Michel Collon
Alors qu'il s'apprête à sortir un nouveau livre, Michel Collon a répondu aux questions de Chérif Abdedaïm pour La Nouvelle République (Algérie)
LNR : Dans votre livre sur la Libye, vous parlez de médiamensonges, ce qui veut dire que la réalité est tout autre que celle présentée par l'OTAN. Pouvez-vous nous éclairer là-dessus ?
Michel Collon : Toute la campagne de l'OTAN repose sur une campagne de désinformation de l'opinion publique. Celle-ci a été manipulée pour lui faire approuver cette guerre et cela confirme ce que nous disions lors des guerres précédentes. Chaque guerre commence par un médiamensonge et le but est de tromper et d'endormir l'opinion publique. Ici, on a commencé par nous dire : Kadhafi bombarde son peuple. Dans ce cas-là, évidemment, il faut faire quelque chose. Mais c'étaient des informations entièrement fabriquées par Al Jazeera d'abord, Al Arabia, ensuite. Il faut quand même remarquer qu'Al Jazeera, c'est la télé du Qatar et que l'émir du Qatar est partie prenante dans la guerre. Il est dans l'alliance de l'OTAN. Le Qatar avait investi en Libye mais il n'était pas très satisfait. Il voulait, en fait, faire main basse sur le gaz de la Libye. Le Qatar a comme ambition de devenir un géant mondial du gaz, de tenir tête à la Russie et, évidemment, sur ce point, il est soutenu par les Etats-Unis et la France. En plus, la Libye de Kadhafi avait le projet de créer un grand pôle industriel et financier au Proche-Orient, le Qatar a le même projet, donc, en rivalité. Le Qatar veut absolument être la grande puissance arabe sur le plan économique et financier. Ce qui nous fait dire que c'est une guerre économique dans son chef. Alors, comme Al Jazeera est la propriété de l'émir du Qatar, il est clair que ce dernier l'a mise au pas. Al Jazeera qui avait joué un rôle très noble et très courageux sur la Palestine ou l'Irak, est devenue une télé-soldat et une télé de l'OTAN.
Plusieurs sources ont avancé que certaines images diffusées par Al Jazeera étaient tournées dans un décor fabriqué au Qatar représentant la place verte, Al Azizia, etc. Avez-vous des informations à ce sujet ?
Oui, j'ai entendu ça, je n'ai pas pu vérifier. Mais, apparemment, d'après les premiers indices, il y aurait même une confirmation du chef du CNT comme quoi effectivement on aurait mis en scène de fausses images de libération pour démoraliser les troupes, et cela va dans le même sens. On n'a pas arrêté d'annoncer que Kadhafi était mort ou son fils, ou qu'il était en fuite. Le ministre britannique des Affaires étrangères avait dit qu'il était venu au Vénézuela. Ce genre d'info, c'est classique dans toutes les guerres. Ce sont des infos absolument fausses visant à démoraliser l'adversaire et à tromper l'opinion internationale. Faire croire que tout est fini. Il faut donc vérifier à propos de ces images. On va le faire avec notre équipe. Mais aussi, chaque guerre apporte son lot de nouveautés dans la désinformation. Et la nouveauté, c'est qu'effectivement on met carrément des images en scène en studio. Je voudrais juste compléter ce que je disais au début, la campagne de l'OTAN repose sur l'idée : -que Kadhafi a bombardé son peuple. Les satellites russes ont montré que rien ne s'est produit de ce genre. Tous les témoins ont dit que c'était faux ; -on a dit que Kadhafi employait des mercenaires. On dit aussi que Kadhafi avait ordonné à ses soldats de violer en masse et qu'il leur avait fourni des containers de viagra pour ça. C'est aussi un classique de la désinformation dans toutes les guerres : diaboliser l'armée qui vous résiste, la couvrir de calomnies sur des crimes sexuels. Cela avait servi en Bosnie aussi. En fait, il faut dire que toute la campagne de l'OTAN a consisté à tromper l'opinion publique pour avoir un prétexte pour bombarder, parce qu'en fait, on ne voulait pas protéger les civils, on voulait abattre le gouvernement libyen, voler le pétrole, voler les ressources financières.
