Benedikt ARDEN
Les élections européennes arrivent à grands pas et déjà les prédictions indiquent que ce que l'établissement appelle aujourd'hui « les populismes » risquent fort bien de faire des avancées notables un peu partout dans les pays d'Europe. Il faut aussi dire que le mode de scrutin proportionnel à un seul tour (celui qui a cours dans ces élections) est à l'avantage (1) de ce genre de formation politique et que le bilan général de l'Union européenne et des partis qui la soutiennent sont très mauvais.
Pour ce qui est du cas français, les prédictions laissent entendre que l'ex-FN, le « Rassemblement national » (RN), pourrait bien dépasser la liste électorale du parti présidentielle (LREM). Serait-ce l'effet du mouvement des « Gilets jaunes » qui en serait la cause ? Malgré ce qu'en disent les macronistes, il semblerait que non, et ceci pour plusieurs raisons. D'abord parce que le plébiscite pour le RN est depuis des années dans une pente montante (2) assez stable. Ensuite parce que le RN a été assez discret sur son soutien au mouvement et ne s'est fait l'écho de ses revendications qu'à la marge.
Rappelons que la stratégie électorale du RN se concentre désormais surtout sur l'électorat de droite classique. Notamment l'aile droite du parti « Les Républicains » (LR). Depuis le départ de Florian Filippot et du congrès de 2018, le RN a plutôt délaissé les thématiques sociales et souverainistes, qui le caractérisaient depuis quelques années, au profit d'un positionnement nationaliste conservateur et libéral (dédiabolisation oblige !).
En réalité, le coude à coude entre la LREM et le RN s'explique essentiellement par la stratégie opportuniste que le parti présidentiel utilise et par la mobilisation de son électorat. Notons que la stratégie de Macron est à peu près la même que celle du RN sur un point. Soit celui de forcer la division de l'offre politique en deux blocs qui ne correspond plus tout à fait au classique « gauche contre droite ».
Pour les machinistes, il s'agit surtout de faire mousser l'opposition entre les « progressistes (3) » et les « populistes (4) » et d'organiser médiatiquement la promotion du RN, afin de les laisser s'accaparer une partie de l'électorat de droite. De cette façon, les stratèges de la LREM espèrent sans doute affaiblir la droite (LR), encore relativement haut dans les sondages (+/- 15%), et ainsi capitaliser un maximum sur la peur du RN (5). Parce que, ne l'oublions pas, le duel LREMRN est le souhait le plus cher de Macron, car le fait d'avoir un RN fort lui évite d'avoir à faire campagne sur son bilan plus que trouble, étant donné que la peur de l'extrême droite à elle seule suffit à mobiliser une bonne partie de l'électorat qui lui est normalement hostile (pensons au 2e tour de l'élection présidentielle !).
Le second point à souligner est la mobilisation de l'électorat macroniste. Si le mouvement des « Gilets jaunes » a rendu espoir à beaucoup de gens de la gauche radicale, c'est qu'il a démonté que le peuple n'est pas aussi apathique que certains pouvaient le croire. Ce que les « Gilets jaunes » ont démonté, par leur résistance acharnée et par le contenu positif de leurs revendications (6), est qu'il existe encore une grande force d'opposition sociale dans cette portion du peuple, non partisan et politiquement inexploité.
Mais justement, l'autonomie du mouvement, celle qui explique la grande unité qui règne parmi ses rangs, est aussi sa faiblesse sur le plan électoral, puisqu'aucun parti d'opposition ne représente vraiment le mouvement. Ce qui fait que les forces d'oppositions à Macron sont, d'un point de vue partisan, plus divisé que jamais ! À contrario, l'électorat macronien reste plus que jamais uni derrière le président. Ceci, justement, en raison du mouvement de « gilets jaunes » et malgré la violence politique et les affaires qu'il l'accable ! C'est un paradoxe probablement dur à digérer pour l'opposition, mais, eu égard à la force du mouvement, il doit être analysé comme tel.
