La troisième Assemblée des assemblées des Gilets jaunes s'est tenue ce week-end, à Montceau-les-Mines. Près de 700 personnes se sont réunies pour discuter de l'avenir du mouvement. Une belle affluence, et des discussions animées, qui prouvent que le mouvement est bien vivant. Une priorité : le soutien au référendum sur la privatisation d'Aéroports de Paris.
Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire), reportage
« C'est comme un escalier, il faut y aller marche par marche ! » Une heure avant le début de la troisième Assemblée des assemblées (ADA) des Gilets jaunes, ce samedi 30 juin, Philippe, venu de Bouguenais (Loire-Atlantique) était optimiste. L'objectif de ce rendez-vous à Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire) : coordonner les actions des militants et partager les différentes expériences locales. Un but ambitieux et compliqué, qui galvanise Philippe. « J'étais seulement observateur à Saint-Nazaire [la deuxième ADA, en avril 2019]. Cette fois, j'ai des choses à dire », lance-t-il, tout sourire.
Chaque groupe local de Gilets jaunes pouvait (s'il le souhaitait et s'il en avait les moyens financiers, logistiques et humains) envoyer une délégation de quatre personnes maximum pour porter la parole du groupe au sein de l'ADA. 246 délégations étaient présentes ce week-end, à Montceau-les-Mines. Elles étaient généralement composées de deux délégués autorisés à s'exprimer en assemblée et en groupe de travail, et de deux observateurs.
Six pistes de réflexion étaient proposées aux participants : le référendum d'initiative partagée (RIP) contre la privatisation d'Aéroports de Paris, la lutte contre le capitalisme, les assemblées citoyennes locales, les mobilisations à venir, le système des ADA et la convergence des luttes. Le samedi matin, les Gilets jaunes ont été répartis par tirage au sort dans les différents groupes de travail. Une bonne idée, d'après Sylvain, Gilet jaune de Montreuil : « Ça évite que les gens qui ont un capital, un savoir, une expertise sur un sujet précis aillent en tant que maître de conférence dans le groupe qui leur est cher, observe-t-il. Ça n'aurait aucun intérêt puisqu'on reproduirait ce qu'on ne veut pas, à savoir des systèmes d'experts et non l'intelligence collective qu'on a développée ici. Il y a beaucoup plus d'effervescence des idées par le tirage au sort. »
« Les gens sont démobilisés, on va les relancer »
Des idées, il y en a beaucoup, c'est vrai. Des opinions aussi. Dans le groupe du travail sur le RIP, basé sous une tente où la température augmente de minute en minute, la discussion est intarissable. Christiane témoigne que les personnes qui ne sont pas habituées aux outils numériques ont du mal à s'inscrire à la pétition pour le référendum d'initiative partagée contre la privatisation d'ADP. « On peut faire d'une part un tract qui indique qu'on [les Gilets jaunes] est contre la privatisation, et d'autre part un tract avec un formulaire pour aider les gens à s'inscrire », propose-t-elle. « Maintenant, les gens sont tous sur les écrans, renchérit timidement Sabrina. Je ne sais pas, je propose de faire une vidéo où l'on explique avec des mots simples pourquoi il faut signer la pétition. » Sergio, venu de Castries (Hérault), témoigne de son expérience. Dans sa ville, les Gilets jaunes ont installé une tablette sur un stand du marché, pour expliquer aux passants les enjeux du RIP, et les faire signer dans la foulée. Résultat : en une matinée, « il y a eu 19 votes ! » s'exclame-t-il.
Studieux, faisant fi de la canicule, les participants écoutent attentivement le vécu des autres. Et les volontés d'aller plus loin : d'après Franck, de Moselle, « il faut réintégrer cette notion de privatisation dans un ensemble. C'est pas que l'ADP, ce sont nos autoroutes qu'il faut récupérer ! » « Pour moi le RIP est une mise en place du RIC [référendum d'initiative citoyenne], ajoute Denis, Gilet jaune du groupe de Bellac (Haute-Vienne). Cela va permettre aux gens de s'investir vis-à-vis de ce qui se passe en France. Les gens sont démobilisés, on va les relancer. » La discussion se poursuit durant deux heures.
Vient le moment de la synthèse : les rapporteurs de tous les groupes ayant travaillé sur le même sujet mettent en commun leurs idées. Ils les présentent ensuite à l'ensemble des participants, en assemblée plénière, avec les rapporteurs des cinq autres thématiques.
Le samedi après-midi, les Gilets jaunes peuvent retourner dans le même groupe de travail que la matinée, ou en choisir un nouveau. Le but : approfondir et enrichir la synthèse proposée quelques heures plus tôt. La routine reprend. Chacun leur tour, les participants prennent la parole, donnent leur avis, et d'autres leurs répondent. « Ça fait du bien, c'est très enrichissant », se réjouit Sylvie, originaire du Lauragais (sud-ouest). « Ça rebooste, on reprend confiance en nous », acquiesce son ami Cyrille.
