23/03/2011 wsws.org  9min #51089

 Bahreïn: le palais royal, encerclé, par les protestataires

Au Bahreïn, grévistes et manifestants défient la répression

Par Niall Green
23 mars 2011

Les manifestations populaires à Bahreïn ont été durement réprimées avec l’aide de l’Arabie saoudite et des Emirats - Photo : Gallo/Getty

Les travailleurs du royaume du Bahreïn dans le golfe Persique ont répondu à la répression du régime soutenu par les Etats-Unis par une vague de grèves dans presque tous les secteurs de l'économie.

Bien que les dirigeants des syndicats n'aient pas officiellement appelé à la grève générale, on estime que 70% des travailleurs du Bahreïn sont en grève et des centaines d'entre eux se joignent aux manifestations qui ont lieu dans les rues de la capitale.

Le régime du roi Hamad al-Khalifa est confronté à de nombreuses manifestations contre sa direction autoritaire depuis février. Le roi a tenté de maintenir son régime par la force en publiant la semaine dernière un décret d'urgence instituant la loi martiale, et en donnant à la police et à l'armée l'autorisation de prendre toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde du régime. Un couvre-feu qui commence à la tombée de la nuit et se termine à l'aube a été institué dans tout le Bahreïn.

Avec l'aide d'environ 1500 soldats et policiers envoyés par les monarchies voisines d'Arabie Saoudite et des Émirats Arabes Unis (UAE) les forces de sécurité du Bahreïn ont déclenché une vague de répression scandaleuse contre les manifestants mercredi dernier.

Faisant usage de balles réelles, et avec le soutien de tanks et de véhicules blindés, la police et l'armée ont évacué des milliers de manifestants de la place de la Perle, le centre des manifestations de toutes ces dernières semaines dans la capitale de Manama. Au moins six personnes ont été tuées dans l'assaut et des centaines ont été blessées.

Les médias locaux ont confirmé que les forces pro-monarchiques ont tué deux autres personnes depuis cet assaut, et les associations des droits de l'homme du Bahreïn ont affirmé que de nombreuses personnes avaient disparu, probablement kidnappées ou assassinées par le régime.

Les forces gouvernementales ont aussi attaqué des ambulances et des hôpitaux où l'on essayait de soigner les blessés. Une chaîne de télévision a montré des policiers qui tiraient des blessés hors des ambulances. Les forces pro-gouvernementales ont envahi l'hôpital de Salmaniya, ont arrêté 100 docteurs et les ont empêchés de soigner les patients qui arrivaient de la place de la Perle.

Les forces de sécurité ont attaqué d'autres manifestants dans Manama et dans les quartiers environnants et, selon les témoins, les policiers et les voyous qui défendent le régime ont attaqué les gens et ont fait irruption dans les maisons de la classe laborieuse majoritairement shiite dans les banlieues. La monarchie des al-Khalifa et ses forces de sécurité sont des musulmans sunnites tandis que la vaste majorité de la population est shiite. La discrimination sectaire que pratique le régime est la cause du haut niveau d'inégalité dont souffre le Bahreïn, où la famille royale et la petite élite qui l'entoure se sont enrichies spectaculairement grâce aux ressources en pétrole du pays.

La présence de forces venant des monarchies sunnites d'Arabie Saoudite et des Émirats, couplée à la rhétorique enflammée du gouvernement qui met en garde contre « les gangs de Shiites » susceptibles d'attaquer des magasins sunnites, a exacerbé les tensions sectaires dans le pays. Cependant les manifestations et les grèves ont transcendé les divisions religieuses avec les appels des travailleurs et des jeunes à l'unité de tous les habitants du Bahreïn contre la royauté.

Afin de parachever leur oeuvre d'intimidation des manifestants, les forces gouvernementales ont rasé au bulldozer le grand monument qui était au centre de la place de la Perle vendredi dernier. La place est actuellement occupée par les forces du régime, mais les manifestations continuent dans d'autres endroits de la ville.

La répression s'est poursuivie dimanche et 20 personnes ont été arrêtées pour avoir enfreint le couvre-feu, y compris des docteurs qui soignaient des manifestants blessés.

