Guy Delorme - InfoSyrie
Étant portés au scepticisme par l'épluchage de quatre mois de couverture de la crise syrienne, nous autres d'InfoSyrie.fr avons cru de notre devoir de vérifier à la source ces nouvelles sensationnelles...
S'il est vrai que, comme il est dit dans l'Évangile, « la vérité nous rend libre », alors le quotidien Libération devrait changer de nom. Fidèle relais, depuis toujours, des mots d'ordre, analyses et menées militaro-diplomatiques américano-sionistes, le quotidien « libéral-libertaire » a mené une campagne ininterrompue de harcèlement contre le gouvernement syrien depuis le début des troubles. Sans doute pour relancer l'intérêt de ses lecteurs « démocrates », peut-être un peu lassés au terme de quatre mois et demi d'agitation, Libération sort un « joker » : la publication d'une liste de 3 000 Syriens - 2 918 exactement - portés « disparus » depuis le 15 mars dernier. Ce pieux travail de recherche humanitaire est l'oeuvre, comme il se doit, d'une certaine ONG, « Avaaz », appuyée par des associations telles que « Sawasiah » (spécialisée comme par hasard dans la « défense des Droits de l'homme » en Syrie et apparemment introuvable sur le net...) et l' « Organisation arabe des droits de l'homme » (basée, elle, au Caire, bastion des Frères musulmans), ainsi que par des « Comités locaux de coordination et plusieurs journalistes ».
Le résultat de ces recherches, opérées depuis trois mois, paraît-il, ce sont ces 2 918 personnes recensées avec leurs noms, leur âge, leur emploi et lieu de résidence, les circonstances de leur disparition, sans oublier leurs photos. Enfin, apparemment, seulement 100 photos - sur 2 918 - dont pas une n'est visible ; ce qui est un peu curieux pour des fiches signalétiques aussi précises. L'un des collaborateurs d'Avaaz, Wissam Tarif, a expliqué le modus operandi de cette opération : « Le premier travail était d'amener les familles à contribuer à cette liste. » Tâche difficile, explique-t-il, mais « les familles savaient qu'elles devaient rendre cela public (...) elles sont furieuses, outragées. Certaines d'entre elles ont peur et se sentent paralysées. »
Avaaz & Co ont réalisé un véritable tour de force, en tout cas, puisque, de l'aveu de Wissam Tarif - qui, apparemment, comme presque tous les cyber-dissidents syriens, vit à l'étranger - ce travail a été effectué par une équipe de 16 personnes seulement. Quoi qu'il en soit, Wissam Tarif, qui a lui-même sa propre ONG, l'Insan (« humain » en arabe - apparemment domiciliée en Espagne), a décidé de porter le fruit de ses « recherches » à la Cour pénale internationale, cette fameuse juridiction approuvée par les Américains mais n'ayant pas compétence chez eux, et qui n'a jamais jugé aucun responsable israélien. Tarif espère que la CPI agréera, dans cette affaire, la qualification de « crime contre l'humanité » dont il veut accabler le gouvernement syrien. Décidément pleine d'ardeur humaniste, l'Avaaz vient de lancer un appel aux dirigeants de l'Inde, du Brésil, de l'Afrique du Sud, du Koweit et du Qatar afin qu'ils diligentent « une délégation des Droits de l'homme en Syrie ». Sélection un peu bizarre : si les trois premières nations sont connues pour avoir refusé de suivre les États-Unis, la France et l'Angleterre dans un projet de résolution condamnant la Syrie au Conseil de Sécurité de l'ONU, les deux derniers sont des monarchies pétrolières, la première peu connue pour son exigence démocratique, la seconde, en revanche, célèbre pour patronner la chaîne al-Jazeera, qui ne s'est pas distinguée - c'est le moins qu'on puisse dire - par sa neutralité dans la couverture des évènements de Syrie - au point que plusieurs de ses collaborateurs vedettes ont claqué la porte récemment. Les disparus ont disparu !
Étant portés au scepticisme par l'épluchage de quatre mois de couverture de la crise syrienne, nous autres d'InfoSyrie.fr avons cru de notre devoir de vérifier à la source ces nouvelles sensationnelles. En commençant, par exemple, par le site d'Avaaz. Hélas, sur les différentes versions arabe, anglaise, française, allemande, néerlandaise, espagnole, etc. de ce site, pas le moindre listing de victimes, pour ne pas parler de leurs photos. En revanche, l'internaute humaniste est sollicité pour financer les activités d'Avaaz.
Au fait, de quoi et de qui s'agit-il ? Avaaz.org, qui dispose apparemment d'assez gros moyens, est une Organisation non gouvernementale américaine installée à New York. Elle a été fondée en 2006 par l'anglo-canadien Ricken Patel, qui a été notamment consultant pour les fondations Rockfeller et Bill Gates. Son objet social ? Rassembler, via internet, des « citoyens du monde » pour les sensibiliser et les faire agir avec leur souris « face aux nouveaux défis qui menacent notre avenir tels que les changements climatiques et la montée des conflits. » On suppose que le cas syrien ressort à la deuxième catégorie. Ce qui est sûr, c'est que par le passé, Avaaz.org a mené via la toile des campagnes pour le Tibet libre, pour un moratoire sur les OGM, pour les droits de l'homme en Iran, etc. Autant de causes consensuelles, propres à drainer des centaines de milliers d'internautes occidentaux et naïfs. Grâce aux fonds recueillis, Avaaz est capable de s'offrir des spots publicitaires sur les différentes chaînes de TV américaines. On ne s'étonnera pas, donc, que la Syrie de Bachar al-Assad se soit retrouvée sur son agenda. Il n'est pas indifférent de noter que ce site a été estampillé « hoax » (bidonnage, escroquerie, imposture informatiques) et générateur de spam (publicité abusive) par un certain nombre d'internautes. En tout cas, après examen du site et constat de l'absence de tout signalement de disparus, on est effectivement tenté de décerner le label « hoax », sur ce coup-là au moins, à Avaaz.
Par acquis de conscience, nous sommes allés faire aussi un tour du côté d'Insan. Là, pas la moindre référence aux 2 918 disparus, pourtant en principe dûment identifiés par Wissam Tarif, patron, rappelons-le, d'Insan. Curieux, pour un des promoteurs de ce scoop. On y trouve, en revanche, d'autres chiffres : 2 843 détenus politiques localisés et identifiés plus 5 157 autres en instance d' « homologation ». C'est très bien mais c'est invérifiable et de toutes façons hors sujet et nous posons la question à M. Tarif : où sont les 2918 disparus syriens qu'il a « vendus » à Libération ? Le moins qu'on puisse dire, c'est que ces cyber-révélations pèchent gravement, à notre avis, par un déficit certain de preuves et de cohérence. Car enfin, pour résumer, en consultant les sites indiqués par Libération, on ne trouve pas la liste et encore moins les photos de ces centaines de disparus pourtant prétendument identifiés, à l'unité près, par Wassim Tarif et consorts. Dans ces conditions, pourquoi ne pas annoncer, dans les semaines qui viennent, que 6 327 Syriens ont reçu un coup de matraque, 4 328 ont été conduits au poste et 2 323 ont regardé al-Jazeera pour marquer leur opposition à la tyrannie baasiste ? C'est une simple suggestion que fait InfoSyrie.fr, par ailleurs bien conscient que nos cyber-opposants ont suffisamment d'imagination pour se passer de nos conseils...