La plupart des médias « officiels » prétendent que ce sont les insurgés qui ont renversé Kadhafi alors que l'OTAN n'assurait qu'une couverture aérienne. D'autres sources, par contre, avancent que des forces spéciales, françaises et britanniques, ont débarqué à Tripoli. Quelle version des faits pouvez-vous nous confirmer, vous qui avez déjà été sur le terrain ?
En fait les insurgés ou les rebelles, ne représentent pas une force populaire significative, qui aurait permis de renverser le gouvernement libyen. C'est toute la différence avec les révoltes tunisienne et égyptienne où le peuple était unanime pour se débarrasser de tyrans détestés, et ici, il y a une insurrection très minoritaire qui, si elle n'avait pas été mise en place, armée et soutenue par les bombardements de l'OTAN, n'aurait jamais pu s'emparer du pouvoir et, en fait, aurait déjà été éliminée par les forces libyennes depuis longtemps. Je parle sur le plan militaire. Ce sont effectivement les bombardements de l'OTAN qui ont fait la décision, et les forces spéciales françaises, britanniques et d'autres qui encadraient les troupes, les dirigeaient, leur fournissaient les renseignements et, selon des témoignages, faisaient partie du sale travail d'élimination de résistants et de personnalités.
Donc, apparemment, les forces françaises et britanniques étaient présentes au sol ?
C'est ce que j'ai écrit dans mon texte « Comprendre la guerre d'avril ». Les services secrets italiens, étant donné que l'Italie est dans une grande rivalité commerciale en Libye avec la France et qu'ils étaient furieux de l'intervention de Sarkozy, n'ont pas hésité à balancer le fait que les services secrets français étaient actifs sur le terrain avant la résolution de l'ONU et qu'ils ont continué en violation de la résolution 1973.
Certains avancent que ces « rebelles » étaient pour la plupart des mercenaires saoudiens, qataris et même des narcotrafiquants colombiens. Qu'en est-il réellement ?
Effectivement, on a beaucoup d'indications qu'il y a une privatisation de la guerre par les Etats-Unis. Obama et notamment son entourage, Brezinski et les stratèges de ce genre, ont tiré les leçons de la période Bush. Les Etats-Unis ne sont plus capables, ils n'ont jamais gagné une guerre - à part celle contre la minuscule île de Grenade -, donc ils n'ont jamais gagné une guerre sur le terrain. Alors, la méthode Obama a consisté à sous-traiter la guerre. Il y a une sorte de privatisation. On envoie des brigades qataries, on confie aux Emirats Arabes Unis le soin de mettre sur pied une armée privée, des mercenaires, en fait, qui ont été sur le terrain en Libye et qui ont été formés par des instructeurs des Etats-Unis et d'autres pays occidentaux. C'est cette privatisation de la guerre qui permet à Obama de dire que l'armée des Etats-Unis se retire d'Iraq mais en fait, on fait de la soustraitance. Concernant les narcotrafiquants, oui, j'ai eu aussi des informations, mais je n'ai pas été le témoin direct, que des cadres et des mercenaires colombiens étaient d'une part dans la formation de l'armée des Emirats dont je viens de parler et aussi sur le terrain. Il faut savoir en fait qu'il y a une collaboration très étroite entre les forces israéliennes, les forces colombiennes en Colombie et dans d'autres pays. Donc, on retrouve là une sorte d'internationale de mercenaires et de sous-traitance de la guerre.
Vous avez rencontré des personnes qu'on présentait comme des mercenaires, c'est d'ailleurs ce que vous racontez dans votre prochain livre. Qui sont-elles en réalité ?