La lutte sociale massive contre le gouvernement et pour un meilleur niveau de vie s'est étendue à presque tous les secteurs de l'économie. Les salariés du secteur de la construction, de la compagnie aérienne nationale Gulf Air, de l'industrie énergétique et des services publics sont en grève.

Les employés en grève de la raffinerie publique du Bahreïn, Barhain Petroleum Company, ont partiellement interrompu la production dimanche, ce qui ne manquera pas de consterner les pouvoirs impérialistes et les marchés financiers mondiaux. La raffinerie, qui peut produire jusqu'à 250 000 barils de pétrole brut par jour, ne tourne qu'à 10% de sa capacité, selon un porte-parole du syndicat.

Le Bahreïn est un centre financier majeur de la région du Golfe et les manifestations ont sérieusement perturbé le secteur. Des milliers de manifestants ont occupé de larges portions du district financier de Manama en élevant des barricades et en affrontant les forces de police. La bourse du Bahreïn n'a pas ouvert depuis le 16 mars.

La fédération générale des syndicats du Bahreïn (GFWTUB) a dit que les grèves continueraient jusqu'à ce que l'Arabie Saoudite et les Émirats se retirent du pays. Sayed Salman, le secrétaire général de la GFWTUB, a dit au Wall Street Journal que son organisation ne voulait pas causer de dommages permanents à l'économie nationale, mais il a ajouté que la grève ne cesserait pas tant que les forces de sécurité tueraient des manifestants.

« Nous ne pouvons pas appeler nos gens à reprendre le travail » a dit Salman au Journal. « Nous espérons que cela ne durera pas trop longtemps car nos travailleurs souffrent aussi mais il faut absolument que les milices et les forces étrangères quittent nos rues. »

La fédération syndicale représente 60 syndicats dans le pays et a été un soutien loyal de la monarchie des al-Khalifa. Comme les officiels du syndicat, le principal parti bourgeois d'opposition, al-Wefaq, cherche à en finir le plus vite possible avec les manifestations. Ce parti, qui était représenté au Parlement fantoche jusqu'à ce que ses députés soient forcés de démissionner il y a quelques semaines quand la police a attaqué des manifestants pacifiques, a signalé qu'il désirait reprendre les négociations avec la monarchie.

Al-Wefaq avait d'abord soutenu les pourparlers avec le fils du roi, le prince héritier Salman, mais il s'en était retiré par crainte de l'hostilité populaire à toute espèce de négociation avec le régime honni. Cependant, après la répression de la semaine dernière et l'arrestation de plusieurs membres de l'opposition, al-Wefaq a recommencé à promouvoir le dialogue.

« Nous pensons que le dialogue est la seule solution, mais tant que des troupes étrangères se trouvent sur notre sol, ce n'est pas possible » a dit Jawad Fairooz, porte-parole haut placé du parti. « Nous demandons que les troupes étrangères s'en aillent et que la milice dirigée par le gouvernement et le ministère de l'Intérieur ainsi que l'armée du Bahreïn retournent dans leurs bases. »

En échange, Fairooz a proposé de reprendre le contrôle des manifestations de masse. « Il faut parfois changer de tactique, mais nous trouverons bien un moyen de protester. »

Mais il n'est pas sûr que les responsables de al-Wefaq ou de la bureaucratie syndicale contrôlent les manifestations et les grèves. Il semble plutôt que ces dirigeants, qui sont des associés fidèles de la monarchie depuis des dizaines d'années, aient du mal à faire face aux demandes de plus en plus grandes de la classe ouvrière. Au début des manifestations, le mois dernier, les manifestants demandaient la réforme du système politique, mais au fur et à mesure que de plus en plus de travailleurs entraient dans la lutte, l'humeur de la rue est devenue plus combative. Les slogans qui demandent l'abolition de la monarchie et une répartition plus équitable de la richesse pétrolière du pays sont désormais plus nombreux.

Le gouvernement des Etats-Unis qui lance une guerre contre le régime libyen du colonel Kadhafi sous le prétexte des "droits de l'homme" continue de soutenir la dynastie des al-Khalifa au Bahreïn.

