12/07/2011 legrandsoir.info  10min #55117

 Le mouvement des « indignés » s'étend dans le monde

Les Indignés d'europe en ligne de mire

Badi BALTAZAR

Bruxelles est en effervescence ces derniers jours. L'été a débuté avec son lot d'Apéros Urbains et de festivals. Les terrasses sont pleines à craquer et Bruxelles-les-bains a ouvert ses portes. La Foire du Midi s'installe et la Grand-Place et ses alentours sont bondés de touristes/paparazzi sans voix devant les attributs de notre ketje national. Il est vrai que je pourrais consacrer quelques lignes à ces évènements et aux nombreuses joyeusetés qui vont rythmer la période estivale sans oublier bien sûr les sempiternels combats de coqs de basse-cour qui se déroulent au sein de nos institutions nationales, mais il se fait que d'autres sujets me paraissent bien plus importants tant l'actualité du militantisme citoyen est chargée :

Les diverses tentatives d'expulsions des campements d'Indignés liégeois, les assemblées populaires qui continuent à se tenir aux quatre coins de la capitale et du monde, les milliers de personnes plus que jamais mobilisées en Egypte, des délégations d'indignés de plusieurs villes européennes qui se réunissent en ce dimanche 10 juillet à Lisbonne pour participer à une Assemblée Générale Internationale à laquelle seront également présents des citoyens venus d'Islande dont entre autres Gunnar Sigurdsson (Open Civic Forum of Iceland) qui y feront part de l'expérience de démocratie participative à laquelle la révolution citoyenne islandaise a donné naissance ainsi que des pistes de collaborations citoyennes internationales, les Indignés Grecs de la place Syntagma ont publié un avertissement adressé à la Troïka, aux banques et aux investisseurs suite à leur Assemblée populaire du 3 juillet dernier sans oublier l'actualité de la flottille vers Gaza et le blocage révélateur dont elle est victime.

Plus proche de nous encore, rappelons qu'alors que des dizaines de citoyens Européens du collectif "Bienvenue en Palestine" se sont vu interdir l'accès aux vols Bruxelles/Tel-Aviv et Paris/Tel-Aviv de ce vendredi matin sous prétexte d'être suspectés d'être des terroristes sanguinolants en puissance ou que sais-je encore, plus d'une trentaine d'entre eux ont néanmoins pu passer à travers les mailles du filet tendu par des compagnies aériennes (dont Swiss Air, Al Italia) qui - il faut le noter - ont accepté de filtrer le flux des passagers sur base d'une liste "noire" fournie par les autorités israéliennes. Les citoyens belges, français, espagnols, hollandais et allemands ayant donc pu atterrir à Tel-Aviv ont été interpellés par la police à leur arrivée à l'aéroport Ben Gourion et sont actuellement détenus à la prison Givon de Ramla. A noter que 5 mineurs belges feraient partie du groupe. Je vous laisse seul juge de ces pratiques illégales et révélatrices un fois encore du caractère violent et répressif de la politique du gouvernement israélien, sans oublier le concours de certaines compagnies aériennes privées européennes qui ont elles aussi, démontrer leur impuissance, leur soumission ou leur complicité avec la politique du gouvernement sioniste. Au-delà même de l'inadmissible que constitue cette machination antidémocratique dont l'autoproclamée "Communauté Internationale" est à la fois complice et commanditaire, comment peut-on décemment accepter que ces citoyens hier encore libres de leur mouvement en Europe, comme vous et moi, soient aujourd'hui illégalement détenus dans des prisons israéliennes ?

Ces multiples informations étant à présent relayées et la possibilité vous étant donnée de vous y intéresser plus en détail, je vous propose de prendre le temps de nous arrêter sur la problématique des réfugiés afghans grévistes de la faim à Bruxelles tout en essayant de comprendre la nature des liens qui peuvent exister entre eux et les Indignés bruxellois. Si je mets ce sujet sensible sur la table d'autopsie, c'est parce que comme prévu dans mon précédent buvard, je me suis rendu au Polygone ce samedi. Et que de fil en aiguille, j'y ai passé toute la journée. Des tas de rencontres et d'échanges. De points de vue en points de mire, je vais tenter de vous décrire ce qui s'y passe afin que vous compreniez ce qui se trame derrière les peu de propos dont la presse a daigné se faire l'écho.

