05/07/2011 wsws.org  7min #54805

 En Grèce les banques exigent des mesures d'austérité brutales

Les banques sauvegardent leurs propres intérêts aux dépens de la Grèce

Par Stefan Steinberg
5 juillet 2011

En début de semaine, les agences d'information ont annoncé que les banques françaises avaient proposé un plan radical aidant à la résolution de crise de la dette grecque. A Paris, le président Nicolas Sarkozy a dit lundi lors d'une conférence de presse que le plan prévoyait l'étalement des prêts bancaires à la Grèce sur une durée de 30 ans. La proposition visait à alléger la crise grecque en établissant un système que, selon le président français, « chaque pays pourrait sans doute trouver intéressant. »

Les marchés boursiers européens et les marchés de par le monde ont réagi positivement à la proposition en percevant d'importantes majorations les jours suivants, notamment dans le secteur bancaire.

Les banques allemandes ont aussi exprimé leur intérêt pour le « modèle français ». Le directeur général de Deutsche Bank, Josef Ackermann, a estimé que son institution serait prête à suivre l'exemple tout en invitant à la prudence : « Les dirigeants politiques s'attendent à une solution d'ici la fin de la semaine mais nous ne devrions pas agir dans la précipitation. »

En fait, le lancement du plan en début de semaine a été de toute évidence prévu pour envoyer le bon signal aux marchés financiers tout en influençant au parlement grec le débat sur une nouvelle série de mesures d'austérité. La proposition française et les indications du soutien allemand ont permis aux partisans du gouvernement Papandreou d'affirmer que les banques françaises et allemandes étaient disposées à assumer leur part dans l'atténuation de la crise budgétaire du pays.

Les acteurs allemands de cette mascarade sont apparus mercredi, comme il se doit, ensemble à la conférence de Berlin qui a coïncidé avec le premier vote des nouvelles mesures d'austérité au parlement grec. A Berlin, Ackermann se trouvait aux côtés de la chancelière Angela Merkel pour annoncer que les institutions financières allemandes voulaient jouer leur rôle pour empêcher un « effondrement » des marchés monétaires.

Mercredi, après le vote majoritaire en faveur du budget d'austérité, le parlement grec a procédé à un second vote un jour plus tard pour assurer la mise en oeuvre des mesures. Coïncidant avec le second vote, le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, est apparu aux côté d'Ackermann pour dire aux journalistes que les banques allemandes étaient également prêtes à soutenir les propositions d'un « roll over », c'est-à-dire d'un prolongement de la dette grecque.

Lors de la même conférence de presse, Ackermann a déclaré : « Nous sommes convaincus que la Grèce doit être aidée davantage... Nous nous servirons du projet français comme base mais nous y apporterons des modifications et nous sommes très confiants de trouver une solution qui fournira des réponses satisfaisantes pour tous les participants. »

Selon la proposition préalable annoncée jeudi, les banques allemandes contribueront un total de 3,2 milliards d'euros (4,6 milliards de dollars) au deuxième plan de sauvetage prévu pour la Grèce.

Après le deuxième vote majoritaire en faveur des mesures d'austérité au parlement grec, un certain nombre de commentateurs financiers et des médias ont examiné de plus près et de manière plus sérieuse les propositions françaises et allemandes.

Au plus tard mardi, dans un article le Financial Times mettait en garde que la proposition française contenait plus de poudre aux yeux que de substance. L'article a signalé que la proposition française de prolongement était extraordinairement complexe, signifiant qu'elle « est impossible à expliquer aux électeurs mais sera, à n'en pas douter, présentée comme la preuve que les spéculateurs ont été réprimandés. »

En mettant l'accent sur les avantages du projet pour les banques, l'article déclare que le plan « semble être conçu non tant pour rendre la situation plus durable en Grèce que pour aider les banques à délester les risques de leurs bilans. »

