par Mère Agnès-Mariam de la Croix
Mère Agnès-Mariam de la Croix (*), nous transmet le message que nous vous livrons ici en réitérant que « faire connaître la situation en Syrie c'est aider les hommes et femmes de bonne volonté à être mieux informés. C'est aussi rendre service à un peuple que guettent les désastres d'une intervention étrangère, de la guerre civile et du conflit inter-confessionnel. Les atrocités qui se commettent en Irak, au Yémen et en Libye, le flou où baignent l'Égypte et même la Tunisie, devraient nous alerter pour ne pas nous laisser désorienter par les thèses des maîtres du monde et savoir regarder la réalité. Il est vrai qu'il y a une tumeur dans les pays arabes, mais encore faut-il pour l'extirper ne pas menacer de mort la société civile. En vérité les atrocités que commettent les pionniers de la "démocratie" chez nous et ceux qui, soudainement très "humains" les appuient de l'extérieur, excèdent la brutalité du régime. Pour l'instant, ce que nous pouvons faire c'est prévenir l'irréparable. La liberté ne peut surgir que de la vérité, car la vérité seule nous rend libres. Je fais ce que me dicte ma conscience. Dans une audience avec l'autorité spirituelle dont nous dépendons il m'a été dit :"Votre devoir est de dire la vérité". Je le fais de bon coeur quelles que soient les retombées. »
Une grande amie ayant reçu mon article sur les derniers développements en Syrie l'a soumis a un "grand journaliste" de ses connaissances.
Voici sa réponse :
"Je ne sais trop qu'en penser ? J'ai un peu l'impression que ton amie surestime les interprétations du pouvoir (complot etc..) et les islamistes sur l'incroyable pulsion de liberté qui s'y exprime avec un courage fou. Voir ce témoignage : « Une révolution d'esclaves contre leurs maîtres : interview de Samar Yazbek, auteure syrienne, membre de la communauté alaouite, plusieurs fois arrêtée pour ses prises de positions anti-Al-Assad », par Christophe Ayad."
Suit l'article qu'on peut trouver sur le site du journal Libération.
Voici ma réponse à mon amie et au "grand journaliste".
Chère amie,
Mes remerciements pour l'occasion offerte de dialoguer avec ton ami dont l'itinéraire journalistique m'a impressionnée.
J'ai bien dit dans mon article que je serais taxée d'être "pro-régime". Mais peu importe. L'important c'est d'informer en vue de prévenir le pire. Je salue Samar Yazbek, connue, respectée et aimée et membre de la ligue des écrivains syriens. Le 4 août, un journaliste que je connais, Pierre Abi Saab, lui dédie une demie page dans le journal libanais arabophone Al Akhbar ( al-akhbar.com) où il la compare à Électre et à Antigone. Son témoignage dans Libération et dans La Croix est bouleversant.
Samar fait partie des élites alaouites dissidentes de la famille Al Assad. Elle confirme le fait que les alaouites, dans leur majorité n'ont PAS été favorisés par le régime : au contraire, ce sont les élites sunnites qui l'ont été et qui, aujourd'hui appuient le régime. J'ai des connaissances parmi ces élites alaouites dissidentes. Il faut être prudent. Car le conflit inter-alaouites est tribal et vindicatif ; il ne porte pas sur la démocratie mais sur le fait de n'avoir pas été favorisé matériellement. Samar a des atouts extraordinaires pour décrire ce qu'elle vit mais elle se trahit. En parlant d'une révolution d'esclaves contre leurs maîtres elle est solidaire avec les siens, ces alaouites défavorisés. Mais on est loin d'une approche globale du phénomène qui regroupe : des intellectuels théoriciens (minorité infime) toutes confessions confondues, des contrebandiers, des repris de justice, des élites politiciennes corrompues écartées (dont l'oncle des Assad, Rifaat El Assad établi à Paris et le sunnite ancien vice-président, Abdel Halim Khaddam, dissident dès 2005 en préparation des évènements actuels d'une reprise sunnite du pouvoir sous couverture turco-saoudienne, avec bénédiction US), des idéalistes (une minorité) dont les anciens communistes et autres partis politiques dévitalisés par le monopole baathiste, la classe moyenne des sunnites galvanisée par des slogans confessionnels, des kurdes marginalisés.
J'ai lu attentivement l'interview de Samar. Il s'agit, qu'on me le permette, de pain rassis sur la planche. Samar parle du début du mouvement pacifique de contestation. A ce moment-là nous étions tous unis et solidaires avec les demandes légitimes de réforme. Je connais personnellement des intellectuels du communiqué de Damas. Samar a quitté la Syrie début juillet. Auparavant elle travaillait aussi à la télévision syrienne.