Pour vous situer dans le contexte spatio-temporel des faits qui vont nous occuper, vous devez savoir que les réfugiés afghans dont il est question représentent une centaine de personnes ayant fui l'Afghanistan, pays en guerre depuis bientôt 10 ans (sans compter les précédentes guerres dont ce pays a été le théâtre). Certains d'entre eux sont en Belgique depuis plus de 5 ans, parfois même 7. Ils sont issus des plusieurs ethnies cohabitant tant bien que mal en Afghanistan, dont les plus importantes sont les Pachtouns, les Tadjiks et les Hazaras. Aussi divergentes puissent être leurs cultures et leurs spiritualités, ils ont uni leurs forces dans une lutte commune pour la régularisation administrative. Ils ont déjà tenté toute une série d'actions pour faire valoir leurs droits ainsi que les obligations des autorités belges à les accueillir et à leur permettre de retrouver la dignité à laquelle chaque être humain aspire. Je pourrais développer les raisons qui motivent leur arrivée en Belgique pendant des heures, mais je pense que la majorité d'entre vous se rend bien compte de l'horreur et de l'inhumanité que ces gens ont quitté pour arriver chez nous.

De squat en squat, d'actions en actions, d'espoir en désillusion, ils n'ont jamais cessé de se battre pour être reconnus. Sur leur route, ils ont aussi rencontré une avocate belge il y a quelques années, Selma Ben Khelifa, elle-même mariée à un réfugié afghan. Au fil du temps, elle a gagné leur confiance. Elle serait d'après ce que j'ai pu obtenir comme informations auprès de diverses sources, à l'origine de leur décision d'entamer une grève de la faim. Selon elle, ce moyen s'impose à eux pour pouvoir faire pression sur les autorités compétentes et l'opinion publique. En parallèle, de nombreux Indignés sur place font m'ont fait part de leurs inquiétudes quant à l'influence que leur avocate pourrait avoir sur leur libre-arbitre. Ce qui, je le pense aussi, n'est pas dénué de sens. Ne perdons pas de vue que ces gens n'ont pas une connaissance suffisante des systèmes politiques de nos sociétés. En quelques sorte, leur avocat est aussi leur principal repère, à la fois porte-parole et conseillère. Expulsés de la rue de la Concorde à Ixelles il y a quelques semaines, certains se sont rendus au campement du Carré de Moscou à la rencontre des Indignés. Face à l'urgence de leur situation et dans un esprit de solidarité, les Indignés et les Afghans se sont indépendamment et conjointement décidés à occuper un bâtiment. Ce bâtiment porte le nom de Polygone et se situe en plein de coeur de la capitale, au 227b de la Chaussée d'Ixelles. Il abritait jadis les locaux de la chaîne de télévision belge AB3.

Parallèlement, les Indignés ont commencé à organiser la vie quotidienne du Polygone, par des ateliers, des assemblées quotidiennes et la mise en fonction d'une cuisine populaire par exemple. Mais il va s'en dire que le cas des grévistes de la faim est au centre des préoccupations. Il a quelques jours, le cabinet du Ministre Melchior Wathelet a proposé aux réfugiés grévistes de bénéficier, à titre exceptionnel, d'un permis de séjour C d'une durée de 6 mois, dont le renouvellement est sujet à une série de conditions telles que celle de pouvoir justifier d'un emploi, ce qui semble totalement inapproprié dans le cas présent. Comment pourrait-on imaginer que ces réfugiés, en grève de la faim depuis 40 jours, pourraient en l'espace de 6 mois, retrouver une santé qui leur permettrait de se mettre à chercher un hypothétique travail qu'ils ne trouveront sans doute jamais ? Il n'en demeure pas moins qu'une cinquantaine d'entre eux ont accepté la proposition du Ministre, qui notons le, a délibérément pris une décision politique sans qu'aucun organe juridique ou parlementaire du pays ne soit consulté. En revanche, quelque 35 réfugiés afghans ont décidé de refuser la proposition. Ils estiment que les conditions dont elle est assortie sont inacceptables. Pour eux, les autorités veulent gagner du temps, elle ne font que déplacer le problème à plus tard. Certains d'entre eux sont déjà passé par ce genre de procédure et ils savent pertinemment qu'elles ne mènent à rien et qu'à chaque fois, ils se retrouvent face aux même constat d'échec. Pour toutes ces raisons, ils ont décidé de poursuivre leur action jusqu'au finish.

