Les semaines passent en Syrie, l' »information » made in Occident continue de donner dans la propagande anti-régime pure et simpliste, sans nuances ni surtout sans vérifications des dires des opposants, dont les affirmations et les chiffres sont plus que jamais pris comme argent comptant par les agences de presse style Reuters ou AFP.
Ainsi, à en croire les médias français, c'est au moins un million de manifestants anti-Bachar que l'opposition radicale a jeté dans les rues des villes de Syrie vendredi 15 juillet, y compris à Damas. Un million de personnes, c'est effectivement quelque chose, et ça change des quelques milliers, voire dizaines de milliers à Hama, de protestataires « recensés » jusque-là par les observateurs.
M. « Droits-de-l'Homme » l'a dit à Reuters qui l'a dit au Monde qui l'a dit à France 2...
Alors, que s'est-il passé pour qu'on ait observé un tel saut quantitatif dans les capacités de mobilisation des opposants syriens ? Un effet « boule de neige », un nouveau miracle Facebook ? Le problème c'est que lorsqu'on essaie de trouver les sources des articles interchangeables du Monde et de Libération, on tombe à chaque fois sur un correspondant de l'agence anglo-canadienne Reuters ou sur celui de l'agence française AFP, qui, sur la Syrie, ont trouvé depuis le début un langage commun. A chaque fois le journaliste de Reuters répercute consciencieusement les déclarations fracassantes et triomphalistes d'un opposant inconnu, ou mal connu. Là c'est un certain Rami Abdel Rahmane, directeur d'un « Observatoire syrien des droits de l'homme«, qui joue les informateurs « bénévoles » : « Il s'agit des plus grandes manifestations à ce jour » proclame-t-il au micro sympathisant de Reuters, ajoutant : « C'est un défi lancé ouvertement aux autorités, notamment quand on voit la forte affluence enregistrée pour la première fois à Damas. » Le même Observatoire annonce qu'au moins 350 000 personnes ont manifesté dans la province orientale de Dair az Zour. On se demande ce qui relève de l'estimation rationnelle et ce qui tient à la logorrhée fanatique et au mensonge militant. Enfin, pour notre part, nous ne nous le demandons pas longtemps, et nous allons consacrer instamment un article-portrait à l'efficace Rami Abdel Rahmane et à son observatoire privilégié par les journalistes occidentaux. Egalement mis à contribution, cette fois pour des troubles à Zabadani (région de Damas), Abdel Karim Rihaoui, « chef » de la « Ligue syrienne des droits de l'homme«. Au moins, la crise en Syrie aura crée des vocations, voire des emplois !
Quant au correspondant de Reuters, saisi comme d'une ivresse chiffrée, il signale « une foule immense » à Hama, ce même vendredi : sans doute, là aussi, sur la base d'une estimation scientifique fournie par le surpuissant « Observatoire syrien des droits de l'homme«. Rappelons que fin juin, on nous annonçait un demi-million de manifestants anti-Bachar à Hama, quand la ville et ses environs comptent peut-être 600 000. On peut faire dire tout ce qu'on veut aux chiffres. Y compris des mensonges.
Et, bien sûr, ce qui vaut pour le nombre des manifestants d'opposition vaut aussi pour celui des victimes de l'agitation : Rami Abdel Rahmane, véritable chaîne d'info continue à lui tout seul, déclare à l'AFP que « plus de 30 civils » ont été tué ce week-end à Homs, même si, pour une fois, la source d'opposition reconnaît qu'il s'agit de heurts entre factions civiles opposées ; il a aussi trouvé un enfant tué à Jobar. A Damas, c'est, selon le Monde.fr, un « militant des droits de l'homme » qui communique un bilan de 16 personnes tuées par la police. Le même site reconnaît d'ailleurs, en une phrase, et l'énormité de son « info » et la précarité de ses sources : »Le total de plus d'un million de manifestants est le plus élevé fourni par les opposants pour une seule journée de manifestations contre le pouvoir en Syrie depuis le 15 mars«. En effet, cher confrère ! Et ce sont les mêmes journalistes qui passent très vite, quand ils daignent en parler, sur les nombreuses et puissantes manifestations de partisans du régime, qui se sont d'ailleurs reproduites ce week-end. Il est vrai que l'observatoire de Rami Abdel Rahmane n'est pas équipé pour observer ce genre de rassemblements...
Il y a tout de même un chiffre qui tend à baisser, même dans les articles de la presse occidentale ; celui de réfugiés syriens de Turquie qui, au grand dam sans doute des opposants et de leurs nombreux amis étrangers, ont une fâcheuse tendance à regagner leurs foyers. Mais sans doute le font-ils pour étoffer les rangs des manifestations anti-Bachar de leur région ?
Pourquoi tant de mensonges ?
Il faut bien constater, une fois de plus, un déséquilibre - croissant - entre le sensationnel de l'information et la maigreur - et la partialité - des sources : ça s'appelle, en bon français, de la propagande, de l'intox, ou si l'on veut être élégant, de la « guerre psychologique ». Une guerre menée depuis 4 mois maintenant par tout ce qui, consciemment ou non, sert les intérêts américains dans la région. On aura pu vérifier, dans cette crise syrienne comme en Libye, ou naguère en Côte d'Ivoire, un alignement constant et consternant de l'Union européenne - France sarkozyste en tête - et de l'essentiel de ses médias sur les mots d'ordre et la grille d'analyse de Washington. Pourquoi au fait ? Essentiellement, à notre avis, par angoisse des journalistes et politiques d'Occident, de rater le coche de l'Histoire, comme en Tunisie ou en Egypte. Mais aussi par intégration profonde des stéréotypes manichéens concoctés par les néo-conservateurs d'Amérique et d'ailleurs : même après les désastres irakien et afghan, les journalistes et éditorialistes de France, d'Europe et d'Amérique qui se piquent de sens critique croient toujours au fond à l' »axe du mal » et aux « Etats voyoux » chers à Bush Jr, Cheney, Rumsfeld, Wolfowitz, Perle, Kristol et autres nomenklaturistes néo-conservateurs américains, vulgate d'ailleurs reprise sans états d'âme par l'administration Obama. L'expérience - désastreuse - de l'Irak ne leur a pas ouvert les yeux, qu'ils ferment dès qu'ils voient des activistes salafistes ou des Frères musulmans à l'oeuvre en Syrie ou en Turquie. Comme le dit un proverbe français : « Il n'est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir«. Et, à l'évidence, on ne veut pas voir, de Washington à Paris, en passant par Londres, Berlin et Bruxelles, que comme on a, du côté de Washington et de New York, ruiné et divisé l'Irak, on voudrait ruiner et diviser la Syrie, la Libye, l'Iran, le Soudan, tout ce qui dans le monde arabo-musulman n'est pas « conforme » à la « juste ligne » de l'OTAN et du Département d'Etat.