Intifada au Royaume Uni

Abdel Bari Atwan

Depuis plusieurs jours à présent, la Grande-Bretagne a été submergée par de violentes émeutes et des scènes de pillages.

Une affiche publicitaire à travers le verre brisé dans une rue de Tottenham. Tout un symbole... - Photo : AFP

Cela a commencé dans la capitale londonienne, puis s'est propagé à d'autres grandes villes comme Liverpool, Manchester et Birmingham.

Des milliers de jeunes, la plupart d'entre eux issus des classes sociales frappées par la pauvreté, sont descendus dans les rues pour exprimer leur colère contre l'Etat et ses forces de sécurité, et contre l'establishment au pouvoir qui a bouclé sous leur nez la plupart des possibilités de s'en sortir. Ils n'ont aucun espoir de pouvoir améliorer leur sort.

Les soulèvements de jeunes en colère ne sont pas un phénomène nouveau à Londres. Il y a trente ans, il y avait déjà eu des émeutes dans le quartier de Brixton où vivent de nombreux jeunes noirs d'origine africaine et caribéenne. L'étincelle avait été que l'un des leurs avait été assassiné en avril 1981 au cours d'un interrogatoire dans un commissariat de police.

L'actuelle Intifada a explosé suite à la mort d'un autre jeune noir aux mains de la police, cette fois dans le quartier de Tottenham, au nord de Londres, qui est une autre des quartiers les plus pauvres de la capitale et où le taux de chômage parmi les jeunes est le double de la moyenne nationale.

Sont à noter les dénominateurs communs entre le premier et le second soulèvement. Les deux phénomènes surviennent dans un contexte de profonde récession économique avec un gouvernement conservateur à la barre - le premier dirigé par la Dame de Fer, Margaret Thatcher [aujourd'hui alcoolique et frappée de la maladie d'Alzheimer, à croire qu'une justice existe ! - N.d.T], et le second dirigé par David Cameron en coalition avec le petit parti libéral.

Il ne peut y avoir aucun doute que la crise économique qui domine aujourd'hui le monde occidental a joué un rôle majeur dans les nombreux soulèvements en Europe au cours des derniers mois (la Grèce, la France et l'Espagne ont tous eu à subir des émeutes), mais le gouvernement britannique a adopté une politique qui marginalise délibérément les citoyens pauvres et il a fait empirer leur souffrance en réduisant les budgets des services publics et en réduisant les prestations sociales. Cela a joué le plus grand rôle dans le déclenchement des événements auxquels nous avons assisté au cours des derniers jours.

La société britannique a subi un effondrement des valeurs sociales et éthiques. L'élite dirigeante est uniquement intéressée à la protection du capital - un objectif en soi tout à fait édifiant. Parmi toutes les classes sociales - mais surtout les plus pauvres - les normes morales ont grandement régressé en raison de la désintégration morale de la famille due à la forte incidence des divorces, des compétences parentales déficientes, des abus sexuels dont sont victimes les adolescent(e)s.

La grande majorité des adolescents qui ont envahi les rues pour piller les magasins, brûler des bâtiments et terroriser le reste de la société sont le produit de l'échec de la famille en tant qu'institution sociale et du déclin des valeurs morales. Ils ne respectent plus leurs pères ou leurs mères, et par conséquent ne respectent ni l'Etat ni ses institutions.

Beaucoup d'enfants des bidonvilles britanniques ne savent rien de ce qu'est une famille, et par conséquent ils n'ont que peu de conscience éthique et morale. Certaines mères ne savent pas qui sont les pères de leurs enfants, et certains pères ne reconnaissent pas leurs enfants.

Le gouvernement britannique a commis une très grande faute quand il a ignoré ce fait dans la société et qu'il a concentré toute son attention sur la façon de sauver les riches, et dilapidé des centaines de milliards de livres sterling pour sauver le système bancaire - le pilier du système capitaliste - de l'effondrement en 2008, en réduisant les dépenses publiques et en retranchant des milliards des budgets des services publics. Ceci a conduit à l'aggravation du chômage, et donc à l'augmentation des souffrance parmi les classes défavorisées.

Les exigences toujours plus fortes du capitalisme ont conduit à l'effondrement de l'État-providence et les émeutes que nous avons vues exploser du fond de la société à Brixton, Tottenham et Hackney et le reste des bidonvilles en Grande-Bretagne, en sont le résultat.

Il est exact que certains jeunes ont profité du chaos de façon opportuniste pour voler des biens de luxe et des objets de valeur. Ils n'étaient pas affamés et au désespoir de trouver un quignon de pain, mais ce sont des gens affamés d'autres choses - d'un sentiment d'inclusion, d'un espoir et d'un avenir - et aujourd'hui leur motivation est de se venger de l'establishment au pouvoir qui les a entraînés dans cette tragique situation.

* Abdel Bari Atwan est palestinien et rédacteur en chef du quotidien al-Quds al-Arabi, grand quotidien en langue arabe édité à Londres. Abdel Bari Atwan est considéré comme l'un des analystes les plus pertinents de toute la presse arabe.