Il s'agit de l'un des pires médiamensonges des médias occidentaux pour justifier cette guerre. On nous a dit depuis le début que Kadhafi était tellement isolé qu'en fait il n'avait que des mercenaires pour le soutenir. Et puis, on nous a présenté des Noirs qui étaient tués dans l'est de la Libye dans un premier temps et on nous a dit que la population était en colère contre ces mercenaires et ils avaient été tués comme ça. En réalité, il est connu de tous les connaisseurs de la Libye que dans la région de Benghazi, il existe depuis longtemps un racisme anti-noir et aussi un racisme contre les Libyens à la peau plus foncée, c'est-à-dire les Libyens du Sud. Et ce racisme s'est donc tourné, d'une part, contre les Libyens à la peau noire et, d'autre part, contre des Africains qui vivaient en Libye depuis longtemps et qui avaient soit la nationalité libyenne, soit des papiers, une maison, etc. Telle est la structure de l'économie libyenne. Il y a énormément d'immigrés dans les hôtels, les restaurants, les services de nettoyage et d'entretien. Une très grande partie du travail manuel est effectuée par des gens d'Afrique noire qui étaient d'ailleurs très contents parce qu'en Libye, ils avaient une bonne situation et qu'ils obtenaient facilement des papiers, une maison, une voiture, un bon salaire, ce qui est en contraste total avec la situation dans leur pays d'origine où ils souffrent de la misère et des persécutions très souvent, et la situation en Europe où on les pourchasse ou on les enferme dans des sortes de prisons pour immigrés. Ils étaient très reconnaissants à Kadhafi parce que justement il a toujours lutté contre le racisme anti-noir. Ce qui est scandaleux de la part des médias occidentaux, c'est qu'on a donné une confirmation de cette théorie, de ces rebelles racistes, comme quoi ces Africains étaient des mercenaires, il faut qu'on les tue. Et en réalité, de cette façon-là, on a soutenu des gens qui pratiquent le nettoyage ethnique. L'ironie du sort, c'est que c'est le premier président noir des Etats-Unis qui a soutenu les mouvements qui pratiquent le nettoyage ethnique contre les Noirs. Personnellement j'ai rencontré des Africains qui étaient venus à Bab El Azizia, le palais présidentiel. Et ils étaient venus spontanément former une sorte de bouclier humain. Ils aimaient Kadhafi, ils étaient contents de ce qu'il avait fait pour eux. Et ils sont venus quand l'OTAN a commencé à bombarder son palais. Moi, j'ai discuté avec ces gens, c'étaient des hommes de tous âges, des enfants, des femmes. Je m'excuse, quand on est des mercenaires on ne met pas ces femmes et ces enfants face aux bombardements et à ces opérations de guerre, donc, c'est ridicule. J'ai été extrêmement choqué de voir des gens avec qui j'avais parlé et qui étaient vraiment très chaleureux, très motivés, les mains liées dans le dos et qui ont été torturés et massacrés comme des animaux et laissés là, sur le sol. Il faut le dire, l'Occident soutient, arme et excuse des gens qui sont des terroristes et des racistes, cela doit être dit.
Lors du siège de Tripoli, le journaliste Thierry Meyssan avance un chiffre de 1 300 morts et 5 000 blessés, tous des civils. Avez-vous des informations précises à ce propos ?
Là, je n'ai rien de plus à vous dire sur les chiffres. Comme vous le savez, les chiffres, c'est toujours quelque chose de très difficile à estimer et je n'ai pas de compétence pour donner un chiffre. Il y a une étude qui a été faite récemment et qui avance que l'OTAN aurait largué 30.000 bombes. Si on fait une estimation pas très élevée, qui est de deux morts par bombe, on arrive à un chiffre de 60.000 morts.
Cette désinformation a-t-elle eu un impact en Europe ou, au contraire, l'opinion est-elle assez informée sur la réalité des événements, notamment par le biais des médias alternatifs ?
Malheureusement, oui. La désinformation a eu un impact absolument catastrophique sur l'opinion publique européenne. Il n'y a eu pratiquement aucune manifestation, sauf très petites. Malheureusement, même le mouvement antiguerre, les progressistes en Europe pensent que, cette fois-ci, Obama et Sarkozy ont mené une bonne guerre. Et j'ajouterai que, malheureusement, une très grande partie des personnes d'origines arabe et musulmane qui vivent en Europe pensent la même chose à cause du rôle d'Al Jazeera comme je viens de le dire. Donc, effectivement, sur le plan de la bataille de l'information, actuellement la situation est assez catastrophique, le mensonge l'a emporté largement.