Dans l'édition en ligne du journal Die Zeit, le journaliste financier Mark Schieritz a conclu que la proposition française ne servirait guère à résoudre les problèmes de solvabilité de l'économie grecque. C'est une solution qui ne permet qu'à faire gagner du temps aux banques, affirme-t-il, et rendra encore plus difficile à la Grèce d'accéder aux marchés monétaires. En tant que proposition visant à aider la Grèce, conclut Schieritz, elle est « vouée à l'échec. »

Entre-temps, des détails sont apparus concernant la « générosité » des banques allemandes. Il a été signalé qu'environ deux tiers de la somme de 3,2 milliards d'euros devant être levée du côté allemand proviendront de la Commerzbank partiellement nationalisée et de banques poubelles (« bad banks ») mises en place par le gouvernement allemand peu de temps après la crise financière de 2008. Etant donné que celles-ci appartiennent en totalité (les banques Hypo Real Estate et WestLB) ou partiellement (Commerzbank) au gouvernement allemand, toute passation par pertes et profits de ces banques sera inévitablement financée par le contribuable.

Selon des initiés de la finance, l'engagement de Deutsche Bank à contribuer au total de 3,2 milliards d'euros devrait s'élever à moins de 1 milliard d'euros. Deutsche Bank a déclaré des profits avant impôts de 3,5 milliards d'euros au premier trimestre de cette année, et Ackermann a annoncé que la banque envisage de réaliser un bénéfice total de 10 milliards d'euros pour l'exercice 2011.

Ceci signifie que la contribution de Deutsche Bank « pour le sauvetage de la Grèce, » dont le montant total actuel de la dette est estimé s'élever à plus de 300 milliards d'euros, se chiffre à moins de un dixième des bénéfices escomptés par la banque cette année. En fait, il est probable que l'affaire rapportera de l'argent aux banques privées allemandes.

Dans son commentaire sur la proposition allemande, le Financial Times Deutschland conclut: « Sans parler de la contribution des banques poubelles, toutes les autres banques mettent à la disposition une somme de 2 milliards. Compte tenu des sommes totales inscrites aux bilans des institutions financières, ceci ne représente vraiment qu'une bagatelle. En fait, se sont les pays de l'euro qui une fois de plus supporteront l'essentiel du fardeau. Ils garantissent que les banques s'en sortent sans une égratignure et peuvent même compter sur un taux d'intérêt de huit pour cent. »

Un article paru dans le Süddeutsche Zeitung dit que « l'accord conclu jeudi par Wolfgang Schäuble avec le secteur financier pourrait se révéler être une bonne affaire pour les banques, et un nouveau fardeau substantiel pour les Grecs. » L'article poursuit ensuite en citant l'un des analystes financiers qui décrit les propositions comme étant un « placebo » garantissant que les « banques n'ont rien à perdre. »

Depuis le tout début de la crise financière de 2008, les principales banques et institutions financières internationales ont dicté les termes de leurs propres renflouements en imposant des conditions aux gouvernements du monde entier. Aujourd'hui, ces grandes banques sont plus puissantes et plus influentes que jamais. La subordination servile des gouvernements bourgeois aux banques a obligé certains commentateurs à lancer des mises en garde contre les dangers encourus.

Dans un essai rédigé au début du mois dans le magazine allemand Der Spiegel, Dirk Kurbjuweit a fait remarquer qu'à la fin du mois de mai Ackermann s'était vanté devant les actionnaires de Deutsche Bank que le moment était venu de « faire la moisson. »

Se référant au refus des banques d'endosser une quelconque responsabilité pour la crise en Grèce qu'elles ont elles-mêmes provoquée, Kurbjuweit écrit :

« Les banques et les entreprises d'investissement jouent à présent le rôle tenu jadis par les dieux. Presque personne n'ose les critiquer et la crainte de leur colère guide le comportement des politiciens. Nombreux sont ceux qui hésitent à parler franchement tandis que d'autres trouvent refuge dans les mensonges.

« Dans ces conditions, la démocratie a perdu sa dignité. Et ça, c'est dangereux... »

(Article original paru le 2 juillet 2011)

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