24/02/2011 cetri.be  4min #49929

 Full Text of Saif Gadaffi's Tv Address

« la Corée du Nord du monde arabe »

Libye

par Vincent Duhem, Hasni Abidi
(22 février 2011)

Est-ce la première fois que des manifestants en Libye osent défier le régime ?

Oui, c'est une première dans l'histoire de la Libye. L'embrasement de la ville de Benghazi (où la contestation a débuté) n'est pas le plus surprenant, contrairement à Al-Baïda par exemple. Benghazi est un foyer de l'opposition au régime de Kadhafi, une ville martyre. Cette une ville qui a toujours été humiliée par Kadhafi. Benghazi n'a jamais bénéficié, comme la ville de Syrte par exemple ou comme Tripoli, de la manne pétrolière. Elle n'a pas eu les retombées économiques en termes de constructions ou sur le plan du développement. Mais aujourd'hui, la contestation touche d'autres villes, ce qui est très significatif.

Quels sont les griefs des manifestants ? Pourquoi une telle contestation ?

Contrairement à la Tunisie, la revendication a tout de suite été d'ordre politique. Il n'y a pas eu de hiérarchisation du social au politique. Dès le 15 février, les manifestants ont demandé le départ du colonel Kadhafi.

La Libye, c'est la Corée du nord du monde arabe, plus le pétrole et moins le nucléaire. Le régime de Kadhafi est le champion de la confiscation des richesses, des libertés publiques et privées. Il faut savoir qu'en 2011, le pays n'a toujours pas de réelle constitution mais un bricolage de système de gouvernement.

Comme en Corée du nord, on assiste à un véritable culte de la personnalité. Tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains d'un seul l'homme, et de ceux que l'on appelle « les hommes de la tente ». La tente est le siège d'où Kadhafi gouverne depuis l'attaque par les Américains du palais présidentiel.

Les libertés publiques et privées sont confisquées depuis presque 1969. Les chaînes de télévision, même les radios libres, sont interdites en Libye, sans même parler des médias locaux.

La répression est d'un niveau jamais atteint dans le monde arabe. Le régime n'hésite pas à tuer. On ne rigole pas en Libye.

Peut-on assister à un scénario à l'égyptienne ?

Comme en Egypte et en Tunisie, l'armée aura un rôle important à jouer, mais sa situation est très différente. Il y a deux armées en Libye. Une armée dite traditionnelle dont Kadhafi, victime de plusieurs tentatives de coup d'Etat, se méfie énormément. Il en a écarté la majorité des cadres depuis 1969.

A côté d'elle, le "Colonel" a créé une autre force militaire, à la tête de laquelle il a placé ses enfants et qui n'obéit pas aux états-majors, ni au ministre de la Défense. C'est une garde prétorienne, une garde presque présidentielle, super bien équipée, présente dans toutes les villes libyennes y compris à Benghazi.

Ce double visage de l'armée augmente les risques de guerre civile. La force militaire créée par Kadhafi est toute acquise à sa cause. C'est elle qui vient de tirer sur les manifestants. De son côté, l'armée traditionnelle n'hésitera pas, en cas d'embrasement du pays, à prendre le parti du peuple. Elle ne tirera pas sur la population. Il y a donc un risque d'affrontement entre ces deux forces militaires.

Le régime peut-il être déstabilisé ?

Le régime a ces derniers temps montré une certaine fébrilité et des failles. Récemment, un de ses hommes de confiance a quitté le pays et demandé l'asile politique en France. Le 14 février, Kadhafi a reçu des avocats et des chefs tribaux en promettant de soutenir financièrement leurs projets. Mais aujourd'hui, la contestation a dépassé le cadre social.

La ville-test est Tripoli. C'est une ville proche de Kadhafi qui vit au-dessus de ses moyens. Tripoli hésite pour l'instant à manifester, elle abrite pourtant une grande partie de la jeunesse Facebook libyenne. Si la contestation s'y étend, alors tout peut arriver.

Vous évoquez la "jeunesse Facebook". Quel est son poids ?

Elle n'a pas atteint le même niveau qu'en Egypte ou en Tunisie. C'est une génération récente qui subit l'état des télécommunications du pays. Tous les moyens de télécommunications libyens sont aux mains de l'un des fils du colonel Kadhafi, qui est à la fois un homme d'affaires et un militaire. Dans les cybercafés, vous devez mettre votre carte d'identité pour vous connecter à internet. La circulation de l'information est très difficile. Nous n'avons pas de véritables relais.

Ensuite, il faut rappeler que, contrairement à la Tunisie et à l'Egypte, l'opposition libyenne est très importante mais elle est à l'étranger. En cas de chute du régime, il y aurait un grand vide.

Comment va réagir la communauté internationale ?

Sur le plan international, la Libye n'a de compte à rendre à personne. C'est un allié de l'Union européenne en terme d'immigration, de pétrole, de gaz et d'affaires. La Libye est un marché d'avenir. Les Européens vont hésiter à prendre la moindre décision contre un régime qui risquerait de lui fermer ensuite la porte.

Liberation 17.02.2011

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