Samar évoque des évènements qui remontent à la période mars/juin. Aujourd'hui Samar n'est plus en Syrie. Elle a rejoint les "intellectuels" expatriés qui "théorisent" ou "sentimentalisent" la révolution. Or, qui penserait un seul moment, aujourd'hui, théoriser ou sentimentaliser la guerre en Irak qui en a fini avec le mauvais Saddam Hussein et son équipe affreuse ? Quel bilan ? Deux millions de morts dont les deux tiers sont des civils, pour quelle réalisation ?
Je ne crois pas un mot de ce qu'elle raconte quand elle dit avoir été amenée, en guise de prévention, dans les geôles syriennes pour voir les atrocités qui s'y passent. C'est de la littérature. JAMAIS le régime ne permettra à quelqu'un de "voir" ses dessous occultes puis de "partir" pour faire de la contre-propagande.
Ce qui ne veut pas dire que, dans ces geôles, il n'y a pas ce qu'elle décrit. J'ai connu des jeunes qui m'ont raconté comment ils ont été torturés dans ces geôles surtout par le supplice de la roue et les fouets avec des câbles en acier. C'est terrible et çà peut handicaper une personne à vie mais pas comme elle le dit.
Je connais et j'aide des familles au Liban et en Syrie dont le père ou le frère ou l'oncle ont "disparu" dans les geôles syriennes, ou ils sont parfois incarcérés depuis vingt ans sans que l'on sache vraiment pourquoi. La Syrie est une dictature de fer et c'est par raison d'État. Il y a des milliers de prisonniers parce qu'on ne les exécute pas. Les crimes contre la sécurité de l'État sont châtiés par la prison indéfinie.
Le régime gouverne un pays de 22 millions d'habitants. Ce régime est composé de quelques centaines de milliers de personnes. Pour l'extirper il ne faut pas appauvrir, harceler, menacer et manipuler une population entière comme on (les rebelles) essaie de le faire en Libye. C'est contre cela que je m'insurge. Samar dit : "On ne peut pas nier que le fait confessionnel existe, mais, pour l'instant, il n'a pas dégénéré en guerre civile, bien que le régime fasse tout pour."
Mes informations de source me disent, et je l'ai écrit, que le fait confessionnel est déjà un fait qui a dégénéré en guerre civile larvée. Ce n'est pas le régime qui va "tout faire pour", puisque comme elle le dit les sunnites en veulent aux alaouites. Le régime ne peut pas favoriser la haine des sunnites contre les alaouites car ce serait signer sa propre mort puisque, d'après les dires de Samar, ce régime est alaouite.
Au contraire, d'après mes informations, les alaouites sont furieux contre le régime qui les empêche de prendre les armes pour répondre aux agressions verbales et physiques des sunnites des villages environnants. Le dernier slogan des villages sunnites que je n'ai pas cité dans mon article est "les Alaouites au tombeau et les chrétiennes dans (nos) lits..." ("Al Alawiyé al Taboût wel masihiyeh bit Toukhout").
Samar elle-même, dans sa dernière lettre aux Alaouites, parle plus de religion que de démocratie. Elle exhorte ses coreligionnaires à la révolution dans des termes confessionnels non équivoques. Où sont passées la démocratie, la liberté, la paix ? Il ne s'agit pas là de "suivre" un courant "spontané" de contestation légitime, mais de "susciter" un renversement du régime...qui ne pourra l'être que par la force.
C'est la même approche ambiguë que les médias internationaux. On ne "suit" pas l'évènement, on le provoque.
Comment construire une nouvelle Syrie sur une base plus confessionnelle et moins spontanée que jamais ? La théorisation a cela de néfaste qu'elle peut élucubrer sans peine sur la quadrature du cercle. Mais que cela passe dans le vécu des bonnes gens, c'est la catastrophe.
Samar affirme aussi que c'est la "propagande du régime qui veut faire croire à l'infiltration de groupes salafistes". J'invite Samar dans mon petit village de Qâra où elle peut voir de ses yeux un échantillon des groupes salafistes qui ont été entraînés en Irak par Al Qaeda, dont certains jeunes sont morts en combattant les Américains et pour les funérailles desquels nous étions invités en 2005. Il faudrait que Samar vienne à Homs ou à Hama ou à Lattaquié pour voir de ses yeux les sévices de ces groupes salafistes de Abou Moussab Al Zarqawi, de Cheikh Ar3our, de Cheikh Qaradawi et que le successeur de Ben Laden, Al Zawahiri, a déclaré, dans la presse, soutenir. C'est peut-être le régime qui est derrière la déclaration de Zawahiri ?
