Par Anthony Torres
Mardi 5 mai, les députés ont voté à une écrasante majorité la loi sur le Renseignement, légalisant rétrospectivement l'espionnage de masse pratiqué par les services de renseignement. Cette loi antidémocratique et réactionnaire instaure des structures permettant la mise en place d'un Etat policier en France.
L'ensemble des partis de l'establishment ont plébiscité cette loi, puisque 438 députés ont voté pour, 86 députés contres et 42 abstentionnistes. Les votes contre la loi se répartissent entre 10 députés socialistes (sur 288), 35 UMP (sur 198), 11 écologistes (sur 18), 11 UDI (sur 30), 12 députés Front de gauche (sur 15). Les députés qui ont voté contre la loi sur le Renseignement, ont pu se le permettre car ils savaient que la loi passerait. Le Sénat qui doit se prononcer, voterait probablement la loi avant que le Conseil Constitutionnel ne soit saisi.
Le premier ministre Manuel Valls est intervenu devant les députés pour défendre ce projet de loi soumis au vote. Valls a reconnu qu' « il est exceptionnel qu'un Premier ministre présente un texte devant la représentation nationale », mais qu'il le faisait « pour insister sur son importance ».
Pendant les discussions au parlement la semaine dernière, Manuel Valls faisait comprendre aux députés qui ne voteraient pas la loi qu'ils ne défendaient pas la République. Frisant l'accusation de trahison contre les opposants de la loi, Valls a dit dans l'hémicycle que la décision de voter pour ou contre la loi départageait « ceux qui ont le sens de l'Etat et ceux qui parfois ne l'ont pas ».
Après, Manuel Valls s'est réjoui du résultat du vote : "Chacun a pu le constater hier (lundi), il y a eu beaucoup de pression... C'est une très large majorité qui vient apporter le plus net démenti ».
En votant cette loi, le gouvernement PS et l'élite dirigeante française légalisent toutes sortes de conduites des services de renseignement qui étaient illégales mais largement répandues, comme l'avouent même les défenseurs de la loi. Mi-avril, Le Monde écrivait que « ce texte, qui légalise quarante ans de pratiques illégales des services secrets et tente d'y adjoindre des contrôles, était dans les tuyaux depuis des années. 'Il s'agissait avant tout, dit-on à Matignon, de normaliser les liens entre les services et l'Etat' ».
Ainsi, pendant des années, les services de renseignement ont eu recours à des pratiques criminelles pour espionner tout le monde, sans que cela ne soit dénoncé par des parlementaires, qui sont à la botte des services de renseignement et de la police. A présent, la loi sert à couvrir et à protéger ces actions illégales des agents du renseignement.
Ceci souligne la crise profonde de la démocratie en France comme dans tous les grands pays impérialistes, qui pratiquent tous un espionnage de masse de leurs populations. La loi triche elle-même avec la légalité, tentant de cacher et de justifier des actions illégales qui se développent à l'insu de la vaste majorité de la population. Cela ne fera qu'encourager les services de renseignement à passer outre les limites que la loi prétend leur imposer, de manière très peu convaincante.
La loi sur le renseignement donne des pouvoirs illimités aux agents de renseignement. La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) sera composée de six magistrats du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation, de trois députés et trois sénateurs de la majorité et de l'opposition, et d'un expert technique. Elle remplacera l'actuelle Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS).
Le CNCTR donnera son avis, mais en cas d'urgence, un chef du service du renseignement ou même un agent pourra se passer de l'avis du CNCTR sur autorisation du premier ministre. Le CNCTR pourra saisir le Conseil d'Etat si le CNCTR juge que la loi n'est pas appliquée en théorie.
Le CNCTR sert ainsi de caution à une surveillance de masse par les agences du renseignement.
La loi oblige les fournisseurs d'accès internet à donner les données de leurs clients en temps réel. La surveillance électronique sera élargie puisque les métadonnées seront collectées en masse. Des caméras, micros ou mouchards pourront être utilisés. Les communications entre deux personnes vivant en France ou des personnes communiquant avec d'autres personnes à l'étranger seront enregistrées.
Un fichier judiciaire national automatisé pour les auteurs d'infraction terroristes conservera les données pendant 20 ans, et 10 ans pour les mineurs. Le renseignement pénitentiaire pourra profiter des mêmes techniques légalisées par le projet de loi faisant des renseignements pénitentiaires une agence du renseignement.
La loi légalise également l'usage des IMSI-Catcher, des fausses stations de bases pour téléphones portables, qui permettent d'identifier et de géolocaliser tout utilisateur de téléphone portable. Avant, la loi française les interdisait.
Le vote en faveur de la loi sur le renseignement par les députés a eu lieu derrère le dos de la population française. Hormis quelques réserves sur l'étendue des pouvoirs donnés aux agences du renseignement, les implications de la loi n'ont été ni mentionnées, ni débattues.
Dans une des rares déclarations plus lucides sur la loi, le député UMP Alain Marsaud, pourtant favorable à la loi, a avoué : « Cette loi ne garantit pas assez de contrôle. La capacité d'intrusion de ce texte est énorme. Notre vie ne sera plus la même avant et après. Car tout ce que nous dirons sera contrôlé. Cette loi peut permettre une police politique comme nous n'en avons jamais vu ».
La mise en place de la loi sur le Renseignement, comparée ouvertement dans la presse au Patriot Act américain, est un avertissement pour la classe ouvrière.
Nous savons depuis les révélations d'Edward Snowden que le Patriot Act a servi de couverture légale pour un appareil de surveillance massif en violation des droits constitutionnels des Etats-Unis. Cet appareil vise à collecter, stocker et passer en revue les communications personnelles et politiques du peuple américain et de milliards d'autres gens sur toute la planète, derrière le dos de la population américaine et hors de tout contrôle démocratique.
Ces mêmes calculs fondamentaux régissent l'application de la loi sur le Renseignement en France, où la bourgeoisie rompt avec la légalité comme aux Etats-Unis. Terrifiée par le risque d'une explosion sociale de la classe ouvrière en réponse à ses politiques impopulaires d'austérité et de guerre, la bourgeoisie tente de préparer l'installation d'un Etat policier.
A la suite des attentats contre Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher à Paris, par des membres des réseaux islamistes instrumentalisés par le gouvernement français pour faire la guerre en Syrie, l'Etat a déployé un dispositif d'une dizaine de milliers de militaires sur le territoire français. D'autres mesures ont été mises en place, comme des opérations anti-terroristes dans les écoles et les prisons. A présent, l'élite dirigeante tente de légaliser ses opérations de surveillance profondément impopulaires.
Anthony Torres