En Irak, la guerre a été déclenchée pour des motifs fallacieux (armes de destruction massive, relation Saddam -Al Qaïda...). Plus tard, la vérité est apparue au grand jour et l'opinion s'est aperçue qu'elle avait été trompée. A propos de la Libye, comment l'OTAN va-t-elle gérer la situation médiatique de l'après-Kadhafi ?
En mars 2007, le général américain Wesley Clark avait déclaré dans une interview qu'un mémo, qui lui avait été montré au Pentagone en 2001, expliquait comment l'administration américaine envisageait de prendre le contrôle de sept pays en cinq ans : l'Irak, la Syrie, le Liban, la Libye, la Somalie, le Soudan et l'Iran. Quels seraient les enjeux et les objectifs d'une telle campagne ?
Le général Wesley Clark, il faut le rappeler, ce n’est pas n’importe qui. C’est l’homme qui a bombardé, très sauvagement d’ailleurs, la Yougoslavie en 1999. Donc ce n’est pas un gauchiste ou un théoricien du complot. C’est un homme de l’appareil qui sait de quoi il parle. Et donc, quand il dit que sept pays en plus de l’Afghanistan allaient être envahis ou contrôlés par les Etats-Unis, cela confirme l’analyse que nous faisions en 2000-2001 de la politique des Etats-Unis et des gens autour de Bush, le fameux Project for the New American Century qui, effectivement, était une politique de contrôle total du Moyen-Orient et du monde musulman ; comme nous l’expliquons d’ailleurs dans le livre que nous allons publié dans un mois et qui s’intitule Comprendre le monde musulman avec des entretien avec Mohamed Hassan qui analyse les rapports stratégiques entre les Etats-Unis, l'Europe et le monde arabe et musulman, le Moyen-Orient, l'Afrique et aussi l'Asie. En fait, cette prise de contrôle de ces pays, ça fait partie d'une campagne de recolonisation du monde. Les Etats-Unis, étant une économie en crise, le système capitaliste international est en crise de façon générale avec une baisse du taux de profits, avec, pour les Etats-Unis, la délocalisation de leurs usines, de leur industrie et le fait qu'il y a de moins en moins de valeur qui est créée aux Etats-Unis mêmes ; c'est donc une économie parasite qui vit sur le dos des pays du Sud. Les Etats-Unis ont un grand problème : leur pouvoir économique est en baisse constante, leur économie en crise, leur Etat en faillite, leur dollar ne vaut plus rien, et la seule façon d'enrayer ce déclin et de rester le numéro un, c'est l'atout militaire, c'est de prendre le contrôle de pays tout simplement pour les coloniser comme on faisait dans le temps pour piller leur richesses. C'est ce qui va arriver avec la Libye, pour le pétrole, l'eau, les réserves financières très importantes et, en plus, là, on a détruit le plus possible pour pouvoir reconstruire le plus possible ; comme vous voyez déjà maintenant toutes ces entreprises du bâtiment et autres qui se précipitent comme des vautours pour tirer de plus gros profits de tout ce qu'ils ont détruit. Donc, je pense que cette campagne de contrôle de tous ces pays, qui ne va pas s'arrêter après la Libye, et il faut y insister, c'est une campagne de recolonisation du monde.
L'intervention de la France en Libye est un « investissement sur l'avenir », a déclaré récemment le ministre français des Affaires étrangères Alain Juppé dans un entretien au quotidien Le Parisien. Cela suppose qu'après la chute de Kadhafi, beaucoup de prétendants seront en course pour accaparer les richesses libyennes. Qui dirigera d'après vous ce nouveau concert, les Européens ou les Américains ?
Quand je parlais de bataille entre vautours, c'est effectivement une bataille économique pour les contrats et, à peine Tripoli a-t-elle été envahie, que déjà dans la presse française, italienne et autres, on trouvait des informations sur le fait qu'ils se battaient comme des chiffonniers pour savoir qui allait prendre la plus grosse part du butin. Alors, on se partage la Libye comme les puissances coloniales se partageaient l'Afrique à la Conférence de Berlin en 1884-1885. C'est-à-dire que les plus forts prennent les gros morceaux, les moins forts les petits morceaux et ceux qui ont choisi le mauvais cheval ou sont arrivés trop tard ne reçoivent rien. La France dit : nous on a été en pointe, on prend 35 %. Elle confirme par là que c'était bien une guerre économique, une guerre pour le fric.
