par Marie Vastel
Ottawa — Le patriotisme militaire du gouvernement conservateur se poursuit à coup de grands déploiements. La semaine prochaine, la colline parlementaire sera prise d'assaut par une cérémonie d'une ampleur hors de l'ordinaire, destinée à souligner la contribution des militaires canadiens à la mission en Libye.
Plus imposante que lors des discours du Trône et bien plus élaborée qu'à l'occasion du jour du Souvenir, la procession de jeudi prochain se fera dans les airs comme sur la terre. Avions de chasse et hélicoptères militaires seront ainsi au rendez-vous, accompagnés de coups de canon. «Une cérémonie spéciale de reconnaissance» pour les troupes qui ont servi dans la mission de l'OTAN, promet déjà le communiqué du bureau du premier ministre. Or il s'agirait, dans les faits, d'un déploiement qui n'aurait pas été vu au pays depuis la Seconde Guerre mondiale, selon un politologue.
Car s'y ajouteront des soldats ayant participé à la mission militaire dans le pays du Moyen-Orient, qui défileront notamment au sein de la garde d'honneur qui sera inspectée par le gouverneur général, David Johnston, et accompagnée de la fanfare militaire. Et l'invité d'honneur de toute cette agitation, le lieutenant-général Charles Bouchard (qui a dirigé la mission sur le terrain), sera reçu au Sénat en grande pompe, avec certains de ses soldats, par M. Johnston de même que par le premier ministre, Stephen Harper, et son ministre de la Défense, Peter MacKay.
«C'est une reconnaissance de la contribution importante du Canada à l'effort mené pour soutenir le peuple libyen dans son parcours vers une paix future et la stabilité dans le pays», a fait valoir le ministre, hier, sans toutefois préciser l'ampleur de la cérémonie qu'il annonçait sobrement. Les détails n'ont toujours pas été dévoilés publiquement, mais les informations colligées par Le Devoir ont permis d'en constater la taille.
Une démonstration publique inhabituelle pour ce genre d'occasion. «Généralement, ce genre de cérémonie se fait entre militaires, ce n'est pas quelque chose auquel on va donner beaucoup de visibilité.
Mais visiblement, les choses changent», a commenté Stéphane Roussel, professeur de politique étrangère et de sécurité du Canada à l'UQAM. Si les militaires et leur famille soulignent d'habitude la fin de missions à l'étranger, parfois accompagnés du ministre de la Défense, M. Roussel n'a pas souvenir d'avoir été témoin d'une manifestation comme celle qui se prépare à Ottawa.
Quelque 650 soldats canadiens ont participé à une mission de sept mois en Libye. En revanche, nulle activité de ce genre n'avait été organisée au terme du dernier déploiement d'envergure de l'armée canadienne, lorsqu'environ 1500 membres des Forces canadiennes ont été envoyées au Kosovo pendant plus de trois ans, entre 1999 et 2002.
Gage que le gouvernement conservateur «donne beaucoup plus d'importance à l'institution militaire que ce qu'on avait avant», analyse M. Roussel. «Chez les conservateurs, on va retrouver cette idée que si le Canada veut avoir de l'influence internationale, il doit avoir une armée capable de combattre parmi les meilleurs, efficace, capable de mener des opérations outre-mer de façon victorieuse», explique-t-il.
Le rôle du Canada en Libye a justement maintes fois été souligné par le premier ministre et ses troupes. «Dès le début de la crise, le Canada a joué un rôle central en aidant à protéger des civils innocents en Libye», a d'ailleurs une fois de plus souligné M. Harper dans son communiqué de presse, hier. «Le 24 novembre, je me joindrai aux Canadiens pour rendre hommage aux plus de 2000 hommes et femmes courageux qui portent l'uniforme, dont le dévouement, la bravoure et le professionnalisme ont aidé les Libyens à mettre un terme à 42 ans d'oppression aux mains du régime Kadhafi.»
Mais les festivités prévues par les conservateurs ont rapidement été critiquées par le libéral Denis Coderre, qui n'a pas manqué de souligner le fait que les militaires ayant combattu en Afghanistan, eux, n'ont pas eu droit au même salut à leur retour au pays. Le ministre MacKay avait toutefois rétorqué plus tôt, à la même question d'un journaliste, que «le travail en Afghanistan n'est simplement pas terminé». L'armée canadienne restera sur le terrain jusqu'en 2014, dans le cadre de la mission de formation qui s'est transportée à Kaboul.
Néanmoins, l'opposition craint par ailleurs — outre les coûts qu'engendrera cette cérémonie — les motifs des conservateurs. «Ce qui est important, c'est que l'on soit capable de rendre hommage sans nécessairement récupérer ça politiquement», s'est inquiété M. Coderre, tandis que son collègue néodémocrate Alexandre Boulerice a argué que les conservateurs auraient pu marquer le coup «de manière noble sans tomber dans une espèce de patriotisme exacerbé».