Par Alex Lantier
23 août 2011
Des avions de combat de l'OTAN sont en train de bombarder Tripoli, alors que des forces affiliées au Conseil national de Transition (CNT) et soutenues par l'OTAN continuent de lancer une offensive terrestre avec le soutien aérien de l'OTAN pour encercler la capitale libyenne. La presse américaine affirme de plus en plus fréquemment que le CNT renversera très bientôt le gouvernement libyen du colonel Mouammar Kadhafi contre lequel l'OTAN mène une guerre depuis mars en utilisant le CNT comme ses forces au sol.
Des forces tribales pro-CNT issues des Montagnes de Nafusa, armées par des pays, dont la France et l'émirat du Golfe persique du Qatar, se sont avancées sur Zawiya et Gheryan. Les combats se sont poursuivis hier à Zawiya, bien que le CNT affirme contrôler la raffinerie de pétrole de la ville - la dernière raffinerie à fonctionner en Libye - et avoir coupé les routes d'approvisionnement passant par Zawiyah et reliant Tripoli à la Tunisie.
Avec les forces du CNT tenant à présent Gharyan, ils sont aussi en mesure de bloquer un oléoduc allant à Tripoli et de couper Tripoli des forces pro-Kadhafi dans le Sud. Les forces du CNT basées à Misrata sont également en train de progresser sur Tripoli venant de l'Est, attaquant la ville de Zlitan.
Les avions de chasse de l'OTAN ont bombardé Tripoli vendredi tandis que les responsables de l'OTAN soutiennent que leurs raids de jeudi ont détruit quatre cibles militaires ainsi que des installations antiaériennes à Tripoli.
Des correspondants de l'AFP et de l'AP à Tripoli ont fait état de pannes d'électricité de plus en plus courantes et de coupures du service de téléphonie mobile. Selon la chaîne TV d'actualités MSNBC, des familles « fuient leurs maisons pour éviter une éventuelle attaque des rebelles sur Tripoli. »
Le Comité international de la Croix-Rouge a mis en garde contre une « rapide détérioration de la situation humaine, » alors que des responsables à Genève de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) commencent à se préparer à un exode massif de travailleurs immigrés de Tripoli. Jusque-là, seuls quelque 600.000 étrangers sur un nombre estimé entre 1,5 et 2,5 millions - en grande partie des travailleurs migrants d'Asie ou d'Afrique attirés par la richesse relative de l'économie pétrolière - ont quitté le pays. Nombre de ceux qui sont restés se sont réfugiés dans la capitale pour échapper à la violence qui règne dans d'autres parties de la Libye.
La porte-parole de l'IOM, Jemini Pandya, a fait état de projets visant à évacuer des milliers de travailleurs égyptiens bloqués à Tripoli : « Nous envisageons toutes les options qui nous sont offertes, mais se sera probablement par voie maritime... Nous disposons d'un créneau très restreint pour mener à bien cette opération en raison des combats. »
Des responsables occidentaux et du CNT font des déclarations visant apparemment à terroriser la population de Tripoli pour qu'elle se rende. Le dirigeant du CNT, Moustafa Abdel Jalil a dit que « l'étau était en train de se resserrer » et qu'il prévoyait un « véritable bain de sang » à Tripoli dont il rejette la faute sur la résistance continue de Kadhafi et de ses partisans.
Le ministre italien des Affaires étrangères, Franco Frattini, a exhorté la population de Tripoli à se soulever contre Kadhafi : « Nous espérons que les habitants de Tripoli, qui malheureusement sont déjà en train de fuir, comprendront que le régime a nui à son propre peuple et qu'ils rejoindront le processus de changement politique en retirant toute marge de manoeuvre au régime de Kadhafi. »
Malgré les tentatives de Frattini de présenter l'OTAN comme étant motivée par des inquiétudes concernant la population libyenne, les succès militaires du CNT sont dus à une campagne de bombardement impitoyable menée par les forces américaines et européennes contre la Libye.
Derek Flood, un analyste de la Jamestown Foundation, groupe de réflexion américain qui se trouve à présent en Libye occidentale, a dit à CNN que les forces du CNT étaient « tributaires de l'OTAN, » en ajoutant : « elles n'opéreraient pas sans un affaiblissement préalable des cibles par l'OTAN. »
L'OTAN a effectué contre Zawiya des raids aériens durant plusieurs jours avant que les rebelles puissent avancer, touchant une dizaine de fois des « cibles clé », selon un porte-parole de l'OTAN, avant que le CNT ne progresse sur Zawiya. Des avions de combat britanniques ont aussi coulé un navire transportant des soldats libyens qui tentaient apparemment de fuir la ville. Micah Zenko du Conseil des relations étrangères américain a dit à CNN que l'OTAN coordonnait ses bombardements avec les forces du CNT grâce à un réseau de soldats des Forces spéciales (« Special Forces ») et de « militaires sous contrat » retraités de l'armée qui opéraient sur le sol libyen.