Très vite, comme je le dis dans mon premier article et je le confirme dans mon second article, le mouvement pacifique de contestation a été doublé par une insurrection armée obéissant strictement et professionnellement à des agendas externes en consonance parfaite avec les médias internationaux. Depuis 2005, nous avons des informations effrayantes sur un commerce illégal d'armes dont un réseau passe devant notre monastère (situé aux contreforts de l'Anti-Liban, à 30 Km à vol d'oiseau de la frontière libanaise avec ses villages sunnites pro saoudiens). Ce commerce juteux se faisait moyennant argent sonnant avec l'accord tacite des forces de l'ordre alaouites qui ne voyaient pas le danger venir.
Il faut venir sur place pour avoir une idée de la situation. Voir comment, à Damas même, les opinions sont divergentes (voir ici l'article d'une photographe paru dans Le Monde : lemonde.fr). Mais le conflit armé n'a pas lieu à Damas.
Les conflits armés dont je parle ont eu lieu (puisque hier le gouvernement syrien a informé l'ONU qu'il avait terminé son intervention militaire face aux groupes armés infiltrés) dans des zones frontalières névralgiques avec l'appui de nos voisins devenus soudain très soucieux de démocratie : les Turcs, les Haririens du Liban, les Saoudiens et Qataris à travers la Jordanie, les salafistes d'Irak à travers l'interminable frontière de l'Est (Bou Kamal). Nous vivons en Syrie le principe de la "guerre soft", inventée comme je l'ai dit, par l'intelligentsia US. C'est la guerre médiatique, les sanctions onusiennes, la CPI et...les troupes des rebelles (parfois dûment appuyées par l'OTAN) qui font la sale besogne à notre place.
Ce texte d'Alastair Crooke, ancien conseiller de Clinton, est très suggestif :
atimes.com (1ere partie de la traduction française dans
legrandsoir.info.)
Devant les atrocités de la "guerre humanitaire" en Irak ou en Libye il est indécent de parler de liberté ou de démocratie. Il nous est demandé de regarder en face la réalité et non pas l'image alternative que façonnent d'elle les médias internationaux. A mon avis, d'abord dénoncer l'ingérence et les visées hégémoniques des grandes puissances etc. SANS négliger de satisfaire à la justice, équité, démocratie locales.
Hier : une nouvelle propre à galvaniser les foules désireuses d'appuyer la démocratie : "L'armée syrienne a bombardé les pauvres réfugiés du camp palestinien de Lattaquié". Quelques heures plus tard le commandement du Fatah qui gère ce camp et l'autorité palestinienne hiérarchique démentent ces nouvelles. Qui croire ? Pour notre part nous avons téléphoné à l'habitant. La version des médias officiels syriens est la bonne. Il y avait à Lattaquié, près du camp palestinien, une insurrection armée, ou plutôt des terroristes - la plupart étrangers - qui s'étaient infiltrés depuis des mois, avaient entassé armes et munitions, créé une ligne occulte de défense martiale. Ces cellules dormantes se sont réveillées au jour et à l'heure voulus par un complot international minutieusement préparé.
Les habitants ont demandé à grands cris l'intervention de l'armée. Pas plus tard qu'hier des amis de la région étaient chez nous et ils nous ont confirmé la version réelle des évènements.
Il y a des réalités que je n'ai plus pris la peine d'évoquer ; près de nous, à Homs, des quartiers entiers sont aux mains de ces groupes armés dont les Homsiotes disent "1/3 d'habitants naturels et le reste on ne sait pas d'où. On a même arrêté des femmes afghanes dont le rôle est de dépecer les cadavres pour impacter le plus possible la population locale. Cela s'était ainsi passé lors de l'insurrection de Nahr El Bared au Liban sous couverture internationale." Le curé de Bab El Sbah à Homs est "réfugié" depuis avril hors de sa paroisse. Il ne peut plus entrer dans ce quartier "occupé" par les salafistes. Les habitants s'étonnent que les autorités syriennes disent qu'elles "ont terminé leurs opérations militaires" alors que de tels foyers d'insurrection demeurent ?
Je conseille à qui veut en avoir le cur net de venir sur place. Nous lui assurerons l'accompagnement nécessaire avec nos jeunes, nos curés et il pourra rencontrer sur les lieux mêmes des évènements les habitants de toutes dénominations. Une rétrospective éclairante.
Ce que j'ai écrit est le fruit de témoignages vécus, sur le terrain. J'ai même pris la peine de distinguer qu'en cas d'acte confessionnel "irréparable", nous ne saurions distinguer qui en sera l'auteur : les islamistes ou les agents du gouvernement.
Plus d'objectivité de notre part ? Difficile !
Mère Agnès-Mariam de la Croix, Higoumène du Monastère Saint Jacques l'Intercis, Syrie.
Le 20 août 2011.
Mère Agnès-Mariam de la Croix est de nationalité libanaise et française. Son père est réfugié palestinien de 1948. Elle a vécu la guerre civile du Liban et travaille en Syrie depuis dix sept ans.