par Pierre Jasmin et Pierre Dubuc et Claude Herdhuin
Le site Mondialisation.ca ne favorise pas la polémique, mais nous avons cru important de publier le texte de M. Pierre Jasmin, président des Artistes pour la Paix, reflétant sa prise de position sur la guerre en Libye ainsi que sur le cas des journalistes Mahdi Nazemroaya (Mondialisation.ca) et Thierry Meyssan (Réseau Voltaire). Le texte de Pierre Jasmin est une réaction au texte de Michel Chossudovsky « TUER LA VÉRITÉ : Mahdi Nazemroaya est menacé par les rebelles « pro-démocratie » de l'OTAN ».
Ce texte est suivi de deux répliques à Pierre Jasmin : les réponses de Pierre Dubuc, L'aut'Journal, et Claude Herdhuin, auteure, réalisatrice, scénariste.
Nous voulons également souligner que le gouvernement canadien a assuré le repatriement de Mahdi Darius Nazemroaya au Canada.
Son repatriement a été relayé par plusieurs médias dont l'Aut'Journal, la CBC, Post News (incluant The Gazette et le Ottawa Citizen), TVA.
Texte de Pierre Jasmin, président des Artistes pour la Paix
Le professeur Michel Chossudovsky lance, dans son article « Tuer la vérité » dans l'aut' journal du 23 août, un appel pour que le gouvernement canadien intercède en faveur du journaliste Mahdi Darius Nazemroaya en le rapatriant de Tripoli, afin d'éviter son lynchage par les forces révolutionnaires qui semblent maîtresses de la situation actuellement. Les Artistes pour la Paix appuient cette demande, d'autant plus qu'elle ne semble pas avoir été relayée par d'autres médias, moins généreux que l'aut'journal.
Il se peut que l'article du professeur soit cause de ce peu d'empressement, d'une part parce qu'il y développe un argumentaire de typique aveuglement idéologique en faveur de Kadhafi et d'autre part parce qu'au danger vécu par le journaliste canadien, il associe Thierry Meyssan, qui selon plusieurs trouvera bien de l'aide du côté de ses propres compatriotes, grâce à l'argent que ses livres avançant de nombreuses théories fumeuses de complots ont amassé.
Le professeur clame qu'il connaît LA vérité de la guerre qui secoue la Libye, et c'est le genre d'opinion rigide déplorable qu'il impose à mondialisation.ca, créant ainsi comme victimes collatérales, plusieurs vérités que ce site documenté a aidé à débusquer au cours des années, derrière l'écran opaque de propagande des médias officiels.
Délégué Pugwash à Berlin pour sa 59 e conférence internationale (voir notre rapport sur le site www.artistespourlapaix.org), j'ai eu le plaisir d'y rencontrer plusieurs acteurs égyptiens, tunisiens et libyens de la révolution arabe. M. Benotman, membre du Conseil national de transition libyen, nous a longuement entretenus des événements dramatiques qui se déroulaient dans son pays (la conférence avait lieu du 1 er au 4 juillet).
Ce n'est pas de gaieté de cur que nous avons constaté que l'intervention de l'OTAN en Libye, à l'image de la libération de Sarajevo contre l'artillerie serbo-bosniaque qui entourait la ville en 1994, a eu une certaine utilité. Mais contrairement à 1994, il faut regretter ses intenses bombardements de civils! L'OTAN est cette alliance militaire surannée dont les Artistes pour la Paix réclament la suppression depuis plus de vingt ans (depuis la fin du pacte de Varsovie), ne serait-ce qu'à cause de sa réserve d'obus à uranium appauvri et de bombes nucléaires obsolètes qui représentent une honte pour l'Occident.
Les Artistes pour la Paix ne connaissent pas LA vérité du conflit libyen, ni LA vérité d'aucune guerre, à vrai dire, puisque toute guerre civile fait comme premières victimes la lucidité et l'impartialité politiques. Mais nul n'a besoin d'être grand clerc pour deviner, comme nous l'avons communiqué à l'exécutif d'Échec à la guerre en mai-juin, qu'après 42 ans de pouvoir, le tyran Kadhafi dont les prisons étaient parmi les plus horribles du continent africain (SNC-Lavalin s'était portée volontaire pour les moderniser : $$$!) voyait ses jours comptés, vu la contagion de la révolution démocratique arabe.
