezuela n'est pas un État narcotrafiquant, mais un État pétrolier dont le gouvernement tient tête aux États-Unis.
Ceux qui ont vécu la guerre d'Irak ne s'y trompent pas. En 2003, l'administration Bush prétendait détenir des preuves que Saddam Hussein disposait d'armes de destruction massive et représentait une menace imminente pour la sécurité américaine. Les informations ont été soigneusement triées, les voix dissidentes réduites au silence et les sceptiques qualifiés d'antipatriotiques. L'invasion a été présentée comme une libération, une lutte pour la liberté, une frappe justifiée contre le terrorisme. Deux décennies plus tard, nous connaissons la vérité : il n'y avait pas d'armes de destruction massive et les réserves de pétrole irakiennes étaient au cœur du plan.
Les similitudes sont indéniables. Une fois encore, un pays riche en ressources naturelles est dirigé par un dirigeant contesté par les États-Unis. Une fois encore, ces accusations ne s'appuient sur aucune information crédible, allant même à contredire les propres évaluations classifiées du gouvernement. Une fois encore, les fonctionnaires qui présentent des faits gênants sont limogeés ou ignorés. Et une fois encore, le public américain est prié d'accepter des justifications obscures pour une action militaire au service d'intérêts stratégiques, sous couvert de sécurité et de moralité.
L'obsession de Trump pour le pétrole vénézuélien est à peine dissimulée. Tout comme il a envisagé de prendre le contrôle du canal de Panama, il a clairement manifesté son intérêt pour les réserves de pétrole vénézuéliennes. L'administration a accordé une licence d'exploitation à Chevron au Venezuela, tout en multipliant les sanctions et les menaces militaires. Une contradiction révélatrice des véritables priorités.
Toute intervention aurait des conséquences catastrophiques. Le Venezuela compte en effet environ 28 millions d'habitants, soit une population équivalente à celle de l'Irak lors de l'invasion américaine de 2003. À la différence du Panama ou d'Haïti, occupés par les États-Unis dans les années 1990, le Venezuela n'a jamais subi d'intervention militaire américaine directe. Même affaibli, le chavisme bénéficie d'un soutien populaire considérable, et toute intervention étrangère susciterait une résistance acharnée et une insurrection généralisée.
Le Brésil et la Colombie, les deux puissances voisines les plus stratégiques pour le Venezuela, se sont fermement opposées à toute action militaire américaine, conscientes de ce que les décideurs politiques américains semblent ignorer : une intervention militaire ferait le jeu des organisations criminelles que l'opération prétend cibler. Les armes et les groupes armés afflueraient, et le chaos généré déstabiliserait une région d'ores et déjà troublée. Les sept millions de Vénézuéliens qui ont déjà fui les sanctions américaines (entraînant de graves pénuries de denrées alimentaires, de médicaments et de carburant) seraient rejoints par des millions d'autres, provoquant une crise de réfugiés sans précédent.
Telle est la stratégie de l'administration Trump, révélatrice de ses véritables priorités. Au lieu de s'attaquer à la consommation de drogue ou au blanchiment d'argent aux États-Unis, elle bombarde de petites embarcations dans les eaux internationales et déploie des unités aéronavales pour menacer une nation souveraine. Au lieu de privilégier les solutions diplomatiques ou de collaborer avec ses partenaires régionaux, elle rompt toute communication avec le Venezuela et brandit la menace d'une intervention militaire.
Il ne s'agit pas de drogue. Il ne s'agit pas de terrorisme. Il s'agit de pouvoir, de contrôle des richesses et d'une administration qui envisage le changement de régime comme le remède à ses frustrations géopolitiques. La fabrique du consentement fonctionne comme elle l'a toujours fait : elle invente des "menaces", amplifie le "danger" et prépare l'opinion publique américaine à une nouvelle intervention désastreuse en Amérique latine.
Ce n'est pas une nouveauté. Nous savons comment ça se termine. Reste à savoir si, (une fois encore), nous allons laisser faire.
Traduit par Spirit of Free Speech