Notons, en dernier lieu, que l'abstention risque d'être encore une fois très élevée (certains évoquent une abstention dépassant les 60%) et que celle-ci touchera surtout l'électorat de gauche, ce qui n'aidera pas la campagne de la France insoumise (FI) et détruira probablement pour de bon ce qui reste du parti socialiste.
En résumé, nous avons présentement un climat social explosif et normalement très favorable à la gauche radicale en France, mais c'est ironiquement l'extrême droite et le parti gouvernemental qui semblent en tirer profit. Évidemment, le résultat estimé du 26 mai prochain ne doit pas être exagérément dramatisé, puisque le parlement européen est loin d'avoir de grands pouvoirs. Cependant, le coût le plus dur risque de se faire ressentir au niveau du moral des forces sociales, puisque toutes les conditions sont normalement réunies pour la porter au pouvoir.
De plus, la nouvelle division politique, voulue par le pouvoir macroniste, entre ces soi-disant « progressistes » et « populistes » enterre les positions socialistes et déplace le positionnement de la gauche radicale dans une catégorie commune avec l'extrême droite. Voir, pire encore, en les reléguant en soutien de marge à sa politique européiste et néolibérale.
Ce saccage idéologique doit donc impérativement être stoppé. Mais, pour ce faire, il n'y a pas de formule magique, si ce n'est de continuer le travail de constitution d'un mouvement politique de grande ampleur en symbiose avec celui qui a présentement cours. Mais comme le mouvement est fort du fait d'être justement apartisan et que la création d'un parti de « gilets jaunes » est actuellement une bien mauvaise idée, c'est encore dans la persistance des mobilisations de rue que réside leur meilleure option à court terme. Et ceci, malgré les violences du pouvoir.
Pour ce qui est de la gauche radicale, la FI en l'occurrence, un travail de terrain redoublé et une mobilisation maximale de son électorat semblent être la seule option gagnante à court terme, même si certains travers me semblent encore à corriger. Notamment en ce qui concerne la question de l'adhésion ou non à cette Union européenne, qui n'est en définitive qu'un traité de libre-échange XXL qui se prend pour un État. Je sais que l'idée est surtout d'aller chercher l'électorat socialiste de « gauche », qui s'illusionne encore sur l'UE. Mais cela rebute également d'autres gens, plus lucides sur la question, qui s'égareront dans les petits partis, voir dans l'abstention.
La seule voie qui me parait viable à moyen long terme, est de constituer un mouvement de masse large et uni par un programme à la fois minimal (afin d'éviter une trop grande division) et socialement radical. Le programme présidentiel de la FI était à peu près dans cette veine, mais ce sont les vieux réflexes « antifascistes » de certains de ses membres qui posent problème. Notamment le rejet de personnalité populaire parmi les « Gilets jaunes », comme Étienne Chouard, ou sur de potentiels appels à faire « barrage » au RN (donc, appeler à voter Macron). Rappelons que la meilleure façon de décrédibiliser le RN reste encore de le laisser gouverner (7) !
De toute façon et au vu de la politique quasi fasciste de Macron/Philippe/Castaner, il serait tout à l'honneur de la gauche radicale de refuser de choisir entre la peste et le choléra !
Benedikt Arden, mai 2019
[1] Notamment, parce qu'il favorise le vote de conviction et rend difficile le vote utile contre le parti qui est le plus redouté.
[2] J'en ai expliqué les rouages dans mon article publié avant l'élection de Macron.
[3] Les néolibéraux de LREM se considèrent ici comme « progressistes », puisqu'ils voient les services publics, les syndicats, la redistribution des richesses, etc. comme des « conservatismes ».
[4] Pour ce qui est du RN, la division de la politique entre « mondialistes » contre « patriotes/nationaux » est connue depuis longtemps.
[5] Peur de moins en moins efficace, il faut le dire, et qui pourrait bien finir par le mettre au pouvoir !
[6] Ce qui n'est pas le cas de la caricature de gilets jaunes que nous avons au Québec...
[7] Évidemment, je ne propose pas à ce que la FI soutienne le RN, mais bien de ne pas soutenir directement ou indirectement le parti présidentiel.