« Ceux qui ont prêté de l'argent à la Grèce ignoraient-ils vraiment que la Grèce n'a aucune ressource industrielle, ou presque. Que la Grèce, c'est un peu de tourisme et du commerce maritime. Que le sport national en Grèce, c'est la fraude fiscale, et que l'Etat grec est une grande ploutocratie corrompue ? » questionne Gaël Giraud, économiste chercheur au CNRS, qui rappelle la situation humanitaire terrible d'un pays assommé par la récession et les plans d'austérité, et où le désespoir s'est installé à tel point que « de jeunes grecs aujourd'hui au chômage, qui n'ont plus aucune ressource, puisqu'il n'y a pas de RMI, pas de RSA, ni d'allocation de chômage en Grèce, s'inoculent le virus du Sida pour pouvoir bénéficier des allocations destinées au séropositifs. »
Gaël Giraud, intervention au colloque Gouvernance & Responsabilité du Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement, décembre 2011 - extrait
Les marchés peuvent se convaincre tout d'un coup que la Grèce, qui ne pèse que 2% du PIB européen, c'est le problème majeur, et du coup la Grèce devient le problème majeur. Les marchés financiers peuvent se dire que l'Italie ne sera jamais capable de rembourser sa dette, et du coup, les taux italiens explosent, et l'Italie, de fait, n'est plus capable de rembourser sa dette.
Vouloir rassurer les marchés financiers, c'est la tâche de Sisyphe, on n'en aura jamais fini de rassurer les marchés financiers. C'est à mon avis sans contenu. Ce qu'il faut faire, c'est tout à fait autre chose, c'est réglementer les marché financiers pour les mettre au service de la société, et pas le contraire.
Ce que nous faisons aujourd'hui, c'est mettre la totalité de notre économie au service de la finance, au point que comme vous le savez, on discute aujourd'hui dans les salles de marché en ces termes : les actifs nationaux grecs étant de 250 milliards, si on privatise la totalité on récupère au moins 250 milliards. Au moins c'est déjà ça, que l'on aura encore tondu sur le dos du mouton grec.
Vous savez qu'aujourd'hui en Grèce, la situation est celle d'un désastre humanitaire. De jeunes grecs aujourd'hui au chômage, qui n'ont plus aucune ressource, puisqu'il n'y a pas de RMI, pas de RSA, ni d'allocation de chômage en Grèce, s'inoculent le virus du Sida pour pouvoir bénéficier des allocations destinées au séropositifs, 600 euros par mois, qui sont les seules qui n'ont pas encore été supprimées.
Le taux de VIH en Grèce a augmenté de 50% en un an, et la présidente du département de santé en Grèce vient de faire une déclaration catastrophée à la presse grecque en disant : voilà, il y a des jeunes grecs qui s'inoculent aujourd'hui le Sida pour pouvoir survivre.
Voyez où nous en sommes en Grèce.
Face à cette question, on pourrait se dire, mais finalement, pourquoi n'organise-t-on pas un défaut des dettes souveraines. C'est ce que l'on a commencé à faire, avec beaucoup de difficultés pour la Grèce, et vous avez remarqué que lors de l'accord entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy le 5 décembre, il a été dit très très fortement que ce qui s'est passé en Grèce ne se reproduira plus.
Vous pourriez vous dire : que s'est-il passé en Grèce ? - Il y a des jeunes qui sont en train de mourir, c'est vrai- Mais ce n'est pas cela du tout. Ce qui s'est passé en Grèce, c'est que pour la première fois on a demandé à des créanciers privés de mettre la main au portefeuille pour accepter une décote de la dette publique grecque.
C'est la première fois dans la longue série des sommets européens. On a accordé cela pour 25%, ce qui n'est pas grand-chose. Et là, on nous promet : vraiment je vous assure cela ne se reproduira plus jamais. Ce grand traumatisme consistant à faire payer pour la première fois les créanciers ne se reproduira plus.
Or, c'est précisément là l'enjeu, aujourd'hui. La question c'est : ceux qui ont prêté de l'argent à la Grèce ignoraient-ils vraiment que la Grèce n'a aucune ressource industrielle, ou presque. Que la Grèce, c'est un peu de tourisme et du commerce maritime. Que le sport national en Grèce, c'est la fraude fiscale, et que l'Etat grec est une grande ploutocratie corrompue ?
Ils le savaient très bien. Comment ont-ils pu penser qu'un jour ils seraient remboursés, puisqu'ils ont prêté des sommes colossales à la Grèce ? Ils n'ont pas pu imaginer être remboursés sinon par d'autres contribuables que les contribuables grecs.
Quand on nous dit : plus jamais les investisseurs privés ne mettront la main au portefeuille pour participer aux sacrifices européens, pour sauver la zone euro, cela veut dire que ce seront les autres contribuables européens qui vont payer pour les créanciers privés, de manière à solvabiliser la Grèce.
C'est cela que ça veut dire, en français dans le texte.
Ndlr : Nous ne saurions trop recommander aux lecteurs d'entendre l'entièreté de l'intervention de Gaël Giraud
Gael Giraud - colloque Gouvernance & Responsabilité from CCFD-TerreSolidaire on Vimeo.