Samedi 20 juillet, une manifestation pour la justice et la vérité s'est déroulée à Beaumont-sur-Oise, là où Adama Traoré a été tué par des gendarmes il y a trois ans. Des Gilets jaunes et des écologistes, notamment, ont rejoint les membres du collectif pour Adama, et les victimes des crimes policiers.
Beaumont-sur-Oise (Val d'Oise), reportage
« Nous aurions aimé ne pas refaire cette marche. Nous aurions préféré être devant la justice pour mon frère ». Samedi 20 juillet, trois ans quasiment jour pour jour après la mort d'Adama Traoré dans la cour de la gendarmerie de Beaumont-sur-Oise après sa violente interpellation, sa sœur Assa prend la parole devant les journalistes venus assister à la marche en mémoire du jeune homme. Charismatique et déterminée, la jeune femme devenue le visage de la lutte contre les violences policières en France déroule son discours patiemment élaboré à la faveur d'un combat dans lequel elle s'est dévouée corps et âme. Même si aujourd'hui, son message a pris une nouvelle ampleur, bien au-delà du cas particulier de sa famille. « Nous avons mis à nu un système d'oppression. Et nous sommes invités à en parler dans le monde entier. Cette marche n'est pas que celle de la famille Traoré, c'est votre marche à tous et toutes. »
Son aura médiatique profite d'ailleurs à d'autres familles de victimes. Celle de Lamine Dieng, décédé à Paris dans un camion de police suite à une interpellation à Paris. Celle de Babacar Gueye, tué de 5 balles par les policiers à Rennes. Ou encore d'Angelo Garand, 37 ans, abattu lors de son interpellation par le GIGN près de Blois. De Gaye Camara tué par un policier à Epinay. De Mathis 18 ans et Selom 20 ans, morts percutés par un train à Lille alors qu'ils échappaient à un contrôle. De Zineb Redouane, octogénaire morte à cause d'un tir de grenade lacrymogène lors d'une manifestation. Des drames qui trouvent à Beaumont-sur-Oise un écho qu'ils n'auraient nulle par ailleurs.
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Depuis le début, le comité Adama a également eu l'intelligence de s'ouvrir, de chercher des alliés et de soutenir d'autres luttes. Celle des sans-papiers, des postiers et postières du 92, des étudiants, des cheminots...Et bien sûr la plus récente : celle des Gilets jaunes. Le comité a appelé à rejoindre le mouvement dès le 1 er décembre dernier. « On nous a demandé ce qu'on faisait avec eux. Nous avons refusé de participer au lynchage médiatique des Gilets jaunes qui étaient traités de fachos. Nous sommes allés les voir, et nous avons réalisé que c'était des gens comme nous. On s'est reconnus dans leur mouvement. Nous pouvions leur apporter notre expérience. Aujourd'hui, c'est le match retour : ils viennent nous soutenir dans nos quartiers », se réjouit Youcef Brakni, membre du comité Adama.
Lors des prises de paroles, au terme de la manifestation qui a réuni environ trois mille personnes, le sulfureux Maxime Nicolle, alias Fly Rider, est monté sur scène pour s'excuser : « Je veux vous dire pardon. Pardon de ne pas avoir su et de ne pas avoir entendu. Pendant des années vous avez perdu des frères et des sœurs, et on s'en foutait. Et puis ça nous est arrivé. Ils font tout pour nous diviser. Est-ce que la convergence est possible ? Est-ce qu'on peut tous ensemble lutter pour que ça s'arrête ? J'espère qu'on se battra, et qu'on réussira. »
Dans le public, les nombreux Gilets jaunes - dont Priscillia Ludosky, autre figure médiatique du mouvement - applaudissent à tout rompre. Ils sont venus de Paris, région parisienne, et de toute la France, notamment de Saint-Nazaire, où s'est tenue la seconde Assemblée des Assemblées, en avril. « Il est important de montrer qu'on est là et qu'on soutient cette cause fortement. On ne touche pas impunément à un fils ou à une fille du peuple. Qu'on soit syndicaliste, des quartiers populaires ou Gilets jaunes, on doit unir nos forces contre cette répression utilisée contre tous les gens qui luttent », explique Espéranza. S'ils subissent eux aussi la violence, les Gilets jaunes savent qu'il est indécent de la mettre sur un pied d'égalité avec celle subie depuis des dizaines d'années par les habitants des quartiers populaires. Une humilité appréciée par les familles. Lassana Traoré, l'un des frères d'Adama, s'est ému par une telle mobilisation : « Aujourd'hui je comprends un peu ce que le mot convergence veut dire ».
