K. Selim - Le Quotidien d'Oran
Kadhafi, c'est fini. Les jeux étaient faits dès l'adoption par le Conseil de sécurité de la résolution sur la zone d'exclusion aérienne. Pourtant, le colonel Kadhafi, terrorisé par le sort réservé à Saddam Hussein et à sa progéniture, avait signé sa reddition complète aux Occidentaux en 2003. Il a tout donné et livré tous ses secrets, en mettant dans une situation très délicate le père de la bombe atomique pakistanaise, Abdul Qadeer Khan.
Le réalisme de Kadhafi a été remarquable. Tant de disponibilité avait comblé d'aise l'administration américaine, qui avait vu dans ce changement de cap, managé par l'héritier présomptif Seif Al Islam, un de ses rares succès diplomatiques. L'inquiétante Condoleezza Rice, secrétaire d'État de Bush, s'était rendue à Tripoli en 2009 et a fait l'éloge du guide. Elle en avait profité pour le donner en exemple aux dirigeants iraniens et syriens, déclarant notamment que les « États-Unis n'ont pas d'ennemi permanent (...). Lorsque des pays sont prêts à opérer des changements de direction stratégiques, les États-Unis sont prêts à y répondre ».
Kadhafi excellait dans l'art de la survie qui lui a permis, dans la gabegie et l'incompétence, de durer quatre longues décennies. Mais Kadhafi, tout comme les dirigeants arabes tombés avant lui - Ben Ali et Moubarak -, méprisait la population et n'éprouvait nul besoin de se prémunir de sa colère. La société libyenne a subi les lubies d'un dirigeant erratique qui pouvait décréter publiquement l'abolition de l'État, tout en multipliant des appareils de sécurité pour surveiller et contrôler la société. Kadhafi a décrété que les partis politiques étaient un fléau. Il pensait qu'il était préservé en étant l'ami de Berlusconi et autre Sarkozy ; il ne lui est jamais venu à l'esprit que les Libyens existaient néanmoins et qu'ils ne supportaient pas sa tente ambulante et ses clowneries à répétition. Kadhafi aura-t-il la dignité ultime d'un Saddam Hussein face à son destin ?
Mais il aura été, comme lui, victime d'amitiés occidentales versatiles qu'il pensait avoir définitivement achetées. Ses « nouveaux » amis là ont saisi l'opportunité de la révolte des Libyens pour lui signifier sa révocation. Ses anciens amis, russes et chinois, ont décidé qu'ils ne lui sauveraient pas la mise. Personne ne regrettera le dictateur, même si certains peuvent, à juste titre, penser que la Libye sera libérée de Kadhafi mais pas de ses « nouveaux bienfaiteurs » occidentaux. Il est quand même comique d'entendre - on a les histrions que l'on peut, ce n'est pas un monopole arabe - Berlusconi parler de la liberté des Libyens !
Mais il faut bien constater que la chute de ce dictateur, le troisième dans l'aire arabe et le deuxième dans notre Maghreb, est lourde de sens pour ceux qui voient se dessiner le nouveau rapport de forces. Il n'est qu'une unique conclusion à en tirer : le système vermoulu des tutelles politico-policières a vécu. Et s'il ne change pas de manière ordonnée - ce qui sauvegarde les intérêts du pays et sa relative indépendance -, il sera changé de l'extérieur. L'immixtion ne prendra pas forcément la forme d'une intervention militaire, elle pourra revêtir des aspects plus sophistiqués. Les régimes qui ne comprennent pas que les temps ont changé et que les pouvoirs ne sont forts que par une adhésion libre et organisée des citoyens, deviennent des menaces pour la sécurité nationale.
Les temps ont changé. L'URSS n'existe plus, des pays ont disparu, d'autres ont été amputés Et nous avons, à nos frontières méridionales, de gigantesques territoires de manuvres. Posons-nous la question : une fois la page libyenne tournée, que restera-t-il sur l'écran ? Les gouvernants doivent intégrer une donne nouvelle. Il n'est pas encore minuit moins cinq. Mais l'heure tourne, irrémédiablement.
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