24/07/2011 alterinfo.net  5min #55569

 Syrie : un million de manifestants. Vraiment ?

Syrie: Un intellectuel Belge témoigne de la malhonnêteté des journalistes occidentaux

 lexpressiondz.com

Un professeur d'histoire belge, Pierre Piccinin, se trouve sur place pour se rendre compte de ce qui se passe réellement en Syrie. Ce dont il témoigne contraste avec ce que rapporte au fil des jours la presse occidentale en particulier. De fait, son témoignage est accablant quant à la désinformation qui marque les événements de Syrie. Lecture

La Syrie connaît des troubles socio-politiques depuis plusieurs semaines. Les grands médias relatent ces évènements en affirmant qu'il s'agit d'une révolte populaire comparable à celles survenues en Tunisie ou en Égypte. Pour confirmer leurs propos, ils présentent des manifestations qui auraient lieu dans tout le pays et qui souffriraient d'une répression féroce. Par exemple, dans la ville considérée comme l'un des principaux centres de la contestation, Hama, il y aurait eut vendredi (15 juillet) 500.000 manifestants dans les rues de l'agglomération de... 530.000 habitants (en comptant les villages alentours). Leurs uniques sources viennent d'opposants politiques basés à l'extérieur du pays. Les preuves matérielles? Des photos floues où on peut distinguer des foules de quelques dizaines d'hommes. La défense des journalistes face à ces failles professionnelles? La presse ne pourrait pas rentrer dans le pays et Internet serait coupé.

Témoignage:

Je suis actuellement en Syrie, depuis une semaine, en préparation de trois cahiers du Ccmo (1) qui seront consacrés, à la rentrée, au «Printemps arabe» et d'un article pour Les Cahiers de l'Orient, à paraître en décembre. La Libre Belgique a également publié un billet résumant mes observations de ces derniers jours. Vendredi*, j'ai quitté Damas, la capitale et me suis rendu à Hama, fief de la révolte islamiste, en passant par Homs. Les données des agences de presse occidentales, répercutées par nombre de médias, sont complètement erronées et probablement volontairement exagérées (j'ai circulé dans toutes les zones sensibles du pays, sans jamais être empêché de me rendre là où je le souhaitais). À Deraa, la contestation est presque éteinte et, mis à part un quartier ou l'autre, où manifestent encore sporadiquement quelques centaines de personnes pendant une heure ou deux, sans même que l'armée intervienne, tout y est très calme. À Damas, seulement quelques milliers (pas même des «dizaines» de milliers) de manifestants sont sortis ce vendredi (15 juillet), par groupes dispersés dans plusieurs quartiers de la périphérie. Idem à Homs, où des bandes armées ont provoqué la police (déjà jeudi soir: j'avais été informé de risques de troubles à Homs, jeudi, et m'y étais rendu; le centre était calme, j'ai suivi le premier camion transportant des militaires que j'ai croisé et suis tombé sur l'échauffourée, qui opposait quelques dizaines de contestataires cagoulés face à une escouade de soldats; ces derniers ont ouvert le feu et m'ont obligé à quitter les lieux).

Sur les lieux à Hama

J'ai passé tout l'après-midi du vendredi à Hama. C'est la seule ville où la contestation conserve une réelle ampleur (c'est la seule ville où on ne trouve plus un seul portrait de Bashar Al Assad, omniprésent ailleurs, exception faite de la façade du building où se trouve le siège du parti Baath, dans lequel sont retranchés des membres de la sécurité): les habitants ont fortifié les entrées de la ville pour empêcher l'armée d'y intervenir et manifestent par dizaine de milliers. Hama est la seule place où j'ai pu prendre des photographies, en grand nombre (ailleurs, la police étant présente lors des troubles, il m'est impossible de sortir mon appareil photo). Quand je suis entré dans Hama, j'ai immédiatement été pris en chasse par des groupes de jeunes en moto qui m'ont arrêté. J'ai montré mon passeport belge et la situation s'est détendue: ils m'ont escorté partout et donné accès à un immeuble depuis la hauteur duquel j'ai pu prendre des photos de l'ensemble de la manifestation, centrée sur la place Alasi et l'avenue al-Alamhein. Etant le seul observateur étranger sur place, ils m'ont donné toutes les facilités nécessaires et ont organisé une garde autour de mon véhicule pendant que je me déplaçais à pied parmi les manifestants. En dépit de la grande sympathie que je puis avoir pour la gentillesse avec laquelle j'ai été reçu à Hama, force est d'admettre que le nombre des protestataires ne dépassait certainement pas les 100.000 personnes, en criant très fort, contrairement aux affirmations de l'AFP qui prétend que Hama a connu la plus grande manifestation du pays, rassemblant 500.000 personnes. Il est bien sûr difficile de procéder à une estimation. Toutefois, s'il est vrai qu'il s'est agi de la plus grande manifestation dans le pays, en revanche, je puis affirmer, si je tente une estimation plus précise, que le nombre des manifestants doit avoir été de 15.000 à 30.000 personnes au plus. J'ai produit une analyse plus fine de la situation, sur mon blog (2), où j'ai également publié des photographies de la manifestation, qui appuient, incontestablement, ces informations. Ainsi, le «million» de manifestants à travers toute la Syrie ne correspond, en réalité, qu'à quelques dizaines de milliers. J'ai pu avoir accès à Euronews: les images fournies par l'opposition et les blogueurs sont éloquentes; des plans rapprochés, qui donnent une impression de masse, alors que, dans les faits, les cortèges sont relativement maigres.

Une situation sous contrôle

Quant au nombre de morts recensés, il est évidemment impossible à vérifier sérieusement, mais mes contacts à Damas et Homs ne me confirment rien de tel. A Hama, les chars sont restés en dehors de la ville et aucun coup de feu n'a été tiré; aucun mort n'est à déplorer, ni aucune arrestation. La situation en Syrie, Hama exceptée, est parfaitement sous le contrôle du gouvernement et le climat général (Hama excepté, dont les rues sont jonchées de barricades et des décombres des premiers combats) n'est nullement révolutionnaire.

1) CCMO, (Cercle des chercheurs sur le Moyen Orient)

2) Note de l'auteur: Il ne s'agit nullement de défendre un régime qui n'applique pas le modèle politique occidentale de la démocratie, ni de nier la présence d'une contestation, mais de montrer la malhonnêteté professionnelle des journalistes occidentaux chargés, consciemment ou pas, de véhiculer la propagande des gouvernements occidentaux non amis avec le régime syrien.

Pierre PICCININ

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