Par Fadwa Nassar
Les Palestiniens de 48 (qui vivent dans leur pays occupé en 48, devenu entité israélienne) ont décidé, il y a plus de dix jours, de mener leurs propres protestations contre le gouvernement sioniste, refusant de participer aux tentes de protestation installées par les sionistes. Avec la participation d'une dizaine de comités populaires de quartiers et de villages, ainsi que des comités d'étudiants, le Haut comité de suivi des masses arabes, réuni à Nasra, dans al-Jalil, a pris la décision de mener une vaste campagne de protestation, mettant en avant les revendications palestiniennes : « de la terre et du logement ». Il a mis en garde, dans son communiqué, « contre toute lecture erronée des protestations en cours dans le pays », a souligné la différence entre les protestations de la rue « israélienne » et les revendications palestiniennes, avant de conclure : « nous ne mettrons pas les pieds dans les tentes "israéliennes" ».
Manifestation contre la discrimination des étudiants arabes et palestiniens devant l'Université d'Haifa, mars 2011
C'est sous le mot d'ordre « terre et logement » que les Palestiniens de 48 se sont mobilisés dans plusieurs villages d'al-Jalil, d'al-Naqab et dans les villes côtières. A Sakhnine, bourg d'al-Jalil, qui est un des principaux théâtres de lutte contre la politique sioniste, d'intenses activités politiques se déroulent sous la tente de protestation que le comité local a installée : débats et conférences alternent concernant la vie politique palestinienne et les changements en cours dans le monde arabe. A Majdel-Kroum, autre localité d'al-Jalil, une centaine de Palestiniens ont levé des pancartes lors d'une manifestation, réclamant la récupération des terres communales que l'Etat sioniste a volées de leur village.
Plus au sud, dans le Naqab, le comité populaire de Ksayfé a installé une tente de protestation, appelant la population du Naqab à participer au mouvement général et à revendiquer « la terre et le logement », et la fin des démolitions de maisons et des villages non reconnus.
Dans la ville côtière de Yafa, où ils se battent contre la judaïsation des vieux quartiers, les Palestiniens ont organisé une manifestation dans le centre ville, réclamant non seulement des logements, mais le retour des réfugiés des vieux quartiers à leurs propres maisons. Ils ont dénoncé la politique urbaine menée par les autorités sionistes, qui veulent transformer le vieux quartier d'al-'Ajami en un quartier résidentiel pour les juifs riches dans le monde, avec la construction des hôtels de luxe.
Dans les villages du Karmel, au nord de Haïfa, les comités locaux ont décidé de mettre en avant les confiscations de terres communales que les autorités de l'occupation ont commencé à appliquer, pour construire des chemins de fer et des oléoducs de gaz naturel, ainsi que des parcs naturels.
Il va sans dire qu'après avoir confisqué des dizaines de milliers de dunums de terres palestiniennes, terres d'Etat ou terres privées, au cours des précédentes décennies, les Palestiniens ne possèdent à présent que 3% des terres, en tant que propriétés privées, dans la partie de leur pays occupée en 1948. Malgré cela, l'Etat sioniste colonial poursuit leur dépossession : il s'attaque de plus en plus aux terres publiques des villages et des bourgs, en en confisquant terrains après terrains, pour soi-disant y installer des projets d'utilité publique, ou bien en rattachant les bourgs et villages palestiniens aux conseils locaux et régionaux sionistes, qui s'emparent alors des terrains pour construire des projets réservés uniquement aux colons juifs.
Et comme le font remarquer des chercheurs palestiniens, l'Etat sioniste construit les projets d'utilité publique sur les terres palestiniennes uniquement. Dans al-Muthallath, il a soigneusement évité de s'attaquer aux colonies sionistes qui y sont installées pour construire une ligne de chemin de fer ou installer des lignes électriques à haute tension. C'est sur les terres palestiniennes confisquées ou même devenues impraticables (à cause des lignes à haute tension) qu'il poursuit ses actes de sabotage et de destruction de la vie palestinienne. La ville de Kfar Kassem, qui fut le théâtre d'un massacre en octobre 1956, et la ville de Taybé, entourée de trois colonies sionistes, font les frais de cette politique sioniste, visant à démanteler la cohésion sociale et démographique palestinienne de la vallée de 'Ara dans al-Muthallath.
Concernant les démolitions des maisons, les Palestiniens de 48 en sont les victimes depuis l'existence de cet Etat colonial. Pour eux, il ne s'agit pas de cherté du logement, bien que la question les touche également, mais il s'agit surtout d'empêcher la démolition de leurs maisons, et parfois, de leurs villages en entier, quand il s'agit de villages non-reconnus par l'Etat colonial sioniste. Que ce soit dans al-Jalil, al-Naqab ou al-Muthallath, ou bien dans les villes côtières comme Akka, Haïfa, Yafa, Lid ou Ramleh, les Palestiniens sont empêchés de construire leurs maisons, même sur leurs propres terres. Ils sont également empêchés de rénover ou même de réparer des parties de leurs maisons. Dans les villes côtières, comme Haïfa ou Akka, les autorités sionistes empêchent la rénovation des anciens quartiers, avec leurs maisons, quand ce ne sont pas elles qui les mènent, au profit des colons juifs. C'est ainsi qu'une partie du vieux quartier de Akka a subi une transformation radicale, après que sa population en ait été expulsée.
Un rapport du gouvernement sioniste datant de 2005 montre que le nombre d'infractions à la loi de la construction parmi les colons juifs est beaucoup plus élevé que celui commis par les Palestiniens. Mais l'Etat n'a que très peu démoli de maisons construites par les colons, alors qu'elles sont souvent construites sur des terres agricoles. Mais par contre, les bulldozers du ministère de l'Intérieur sioniste sont vite à l'oeuvre dans les villages et bourgs palestiniens. Les services des ministères concernés font sans cesse des soi-disant enquêtes dans les régions palestiniennes, et dressent des listes de maisons à démolir : plus de 5.000 maisons palestiniennes sont menacées de démolition, jusqu'à présent. Ici, il ne s'agit pas simplement de faire « appliquer la loi », mais de rendre la vie des Palestiniens insupportable, et les amener à quitter leur pays.
Ce bref aperçu de l'endurance des Palestiniens de 48 explique pourquoi ils ne participent pas aux tentes de protestation dressées par le public sioniste. Leur combat est tout à fait différent, d'autant plus que le public sioniste a récemment exprimé l'exacerbation de son racisme envers les Palestiniens. On en revient toujours à la problématique société coloniale - société colonisée. Qu'ont-elles de commun ? Les colons juifs venus de pays de l'Est européen, d'Afrique ou des pays arabes, sont certes les moins nantis au sein de la société coloniale. Mais ils vivent dans des colonies construites sur des villages palestiniens que leur Etat a détruits. Ces colons juifs participent aux efforts de guerre contre le peuple palestinien et les peuples arabes de la région. Ils alimentent la machine de guerre sioniste, ils transforment leur déception envers l'Etat colonial en haine contre les victimes réelles de l'entreprise meurtrière qu'est le sionisme.
Notre combat n'est certainement pas le même !
« Nous ne mettrons pas les pieds dans les tentes "israéliennes" » !