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Certaines organisations écologistes ont également signé l'appel à manifester : ANV COP-21, Désobéissance Écolo Paris, Deep Green Resistance, Extinction Rebellion ainsi que les membres du collectif pour le Triangle de Gonesse. Quel rapport entre la lutte contre Europacity, futur méga-centre commercial, et les violences policières ? « Notre combat à Gonesse va sûrement nous amener à nous confronter avec la police », augure François Hubert, membre du collectif. « Mais surtout, nous connaissons les jeunes des quartiers de Gonesse qui soutiennent le comité Adama. Et au final, nous luttons tous pour le bien commun. A Gonesse contre un projet inutile et à Beaumont pour les libertés publiques. »
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Un peu plus loin, un groupe de jeunes membres du collectif Désobéissance Écolo Paris, qui a publié sur sa page Facebook un appel à participer à ce rassemblement. « On a une dette envers ces quartiers qui subissent la violence depuis des années sans que personne ne s'en préoccupe », explique Tristan (prénom d'emprunt), qui participe à la marche pour la première fois. Le lien entre écologie et répression est pour lui évident, à Bure, à Notre-Dame-des-Landes et aussi à l'étranger. « Dans certains pays, les minorités autochtones subissent une double peine : on inflige des dégâts à leurs territoires avec des projets climaticides et elles sont réprimées violemment lorsqu'elles essaient de s'y opposer. De toute façon, dès que tu menaces l'ordre établi, tu es réprimé. Les Gilets jaunes, c'est un mouvement écolo. Ce sont eux qui ont inventé le slogan 'Fin du monde fin du mois même combat'. » Il estime que les participants de cette marche se rassemblent sous un dénominateur commun : celui de la lutte contre le système oppressif. « Quand tu te bats contre le racisme d'Etat ou contre les expulsions, tu ne mets pas forcément le mot 'anticapitalisme' derrière, mais c'est la même bataille ».
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Au milieu des Gilets jaunes, deux femmes portent leur chasuble ANV Cop21. Camille, qui participe à la marche pour la première fois, demeure consciente qu'il est difficile de comparer la répression subie par les militants écologiques à cause de leurs convictions politiques et celle, systémique et quotidienne, à l'encontre ces jeunes de banlieues : « Je ne vais pas dire que je m'identifie car je suis blanche et je n'ai jamais été arrêtée pour un contrôle. Mais c'est important pour nous d'être là. On se réveille peut-être un peu tard, mais vaut mieux tard que jamais ». À son côté, Emma fait partie des personnes interpellées pour avoir décroché des portraits d'Emmanuel Macron. « Je connaissais la lutte menée par la famille Adama mais je n'étais jamais venue faute de temps. De plus, c'est délicat de s'identifier à eux, car on ne subit pas les mêmes préjudices. Mais on sent que l'Etat perd pied face à tous ces gens très différents qu'il veut séparer et qui sont en train de converger et de se rassembler ».
« Un pays sans justice est un pays qui appelle à la révolte »
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Pour la première fois, la Ligue des droits de l'Homme et Amnesty international France ont participé à cette marche. « Sans le comité Adama, leur abnégation et leur rage d'obtenir justice l'affaire serait classée comme beaucoup d'autres. Ce sont des défenseurs des droits humains au-delà de leur cas personnel. Car on sait qu'en France, il n'y a pas de justice indépendante dès qu'on parle de violences policières. On demande la création d'un organe indépendant du ministère de l'intérieur qui soit chargé d'enquêter sur ce sujet », explique Nicolas Krameyer, responsable du programme Libertés chez Amnesty international France.
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Dans le cortège, on peut lire sur les t-shirts des participants « Sans justice, vous n'aurez jamais la paix ». Beaucoup savent que le chemin vers la vérité reste semé d'embûches. En mars dernier, la famille Traoré a révélé les conclusions d'une cinquième expertise remettant en cause les conclusions avancées jusqu'alors sur la mort d'Adama. Quatre professeurs de médecine, parmi les principaux spécialistes en France des maladies citées dans le dossier, ont balayé les conclusions des précédentes expertises et dénoncé les conditions d'interpellation.
Le juge chargé de l'enquête demande aujourd'hui une sixième expertise. « Mais il ne trouve pas d'expert qui réussirait à contredire les résultats des chercheurs que nous avons réunis », estime Assa Traoré. Patiente et pugnace, la jeune femme promet de ne rien lâcher : « Un pays sans justice est un pays qui appelle à la révolte ».