Ces événements démasquent les affirmations fausses et hypocrites des puissances occidentales selon lesquelles leur intervention militaire en Libye a pour but de protéger des civils qui protestent contre le régime Kadhafi. En fait, l'OTAN livre une guerre impérialiste qui est menée au mépris de la vie des Libyens afin de mettre en place un régime droitier au centre d'une région qui est ébranlée par des luttes de masse révolutionnaires contre des dictatures soutenues par les Etats-Unis en Egypte et en Tunisie.
Les grandes puissances tentent aussi apparemment de négocier le départ de Kadhafi de la Libye. Lundi l'ancien premier ministre français, Dominique de Villepin, a participé à des discussions entre des responsables du régime Kadhafi et des représentants du CNT qui se sont tenues sur l'île tunisienne de Djerba. Il a déclaré au quotidien français Le Parisien que les pourparlers étaient « extrêmement difficiles » mais a refusé tout autre commentaire, disant que ceci risquerait de compromettre les chances de succès des discussions.
Le régime par lequel l'OTAN compte remplacer Kadhafi est d'un caractère des plus droitiers et réactionnaires. Le CNT a rédigé à Benghazi une « déclaration constitutionnelle » de 14 pages qui a été présentée à l'AFP. Elle expose la fondation d'un gouvernement islamiste droitier en Libye. Elle stipule, « La Libye est un Etat démocratique indépendant ou tous les pouvoirs dépendent du peuple. Tripoli est la capitale, l'Islam est la religion, la Charia Islamique est source principale de la législation. »
Le document aurait été rédigé par l'activiste islamique Mohammed Bousidra qui a accordé le 5 août une interview au quotidien canadien Globe and Mail. Le journal a rapporté que Bousidra « envisage de transformer les mosquées en machine politique. Ceci fait de lui, de l'avis de beaucoup, la figure qui détient le plus de pouvoir politique et le plus susceptible de contrôler la direction du pays en cas de départ du dictateur. »
Bousidra a présenté sa vision d'un Etat fantoche islamique fondamentaliste et pro-impérialiste en Libye. Il a assuré au Globe and Mail qu'il « resterait favorable à l'Ouest et à ses gouvernements et entreprises pétrolières. » La conclusion incontournable est que les 42 milliards de barils de pétrole de la Libye seront dénationalisés et saisis par des firmes pétrolières occidentales.
Bousidra a aussi insisté pour dire que l'alcool et l'homosexualité devraient devenir strictement illégaux en Libye ainsi que « l'éloge de toute religion autre que l'Islam. »
Le Globe and Mail a expliqué, « le réseau de M. Bousidra est extraordinaire : il inclut les Frères musulmans bannis de longue date ; la Brigade des Martyrs du 17 Février qui est la force combattante la plus importante parmi les armées rebelles et qui est dirigée par l'influent religieux Ismail al-Sallabi ; le religieux qui est encore plus populaire, le frère de M. Sallabi qui est basé à Doha [au Qatar], l'émir Ali Sallabi ; et une demi-douzaine d'autres Imams bien connus en Libye dont d'anciens membres plus modérés du Groupe islamique des combattants libyens, banni de longue date. L'entourage de M. Bousidra est opposé à l'Islamisme extrême d'Al Qaïda et d'autres groupes radicaux.
La distinction que le Globe and Mail fait entre les membres du Groupe islamique des Combattants libyens (LIFG) et Al Qaïda est, toutefois, en grande partie imaginaire. Le LIFG a été fondé dans les années 1980 par des vétérans libyens de la guerre russo-afghane et il partage donc des liens historiques avec Al Qaïda. Al Qaïda est issu de Maktab al Khidama (MAK), le groupe qui a supervisé le recrutement international, le financement et le réapprovisionnement en volontaires musulmans pour cette guerre.
Le gouvernement américain, quant à lui, affirme ouvertement que les deux groupes travaillent étroitement ensemble. Dans son annonce offrant une récompense d'un million de dollars pour la capture du membre du LIFG, Atiyah Abd al-Rahman, (« $1 million reward for the capture of LIFG member Atiyah Abd al-Rahman »), le programme Récompense pour la Justice américain prétend qu'al-Rahman « recrute et facilite l'obtention d'entretiens avec d'autres groupes islamiques pour opérer sous Al Qaïdai. Il est aussi membre du Groupe islamique des Combattants libyens et d'Ansar al-Sunna. Atiyah maintient des contacts réguliers avec des responsables de haut rang d'Al Qaïda. »
La collaboration entre des groupes islamistes d'extrême droite et les pays de l'OTAN démasque davantage encore le cynisme de la « guerre contre le terrorisme » menée par les Etats-Unis et les puissances européennes. Tout en citant Al Qaïda comme étant le mal absolu qui justifie la guerre et des attaques brutales contre les droits démocratiques, ils sont capables de collaborer avec des forces identiques lorsque cela va dans le sens de leurs intérêts impérialistes.
(Article original paru le 20 août 2011)