Translated by Michèle Mialane
Pendant 10 ans vous avez conseillé le gouvernement syrien pour son programme de réformes. Aujourd'hui vous souhaiteriez conseiller le soulèvement patriotique syrien. Faites-vous partie de l'organisation du mouvement d'opposition ?
Je crois que le terme d' « opposition » n'est pas approprié, en tout cas pas pour moi. La question c'est : est-on avec le jeune mouvement social, oui ou non ? Il y a des gens qui sont pour, il y en a qui ont peur. Et il y a des gens qui sont toujours pour le régime, parce qu'ils en profitent. Et même parmi ceux qui sont pour le soulèvement, les opinions divergent. Quelques-uns ont des penchants islamistes, d'autres ont des projets à l'international. Mais fondamentalement la société syrienne est patriote. Je me sens du côté des patriotes, de ceux qui veulent donner un avenir à cette révolte.
- - Samir Aita est rédacteur en chef de l'édition arabe du Monde Diplomatique. Né à Damas, il vit à Paris.La révolte dure depuis cinq mois, où en est le mouvement aujourd'hui ?
Au début les évènements ont surpris tout le monde. Tout a commencé par un incident à Deraa, qui aurait été à vrai dire facile à régler et qui aurait pu offrir une bonne occasion de se joindre au « printemps arabe. » Mais il a évolué vers une confrontation entre la population et l'appareil de pouvoir. Si l'on avait organisé des élections libres en février 2011, Bachar El Assad aurait obtenu peut-être 70% des suffrages. Aujourd'hui il en aurait peut-être 10%, ce qui représente un vrai bouleversement. D'une part la dynamique des évènements est le fait de l'ensemble de la population syrienne, mais surtout des jeunes. D'autre part le régime syrien y a beaucoup contribué. Une plaisanterie court : ce ne sont pas seulement les gens qui veulent la chute du régime, mais le régime lui-même qui veut sa propre chute. Il a commis toutes les erreurs, fait toutes les bêtises possibles. Nous nous trouvons aujourd'hui à un moment charnière. Le régime, l'appareil de pouvoir a pris la société tout entière, le pays tout entier en otage pour se maintenir, et c'est inacceptable. Mais c'est aussi dangereux, car cela a fait naître de la haine entre les gens. Et pour être honnête, certaines fractions de l'opposition portent une part de responsabilité. Certains se déclarent favorables à la révolte, mais ils ont des visées confessionnelles, et je ne veux rien avoir à faire avec eux.
Les sanctions prises par l'UE, les USA et l'ONU sont-elles appropriées ?
Certains gouvernements étrangers, dont les USA, parlent de sanctions, mais je leur demande: l'Irak ne vous a-t-il rien appris? Des sanctions qui ont duré 13 ans - résultat ? le régime est-il tombé ? Non, la société a été détruite. Ce n'est pas la bonne solution. Les Syriens refusent toute immixtion étrangère, ainsi que celle du Conseil de sécurité de l'ONU. Car ils savent bien que, si modéré que soit le texte que celui-ci publiera, il recevra la même interprétation que pour la Libye. Personne n'a le droit de dénaturer le caractère de cette révolte. Les Syriens ont beaucoup de courage, ils sont prêts à payer leur liberté très cher. Cette liberté est la leur, voilà ce qu'il nous incombe de protéger.
Nombre de gens se demandent si Bachar El Assad est vraiment un réformateur ou s'il n'est pas plutôt partisan d'une solution militaire. Gouverne-t-il vraiment, est-ce bien lui qui décide ?
Je ne sais pas ce qui se passe au sein de la famille, dans le petit cercle des initiés, mais une chose est sûre, depuis onze ans il a mené une mauvaise politique. C'est elle qui a causé cette révolte, car c'est une politique néolibérale. Lorsque je conseillais le gouvernement syrien, j'ai dit un jour à la Ministre du Travail de l'époque que la politique syrienne était pire que celle de Bush, encore plus néolibérale. La Ministre était au parti Baas et faisait ce que le Président lui ordonnait. Ses convictions socialistes, si tant est que le parti en avait, ne jouaient aucun rôle. Je pense qu'Assad porte la pleine responsabilité de ce qui se passe. Il n'est pas une partie de la solution, mais une partie du problème. Non seulement il est responsable des morts et des crimes, mais il est aussi responsable de l'affaiblissement de la Syrie, qui permet désormais à tous les États voisins d'en faire leur jouet. Il est impossible de gouverner la Syrie de cette façon, c'est sûr.
Assad doit démissionner - manifestation de Syriens vivant en Turquie vendredi à Istanbul contre le gouvernement syrien (Reuters)
Malgré son intervention, l'armée jouit d'un grand prestige en Syrie...