L'attaque de la Libye comporte plusieurs enjeux (politiques, économiques, stratégiques), cela ne constitue-t-il pas une première étape pour un contrôle de l'Afrique vu que le premier souci américain est d'abord d'installer cette fameuse Africom ?
Comme je l'ai indiqué dans le texte « Comprendre la guerre en Libye », au début du livre dont j'ai parlé plus haut. La guerre contre la Libye a effectivement plusieurs enjeux, à l'instar de toutes les guerres menées par les Etats-Unis, parce qu'une guerre c'est un gros investissement, un risque, et l'on ne mène pas une guerre de cette envergure pour un seul petit objectif. Les objectifs de la guerre contre la Libye sont le pétrole, ses réserves financières très importantes et, justement, il s'agit de casser le rôle de la Libye comme financier alternatif de l'Afrique. La Libye, comme l'Algérie d'ailleurs, d'après ce qu'on m'a expliqué, joue un rôle de financier alternatif pour une série de pays africains qui sont soumis à des chantages de la part des multinationales de l'Europe et des Etats-Unis qui prennent les matières premières au prix le plus bas, qui refusent d'investir pour qu'une vraie économie de transformation et de service se développe en Afrique, et, en fait, le financement alternatif aidait l'Afrique à reconquérir son indépendance, à voler de ses propres ailes. C'est clair que c'est une guerre contre l'Afrique et, justement depuis que la bataille économique pour les ressources mondiales fait rage, les Etats-Unis s'intéressent au contrôle militaire. Considérant que tout leur appartient, les Etats-Unis divisent la planète en séries de zones, ils organisent leurs armées et leurs opérations sur toutes ces zones. Il n' y avait pas de base pour l'Afrique, car elle était jugée moins intéressante que d'autres, mais, depuis quelques années, les Etats-Unis savent qu'on est en train de trouver de plus en plus de pétrole en Afrique, qu'on est en train de se battre pour les matières premières et les minerais et autres de l'Afrique, qu'il s'agit d'empêcher la Chine d'avoir des relations économiques normales avec les pays africains, se fournir en matière première et en énergie, alors, ils ont décidé de militariser le problème et d'installer une force militaire pour empêcher ces pays d'avoir un développement autonome et empêcher la Chine d'avoir des relations commerciales avec les pays africains. Africom, c'est donc le grand projet, et ce qu'il faut remarquer, c'est que cinq pays en Afrique ont, à ma connaissance, refusé de s'intégrer dans l'OTAN ou de collaborer avec elle, et ils sont tous attaqués déjà ou sont menacés par les Etats-Unis. Il s'agit de la Libye, du Soudan, du Zimbabwe, de l'Erythrée et de la Côte d'Ivoire. Tous sous sanction, agressés ou bientôt agressés.
La France a pris l'initiative de détourner la résolution 1973 de son but initial. Comment expliquez-vous ce mutisme de l'ONU par rapport à cette agression caractérisée ?
La France a effectivement détourné la résolution 1973 de son texte et cette résolution a été en quelque sorte extorquée à l'ONU par des manœuvres et des mensonges et, ensuite, elle n'a absolument pas été respectée de sorte que cette guerre ne respecte pas le droit. Cette résolution imposait - un cessez-le feu, or l'OTAN a attaqué pendant six mois - un embargo sur les armes : l'OTAN a livré les armes à un camp - une zone d'exclusion aérienne : l'OTAN a utilisé l'espace aérien pour ce camp - une interdiction d'intervenir au sol : les puissances de l'OTAN ont même déployé des agents, des soldats et des services de renseignement au sol. C'est une guerre qui est illégale par rapport à la charte de l'ONU et qui, en plus, ne respecte même pas la résolution qui avait été arrachée. L'explication de cela, c'est que l'ONU ne représente rien pour le moment, elle n'est pas une organisation démocratique, elle est aux mains des Etats-Unis et contrôlée par les Etats-Unis. D'ailleurs, il suffit de voir que lorsque le monde vote contre un crime d'Israël, les Etats-Unis imposent leur veto et c'est terminé, il n'y a pas de résolution. Il est clair que les peuples ont besoin d'autre chose que l'ONU.