Mais lorsque la synthèse des précédentes synthèses doit être proposée en assemblée plénière, en fin de journée, les choses se corsent. La fatigue accumulée et la chaleur étouffante du gymnase du Pouloux n'aidant pas, les disputes commencent. « Ce n'est pas ce qu'on a dit en groupe de travail ! » lance un Gilet jaune. « On s'écoute, on ne crie pas », répètent inlassablement les modérateurs. Dur dur de canaliser près de 700 personnes qui débattent avec toute leur fougue, leur envie, et parfois leur ego.
Difficile de débattre à 700 personnes
Le dimanche, les participants sont invités à voter pour ou contre les synthèses des synthèses. Est-ce que les Gilets jaunes font campagne pour le RIP ? Oui, votent-ils à la majorité. Grâce à des outils pensés pour cet objectif : le tractage, la signature à l'aide de tablettes, mais aussi le porte-à-porte, la communication par les panneaux publicitaires, les médias indépendants, l'interpellation du CSA pour organiser un débat public... Principalement dans le but d'utiliser le RIP pour enfin, un jour, obtenir le fameux RIC. La synthèse est adoptée sans souci.
Les déboires s'enchaînent ensuite. La synthèse sur le capitalisme génère une longue discussion, se concluant par un vote : « Doit-on sortir du capitalisme ? » Leur réponse est oui, confirmant la position anticapitaliste adoptée à l'ADA de Saint-Nazaire. Mais la discipline affichée jusque-là disparaît progressivement. La synthèse sur le fonctionnement des ADA provoque de nouveaux désaccords affichés. Certains souhaitent qu'un comité aide les futurs organisateurs de la quatrième ADA à préparer la manifestation, d'autres estiment qu'il ne faut pas rentrer dans une bureaucratie qu'ils ont l'habitude de dénoncer. « J'aimerais bien qu'on discute de choses concrètes et organisationnelles, avouait quelques heures plus tôt Samuel, Gilet jaune du groupe de Saint-Laurent-du-Var (Alpes-Maritimes). Il faut présenter des outils, et il faut aussi une certaine verticalité au mouvement. Si une proposition se retrouve noyée dans un texte parce que personne ne l'a pris en main pour la travailler, on aura la même discussion à la prochaine ADA. » Les participants quittent provisoirement la salle, pour fumer une cigarette ou changer d'atmosphère. « C'est long et chiant, dit en riant une Gilet jaune. Ils jouent sur les mots. »
« Contre la privatisation d'ADP »
Après de nouvelles discussions, les Gilets jaunes s'accordent pour affirmer que le mouvement veut converger avec toutes les luttes sociales : celles des chômeurs, des personnels en grève, des syndicats, des défenseurs de l'environnement... L'axe sur les assemblées citoyennes locales est balayé rapidement, sans être voté. Les Gilets jaunes retrouvent leur énergie au moment d'évoquer les actions de mobilisation à venir. Même si un consensus ne semble pas avoir été trouvé (les médias étaient exclus de la discussion sur les mobilisations, ils recueillaient les témoignages à la sortie de la salle) entre ceux qui souhaitent bloquer et ceux qui sont contre, les participants affichent une volonté sans faille d'occuper le terrain pendant l'été, afin de continuer à lutter et rendre visible leur engagement.
« C'est un bilan extrêmement positif pour cette ADA, estime Elsa, du groupe organisateur de Montceau-les-Mines, à la fin du week-end. Par rapport aux précédentes ADA, on a abordé des sujets plus d'actualité, comme le RIP. On a abordé des choses concrètes contre la privatisation de l'ADP et sur les actions à venir. C'est pas encore hyper carré mais on a donné des outils de travail, des pistes pour avancer. Ça fait seulement sept mois qu'on existe, c'est la troisième ADA. Il faut laisser le temps au temps. »
Sourire fatigué aux lèvres, les Gilets jaunes se succèdent pour saluer Elsa et le reste de l'équipe organisatrice, les remerciant vivement et leur lançant « à bientôt ». C'est sûr, ils se reverront. Le lieu de la quatrième ADA n'a pas encore été officiellement voté, même si une préférence pour la ville de Montpellier semble émerger. Elle aurait lieu pendant la deuxième moitié du mois de septembre. D'ici là, Frédéric, Gilet jaune venu d'Angers a une recommandation pour le mouvement : « Il faut arrêter nos divergences, il faut y mettre de l'amour. C'est sur la bonne voie, mais il y a encore du travail. »