Il est important qu'elle subsiste en tant qu'entité. Mais nous attendons le moment où elle aussi dira « non » et se mettra du côté du peuple.
Maintenant l'armée elle-même subit des attaques. De la part de qui? Y a-t-il des groupes qui utilisent la révolte à d'autres fins? Y a-t-il des groupes armés qui combattent l'armée?
La révolte fédère plusieurs courants. Il est des régions - pas dans le Hauran [ou Dejebel Druze, dans le Sud, NdE], où tout a commencé - où l'on trouve des agitateurs confessionnels. Et il y a des problèmes liés à l'histoire, comme à Hama et Jisr Al Choghour. Ils arrive que les gens se haïssent, et si on leur met la pression, ils prendront les armes. Pour être honnête, oui, il y a des groupes armés. Mais ils sont peu nombreux et isolés. Bien sûr il y a des gens qui veulent impliquer la Syrie dans des conflits confessionnels, par exemple le Mouvement du 14 mars au Liban. On a des preuves qu'ils.ont fait passer des armes en Syrie. Dans la région de Talkalakh également les gens ont pris les armes. Près de la frontière turque quelques personnes ont fait passer des armes, et il y en a aussi près de la frontière avec l'Irak. Mais cela ne peut en aucun cas justifier la brutalité à l'encontre des gens qui descendent dans la rue. 99% des révoltés sont courageux, non-violents et en plus ils ont de l'humour. Mais plus la situation se détériore, plus les tensions montent. Si l'on ne propose pas de solution tout peut sombrer dans le chaos. Pour le moment la société syrienne reste solide et ne permet pas une telle évolution. Mais si les USA et les Européens alourdissent leurs sanctions, les gens vont tomber dans la pauvreté. Si la situation continue à se détériorer, ils peuvent échapper à tout contrôle.
La Secrétaire d'État US aux Affaires étrangères, Hillary Clinton, a promis aide et soutien aux révoltés syriens. En êtes-vous satisfait?
Nous savons ce que cherchent les USA dans la région: établir leur hégémonie. Nous, nous voulons des relations normales entre États. Et qu'à part ça ils nous laissent tranquilles. Mais s'ils veulent jouer avec nous, ils pourraient bien avoir une mauvaise surprise. Nous sommes un pays complexe et une société solide. Aucune autre société n'aurait encaissé ce que la société syrienne a assumé au cours des dix dernières années. Nous avons absorbé 1,5 million de réfugiés irakiens en deux ans. En Allemagne cela correspond à six millions de personnes. La société allemande n'aurait pas tenu. Nous, si. Sans aune aide publique ou internationale. La loi, en Syrie, dit que tout Arabe qui entre dans le pays a accès gratuitement à l'éducation et aux soins de santé. Nous nous y sommes tenus. En pleine révolution, les Tunisiens ont accueilli 450 000 réfugié libyens, alors qu'aucune institution publique ne fonctionnait, et ils sont venus en aide à ces gens sans jamais se plaindre. Mais quand 10 000 réfugiés veulent passer par l'Italie pour se rendre en France, 450 millions d'Européens poussent les hauts cris et songent à modifier les accords de Schengen. On n'a pas la même conception de l'humanité des deux côtés de la Méditerranée.
L’opposition s’est réunie à Doha, au Qatar, à la fin du mois de juillet. Y a-t-il eu des avancées ? Qu’en est -il de la suite ?
Le Printemps arabe ne doit pas finir par une coalition entre les royaumes despotiques [du Golfe, note de la journaliste] et les puissances occidentales qui décidera de la suite des évènements dans les pays révoltés. Et dans la phase de transition ces pays sont en situation de faiblesse. Le bon, côté de la rencontre de Doha, c'est que nous avons pu pour la première fois depuis les début des révolutions arabes contacter directement des gens venus des pays en révolte. Je crois que la rencontre de Doha était meilleure que celles d'Antalya ou d'Istanbul. À Doha on a élaboré des objectifs clairs permettant de mettre en œuvre un pacte social républicain; un bon résultat que nous allons pousser plus loin.
Est-ce que les Syriens qui se sont rencontrés à Berlin ce week-end ont débattu de tels projets?
Non, à Berlin il s'agissait plutôt de marquer la présence d'une coordination patriotique. Nous devons nous rencontrer pour échanger nos points de vue et discuter. Faire des propositions et écouter tous les autres points de vue. Cela donne de l'espoir aux gens.
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Courtesy of Tlaxcala
Source: jungewelt.de
Publication date of original article: 17/08/2011
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