Le propriétaire des lieux, jusqu'alors sympathisant de la cause des occupants, a été contacté par le cabinet du Ministre qui lui a suggéré d'introduire un recours en extrême urgence pour permettre l'expulsion des personnes qui occupent le bâtiment, et ce sous prétexte que s'il devait y avoir un mort, le propriétaire serait civilement et pénalement responsable. Ce qui, vous l'imaginer bien, n'a pas manqué d'inquiéter le propriétaire qui a donc prit contact avec des Indignés pour les prévenir que si les Afghans grévistes ne mettaient pas un terme à leur action, il serait contraint de permettre à la police d'expulser tous les occupants du bâtiment. Bien que ce ne soit pas son souhait, le propriétaire ne veut pas prendre le risque de se retrouver dans une situation qui pourrait avoir de graves conséquences pour lui. Ce qui, vous en conviendrez, est légitime.

Suite à l'Assemblée Populaire de ce vendredi soir, les Indignés ont réaffirmé leur intention de poursuivre l'occupation du Polygone et ils ont contacté le propriétaire afin de le rassurer et de lui faire part de leur volonté de nouer le dialogue avec les grévistes. Jusque-là, tous sont d'accord. Mais il semble que les avis soient partagés quant à l'issue des actions entreprises. Certains veulent convaincre les grévistes d'arrêter leur action estimant que celle-ci est contreproductive car c'est leur santé et leur vie qu'ils mettent en otage. Le fait qu'ils soient prêts à sacrifier leur vie pour obtenir des papiers leur semble irrationnel et insensé. Et d'autres sont plutôt d'avis qu'il s'agit de leur liberté et que l'acte politique qu'ils posent est tout à fait sensé et qu'ils en sont les seuls responsables.

Quelques minutes avant l'Assemblée Populaire à laquelle j'ai assisté ce samedi soir, la confirmation d'un avocat quant à la pertinence des menaces émanant du cabinet du Ministre est tombée. Il en ressort clairement qu'en aucun cas, le propriétaire ne pourrait être considéré comme responsable de la mort ou des problèmes de santé qui pourraient survenir dans son bâtiment, tout comme personne ne peut être reconnu comme responsable d'un suicide qui se serait déroulé chez lui. L'unique raison pour laquelle il pourrait être inquiété serait due aux dégâts que le bâtiment pourrait causer aux occupants, risque pour lequel il est assuré. En d'autres termes, il ressort que l'argument utilisé par le Cabinet du Ministre des Affaires Etrangères pour faire pression sur le propriétaire et in fine, sur les Afghans et les Indignés, est un piètre mensonge. Je suppose que vous conviendrez que ce constat est plutôt accablant ?

Un élément important à relever également est le défilé des ambulances qui est pour le moins impressionnant. Rien que pour la journée de samedi, l'ambulancier que j'ai pu voir intervenir avant l'Assemblée Populaire de 20h aurait affirmé en être à sa 8ème intervention de la journée. Ce qui commence à créer des problèmes de saturation au niveau des services 100 et 101 d'après les agents de police avec qui j'ai pu m'entretenir au cours d'une d'entre elles.

Lors de l'Assemblée Populaire, une dizaine de réfugiés ayant pris la décision d'arrêter le grève ainsi que 3 grévistes dont leur représentant étaient présents. La session fut l'occasion de prendre connaissance des informations que chacun pouvait avoir à partager et des solutions à trouver avec les Afghans pour éviter le pire. Malgré les tentatives de négociation et d'explication qui se sont succédées, les grévistes ont réaffirmé leur volonté d'aller jusqu'au bout de leur action. Ils sont conscients des risques graves qu'ils encourent mais ils sont déterminés à poursuivre leur combat. Ils ont par ailleurs tenu à remercier les Indignés pour le soutien et l'énergie dont ils ont témoigné. Suite à l'Assemblée Populaire, le sentiment d'impuissance des Indignés sur place était indéniable, bien qu'ils fassent beaucoup pour soutenir les réfugiés. Il est fort probable que des évènements importants aient lieu dans les jours qui viennent. Je vous suggère de rester à l'écoute si le coeur vous en dit. Car il paraît évident dans cette urgence que le risque d'expulsion ou encore de décès sont très importants. Et la position des autorités face aux problèmes ne fait qu'appuyer d'avantage ce triste constat.

Voilà, je pense que je vais poser le stylo ici en espérant que tous les éléments dont vous avez pris connaissance vous seront utiles pour vous faire votre opinion ou du moins qu'ils vous auront donné envie d'en savoir plus et de vous aussi vous faire relai des innombrables voix de citoyens écrasées sous le poids de la pensée unique que l'on nous sert en permanence. N'hésitez pas à en débattre autour de vous, à prendre des initiatives et à vous joindre à cette dynamique citoyenne historique qui, je l'espère, n'a pas fini de faire parler d'elle.

A bon entendeur,

Badi BALTAZAR  www.lebuvardbavard.com

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