Comment voyez-vous l'après-Kadhafi ? Ne va-t-on pas assister à un nouvel Irak avec, notamment, une division du pays et une guerre fratricide entre différentes tribus ?
Ecoutez, vous parlez de l'après-Kadhafi, et je serai très prudent. Sur place, j'ai constaté que Kadhafi avait beaucoup de partisans, il y avait des gens qui ne l'aimaient pas aussi. Même ces gens qui ne l'aimaient pas sur le plan de la question démocratique ou de la corruption..., ils n'étaient pas pour autant pour une invasion de l'OTAN. Il va se passer en Libye ce qui s'est passé en Irak : -les marionnettes de l'OTAN vont s'entredéchirer pour s'assurer le pouvoir et le fric, on a déjà vu le numéro 1 du CNT faire assassiner le numéro 2, donc ça promet - il y a un tel gâteau avec le pétrole et les réserves financières. Evidemment, toutes les tribus que Kadhafi a réussi à unifier et à pacifier vont de nouveau s'affronter. D'autant plus que c'est une politique classique des grandes puissances coloniales de « diviser pour régner », qu'on utilise comme clients certaines tribus contre d'autres. Les Etats-Unis, les Français, les Italiens et autres vont avoir chacun leurs pions, leurs tribus, et tous ceux-là vont s'entredéchirer. Je ne serais pas étonné qu'effectivement il y ait des formes de guerre civile qui se déclenchent entre les « démocrates libérateurs » et je ne serais pas surpris non plus qu'on assiste à des attentats. Au fond, les Etats-Unis et la France ont besoin d'un bon prétexte pour maintenir des troupes au sol. Comme en Iraq, on sait que, derrière les attentats, il y a souvent les services secrets des Etats-Unis. Je pense que la gauche européenne, arabe et internationale doit absolument prendre conscience que son silence et sa complicité vont plonger les Libyens en enfer. Ce n'est pas la question de culpabiliser les gens, mais de prendre ses responsabilités et de se dire qu'il est temps de ne pas se faire manipuler. Il est temps qu'on mette en place des instruments de contrôle de l'information dès le début. Les médiamensonges tuent et nous avons tous, où que nous soyons, une responsabilité de démasquer ces médiamensonges. Je veux dire, si vous voyez Al Jazeera ou la CNN ou TF1, qui est en train de répéter que tel chef d'Etat commettait l'atrocité et qu'il faut intervenir, vous savez que cela veut dire qu'on va bombarder, qu'on va voler les richesses et, donc, vous avez un devoir moral de vous battre contre le mensonge dès la première seconde où il sort. Cela est absolument fondamental et tout le monde doit prendre ses responsabilités. L'OTAN a déjà annoncé qu'ils étaient très contents de ce qu'ils avaient réussi. Obama, ses conseillers, Sarkozy, qui parade comme un coq..., tout le monde est en train de nous dire qu'on va recommencer et qu'on va trouver la bonne recette et que ça marchera mieux qu'en Iraq et qu'on va faire le coup de la Libye ailleurs. Il est temps pour les progressistes et tous ceux qui veulent absolument défendre la paix et le droit des peuples à décider eux-mêmes de leur sort de mener la bataille de l'information et, dès qu'un médiamensonge sort, il faut se dire : c'est ma responsabilité de le dénoncer à la minute même où il sort. Et là, je ne pense pas uniquement aux journalistes honnêtes. Pour la plupart, le système des médias ne leur donne pas assez de liberté, mais je pense également à M. tout le monde notamment ; avec internet, on a la possibilité et le devoir de combattre les médiamensonges, c'est très important.
Entretien réalisé par Chérif Abdedaïm
Source : La Nouvelle République