Ce 23 avril, la justice a interdit à un journaliste indépendant, Gaspard Glanz, de couvrir les manifestations de gilets jaunes le samedi, ainsi que les mobilisations sociales du 1er mai. Gaspard Glanz a été interpellé place de la République lors de l'acte 23 des gilets jaunes à Paris, le 20 avril, puis placé en garde à vue au motif d'avoir adressé un doigt d'honneur à un policier, qui le repoussait alors que le journaliste tentait de s'adresser à son supérieur après avoir reçu une grenade de désencerclement dans les pieds.
« Gaspard Glanz est interdit de paraître à Paris tous les samedis et le 1er mai jusqu'à l'audience du 18 octobre. Nous regrettons cette décision qui porte atteinte à la liberté de la presse et à celle de travailler. Nous allons la contester », ont déclaré ses avocats, Raphaël Kempf et Aïnoha Pascual. « Je fais confiance à mes avocats pour aller librement samedi prochain ou le 1er mai, mais avec ou sans autorisation, j'y serai, quelles qu'en soient les conséquences. Parce que je suis journaliste en France, dans un pays de liberté », a dit Gaspard Glanz, interrogé par Reporterre à la sortie de sa garde-à-vue.
Vidéo de l'arrestation de Gaspard Glanz
Un autre journaliste indépendant, Alexis Kraland, a lui aussi été arrêté et placé en garde à vue pendant huit heures ce 20 avril. Les deux reporters se sont fait une spécialité de couvrir manifestations et mouvements sociaux, de Notre-Dame-des-Landes aux gilets jaunes, en passant par les évacuations de campements de réfugiés, et participant également à documenter les violences policières grâce à leurs images.
Silence assourdissant du ministre de la Culture et de la Communication, censé soutenir la liberté de la presse
Une vingtaine de rédactions ont apporté « leur plein soutien à Gaspard Glanz, empêché de couvrir les prochaines manifestations parisiennes, c'est-à-dire de travailler et d'informer ». Leur texte, intitulé « en soutien à notre confrère », fait suite à une controverse contestant la qualité de journaliste à Gaspard Glanz, au prétexte que la précarité de son statut ne lui permette pas de bénéficier d'une carte de presse. Les sociétés de journalistes « déplorent également le silence assourdissant du ministre de la Culture et de la Communication, pourtant censé soutenir la liberté et l'indépendance de la presse ».
Depuis le début du mouvement des gilets jaunes, des journalistes ont été à plusieurs reprises insultés ou molestés par certains manifestants. Le pouvoir politique et les forces de l'ordre ne sont pas en reste : depuis le 17 novembre, qui marque le début du mouvement, au moins 45 journalistes et photographes ont été blessés par les forces de l'ordre, dont quatorze à la tête, notamment par des tirs de Lanceur de balle de défense (LBD). « Yann Foreix, un photographe du Parisien a reçu un tir de LBD dans la nuque à une distance de tir inférieure à celle réglementaire. Il a perdu connaissance et a été évacué par les pompiers vers l'hôpital. Un autre photographe, Thomas Morel-Fort, a eu la main cassée par un tir de LBD. Des journalistes, dont Véronique de Viguerie et Boris Allin, se sont vu confisquer leur matériel de protection », rappelle le photographe Yann Castanier, sur Street Press.
Des journalistes « confrontés pendant le mouvement des gilets jaunes à un niveau de violence inédit en France »
Ce climat particulier inquiète l'association Reporters sans frontières : « L'année 2018 a vu le nombre des attaques et des pressions contre les médias d'information et contre les journalistes croître dangereusement. Insultés, menacés, agressés, voire blessés par des manifestants ou par les balles de défense des forces de l'ordre, des journalistes ont été confrontés pendant le mouvement des gilets jaunes en novembre 2018 à un niveau de violence inédit en France. Mécontents de la couverture du mouvement, certains groupes de gilets jaunes ont cherché à bloquer des imprimeries pour empêcher la distribution de médias. »
Défiance, voire insultes, à l'encontre de journalistes, de la part de personnes « mécontentes », ne peuvent être cependant mises sur le même pied que l'attitude du pouvoir politique, des institutions et de l'administration vis-à-vis de la liberté d'informer. Et sur ce point, le gouvernement semble se crisper. Le 4 février, la rédaction de Médiapart s'était opposée à une tentative de perquisition, suite à de nouvelles révélations dans l'« affaire Benalla ». La loi sur le « secret des affaires », adoptée à l'été 2018 par la majorité, permet d'entraver de manière bien plus discrète les enquêtes journalistiques. Ce « secret des affaires » a déjà été invoqué à deux reprises, dans l'affaire du Levothyrox, puis dans le scandale des implants files. En ciblant photographes et journalistes qui essaient d'exercer leur métier - photographier et filmer - dans le cadre de manifestations de rue, le gouvernement viserait-il à instaurer graduellement un « secret de la répression » ?
Ivan du Roy
Photo : Place de la République à Paris, Acte 23 des gilets jaunes, le 20 avril / © Serge d'Ignazio
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