À Berlin, à la suite des craintes exprimées de voir l'islamisme triompher éventuellement grâce à la révolution nouvelle, une des représentantes démocrates égyptiennes s'est exclamée : « Arrêtez de projeter vos craintes occidentales sur nous, faites-nous confiance et surtout, appuyez-nous! » Cet article veut aller dans ce sens.
Pierre Jasmin, président des Artistes pour la Paix
PS Dernières nouvelles : les deux journalistes sont arrivés sains et saufs à Malte
Note de la Rédaction, Mondialisation.ca: M. Benotman mentionné dans le texte de Pierre Jasmin dans le cadre de la réunion Pugwash est (confirmé par la BBC) un ancien leader d'une organisation terroriste (Libya Islamic Fighting Group) affilié à Al Qaida.
Réponse de Pierre Dubuc, journaliste et directeur de L'Aut'journal, à Pierre Jasmin.
Cher Pierre,
Ton propos me sidère. Au point où je me demande si tu t'es relu. Le « peu d'empressement » des médias traditionnels à relayer la demande de Michel Chossudovsky en faveur de son journaliste Mahdi Darius Nazemroaya à Tripoli découlerait de son « aveuglement idéologique en faveur de Khadafi » et de son association avec Thierry Meyssan, que tu largues allégrement en disant « qu'il trouvera bien de l'aide du côté de ses propres compatriotes ».
Incroyable que cet internationalisme à géométrie variable! On ne défend que les journalistes dont on partage les opinions !? Te rends-tu compte que ta position est quasiment un blanc-seing à la liquidation de Meyssan!
J'avoue que je ne suis pas un grand fan de Meyssan, mais la question n'est pas là. Je t'invite à méditer cette citation attribuée à Voltaire : «Je ne partage pas vos idées mais je me battrai jusqu'à la mort pour que vous puissiez les exprimer». Et j'ajouterais que pour qu'elles puissent être exprimées, il faut que leur auteur soit vivant! Il ne m'étonnerait pas que tu l'aies utilisée à l'occasion, cette citation, puisqu'elle symbolise la liberté d'expression. Est-ce que tu la renies aujourd'hui!?
De façon tout aussi étonnante, tu écris : « Les Artistes pour la Paix ne connaissent pas LA vérité du conflit libyen, ni LA vérité d'aucune guerre, à vrai dire, puisque toute guerre civile fait comme premières victimes la lucidité et l'impartialité politiques ».
Es-tu en train de nous dire que les Artistes pour la Paix ont combattu la guerre en Irak sans en connaître LA vérité?
Mais, une lecture attentive de ton texte nous démontre que, contrairement à tes affirmations, tu connais LA vérité de la guerre en Libye. M. Benotman du Conseil national de transition libyen te l'a susurrée à l'oreille lors de votre rencontre.
Et c'est pourquoi tu trouves que « l'intervention de l'OTAN (...) a une certaine utilité »!!!!! Mais, si je comprends bien, seulement, ses bombardements sur des cibles militaires, car tu dis « regretter ses intenses bombardements de civils ».
Comme si les bombardements de civils étaient de simples « dommages collatéraux », comme s'ils ne faisaient pas partie de la même stratégie militaire !
Es-tu en train de nous dire que, parce que les forces de l'OTAN sont dirigées par un « bon » général canadien, leur cause est juste?
Puis, pour nous rassurer sur la suite des choses, tu cites cette représentante des démocrates égyptiennes qui vous a dit de ne pas craindre de voir l'islamisme triompher : « Arrêtez de projeter vos craintes occidentales sur nous, faites-nous confiance et surtout, appuyez-nous! »
Bien sûr que nous appuyons les démocrates, mais cela ne nous empêche pas de nous tenir informer sur la situation, de voir comme le rapportent plusieurs reportages, comme ceux parus dans le dernier numéro du New York Review of Books - qu'on ne peut accuser d'être une publication gauchiste et donc d'« aveuglement idéologique » - qui montre, preuves à l'appui, l'alliance intervenue en Égypte entre les États-Unis, les militaires au pouvoir et les islamistes.
On peut aussi lire dans l'édition du 6 août de la revue The Economist, la bible des milieux d'affaires, un éditorial sur l'islam et le printemps arabe dont le titre, « Bring the Islamists in », est un mot d'ordre à l'intention des dirigeants de la soi-disant « communauté internationale » : Traduction : Laissez les islamistes arriver au pouvoir, on a une entente avec eux contre les forces démocratiques.