Le secrétaire à la Défense des Etats-Unis, Robert Gates, est allé au Bahreïn il y a une semaine pour s'entretenir avec le roi Hamad et pendant cet entretien il a fait l'éloge des al-Khalifa en tant que bons alliés des Etats-Unis. Attisant les préjugés sectaires et donnant au régime du Bahreïn une excuse pour attaquer les manifestants, Gates a dit au roi que le régime clérical shiite d'Iran allait profiter de l'agitation qui régnait au Bahreïn pour étendre son influence.

Washington compte sur les régimes du Bahreïn et d'Arabie Saoudite pour mettre fin aux manifestations et aux grèves avant que les intérêts des Etats-Unis dans ces pays et dans toute la région ne soient menacés. La Cinquième flotte de la marine américaine est stationnée au Bahreïn ; c'est une base vitale qui appuie l'occupation de l'Irak et permet à Washington de maintenir la pression sur l'Iran. Comme la monarchie saoudienne, l'élite américaine est terrifiée à l'idée que le soulèvement populaire du Bahreïn s'étende à l'Arabie Saoudite - allié principal des Etats-Unis dans le golfe Persique et le plus grand exportateur mondial de pétrole - et spécialement aux puits de la partie orientale du pays dont la population est en majorité shiite.

Des manifestations ont eu lieu en Arabie Saoudite, au Koweït et en Irak en solidarité avec le soulèvement du Bahreïn. Il y a eu aussi une manifestation de plus de 600 personnes à Londres en Angleterre dimanche dernier pour condamner la violence contre les manifestants de Manama.

700 personnes se sont réunies dans la ville de Mashhad en Arabie Saoudite, samedi, malgré l'interdiction absolue de manifester, pour protester contre la violence avec laquelle les forces du Bahreïn et de l'Arabie Saoudite avaient réprimé les manifestations.

Une manifestation moins importante a eu lieu dans la capitale saoudienne de Riyad dimanche, pour exiger la relaxe des prisonniers politiques. Selon la BBC, la police anti-émeutes saoudienne a dispersé la manifestation et arrêté 12 manifestants. En réaction aux soulèvements dans tout le Moyen-Orient et en Afrique du Nord, la monarchie saoudienne a créé 60 000 postes supplémentaires dans ses forces de sécurité déjà démesurées, tout en essayant d'acheter l'adhésion de ses administrés en leur accordant une augmentation des allocations et du salaire minimum.

Les manifestations de masse continuent au Yémen où des milliers de membres des tribus ont rejoint les travailleurs et les jeunes dans la capitale, Sanaa, pour demander le départ du président, Ali Abdullah Saleh.

Les forces de sécurité de Saleh et les voyous qui défendent le régime ont tué 52 personnes pendant les manifestations de la semaine dernière. Les forces de répression qui avaient ciblé un large sit-in près de l'université de Sanaa, n'ont pas réussi à étouffer la protestation. Des foules estimées à plus de 100 000 personnes se sont rassemblées près de l'université de vendredi à dimanche en continuant de demander la démission de Saleh et une amélioration de leur niveau de vie.

Devant la menace de guerre civile et voyant que, en dehors de la capitale, il perdait son autorité sur le pays, Saleh a essayé de faire des concessions à l'opposition. Le président qui est au pouvoir depuis 32 ans a renvoyé tout son gouvernement dimanche. Cependant tous les ministres "renvoyés" doivent rester à leur poste jusqu'à ce qu'un nouveau cabinet soit formé, selon le porte-parole du président Tareq al-Shami. Le procureur général du Yémen a aussi annoncé qu'une enquête complète sur le meurtre des manifestants serait diligentée.

Ces annonces ne tromperont personne. Les travailleurs yéménites savent que la manière de fonctionner de Saleh est la répression brutale des opposants et aucun remaniement du régime n'apaisera leur colère.

Le Yémen est le pays arabe le plus pauvre, 40% de sa population survit avec moins de 2 dollars par jour. Le chômage est estimé à 35% de la population active. Le chiffre est encore plus élevé chez les jeunes travailleurs et les diplômés, plus de la moitié des jeunes entre 18 et 28 ans seraient sans emploi.

(Article original paru le 21 mars 2011)

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