Je te pose la question : de quel côté est « l'aveuglement idéologique »? Où se trouve la « lucidité et l'impartialité politiques »?
P.S. Michel Chossudovsky m'informe que l'UQAM, où tu enseignes, lui a refusé de tenir dans son enceinte une assemblée publique sur l'après 11 septembre et les guerres qui ont suivi. Les raisons invoquées - verbalement, l'UQAM ayant refusé de les mettre par écrit - sont les suivantes : la sécurité, les risques de débordement, le sujet et le profil des conférenciers.
J'aimerais bien connaître ta réaction à ce refus. Es-tu du côté de Voltaire ou des autorités universitaires?
L'assemblée aura quand même lieu, le jeudi, 8 septembre, à 18 heures, au Cinéma du Parc, 3575 av. du Parc, Montréal. (Métro Sherbrooke ou Place-des-Arts). Le journaliste Mahdi Darius Nazemroaya sera présent. Pour la liste des autres invités, cliquez ici.
Réponse de Claude Herdhuin (Auteure, réalisatrice, scénariste) à Pierre Jasmin
Cher Pierre,
À mon tour d'être étonnée à la lecture de ta réaction à l'article de Michel Chossudovsky « Tuer la vérité », paru dans l'aut' journal du 23 août. Je t'ai connu beaucoup plus nuancé et réfléchi. Je ne reprendrai pas ta réponse point par point, Pierre Dubuc l'a déjà fort bien fait.
Mais je m'interroge sur le ton de ta réaction et sur tes affirmations. Tu mentionnes Les Artistes pour la Paix. J'en déduis que tu parles en leur nom et je m'inquiète. Les membres des Artistes pour la Paix, représentés par le conseil d'administration, ont-ils entériné ton texte?
Si je comprends bien, selon toi (Les Artistes pour la Paix) il y deux poids deux mesures. Tu reproches à Michel Chossudovsky d'associer Mahdi Darius Nazemroaya et Thierry Meyssan dans sa requête pour protéger les journalistes en mission en Libye et tu vas jusqu'à dire que c'est pour cette raison que le gouvernement canadien a été long à réagir. Reprends-moi si je me trompe, mais la vie de Meyssan est-elle moins importante que celle de Mahdi Darius Nazemroaya, parce que tu (les Artistes pour la Paix) n'es pas d'accord avec ses publications, « ses appuis » et le fait qu'il ait « amassé » beaucoup d'argent avec ses livres? Donc, une vie n'a pas la même importance selon que tu es d'accord ou non avec ce que fait ou dit la personne. Cela me semble pour le moins ambigu et dangereux.
Dans la même foulée, tu regrettes que l'OTAN existe, mais tu reconnais son utilité au Kosovo et en Lybie... Et, selon toi, il n'y a pas eu de victimes civiles en 1994. Connais-tu vraiment ce qui s'est passé à Sarajevo pour balayer les milliers de civiles serbes et bosniaques qui ont péri sous les bombes de l'OTAN? Où là encore, les Artistes pour la Paix que tu mentionnes, n'accordent-ils pas la même valeur à la vie d'un Serbe qu'à celle d'un Libyen? Si tu le souhaites, je peux vous envoyer des archives que j'ai reçues sur les bombardements de 1994.
Enfin, tu accuses Michel Chossudovsky de clamer qu'il connaît LA vérité. En tant que militant depuis des décennies, il doit t'arriver d'affirmer LA vérité? Sans cette certitude de travailler pour une cause que l'on juge vraie, il n'y aurait plus de militants. Bien que, comme je l'ai souligné ci-dessus, TA vérité semble être à géométrie variable.
Enfin, tu accuses Michel Chossudovsky de « développe[r] un argumentaire de typique aveuglement idéologique » et tu ajoutes « c'est le genre d'opinion rigide déplorable qu'il impose à mondialisation.ca, créant ainsi comme victimes collatérales, plusieurs vérités que ce site documenté a aidé à débusquer au cours des années, derrière l'écran opaque de propagande des médias officiels ». Donc Michel Chossudovsky est à la fois rigide et aveuglé par SA vérité et nuit à son site dont tu reconnais le sérieux et l'utilité quelques mots plus loin. Pierre, à un moment donné, il faut trancher, prendre partie. Adopter une position ferme et cohérente : pour un pacifiste, il n'y a pas de guerre utile, une victime est une victime.
Claude Jacqueline Herdhuin
Auteure, réalisatrice, scénariste, doctorante en études et pratique des arts à l'UQAM