Par Bill Van Auken
10 juillet 2019
L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) a confirmé lundi que l'Iran a dépassé la limite imposée par l'accord nucléaire de 2015 sur le niveau auquel il est autorisé à enrichir l'uranium.
L'Iran avait annoncé le dépassement de la limite dimanche. C'est une mesure délibérée qui vise à faire pression sur les signataires restants de l'accord nucléaire en particulier l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni. L'Iran tente de les presser de prendre des mesures substantielles pour contrer les sanctions économiques paralysantes des États-Unis qui équivalent à un état de guerre.
Washington a pris une série de mesures qui ont déclenché la menace d'une guerre dans le golfe persique. Cela a fait naître le spectre d'une confrontation militaire catastrophique dans une région. Le golfe persique est à l'origine d'un tiers du gaz naturel et d'un cinquième du pétrole mondial.
En mai 2018, l'Administration Trump a unilatéralement abrogé l'accord, connu sous le nom de Plan d'action global conjoint (Joint Comprehensive Plan of Action - JCPOA). Téhéran et six grandes puissances mondiales les États-Unis, la Chine, la Russie, la Grande-Bretagne, la France et l'Allemagne avaient conclu l'accord. Trump a non seulement rétabli les sanctions nucléaires suspendues par l'accord, mais il a également mis en œuvre une série de mesures encore plus punitives.
L'augmentation du niveau d'enrichissement qui était plafonné à 3,67 pour cent et qui est passé à 4,5 pour cent, selon les autorités iraniennes fait suite à l'annonce faite le mois dernier par l'Iran qu'il dépassait délibérément le plafond de 300 kg imposé par le JCPOA à ses stocks d'uranium enrichi. Le pays est censé exporter toute quantité excédentaire, mais le régime de sanctions américaines de «pression maximale» a éliminé cette option.
Téhéran a indiqué qu'elle imposera un autre délai de 60 jours aux puissances européennes pour prendre des mesures concrètes afin de s'assurer que l'Iran reçoive l'allégement des sanctions. L'accord lui a promis un tel allégement en échange de sa soumission à des limites draconiennes sur son programme nucléaire.
Behrouz Kamalvandi, porte-parole de l'Organisation iranienne de l'énergie atomique (AEOI), a déclaré lundi à l'agence de presse officielle ISNA que si cette aide n'est pas accordée, l'Iran pourrait prendre une troisième mesure pour installer davantage de centrifugeuses et enrichir l'uranium à 20 pour cent.
L'augmentation de 3,67 pour cent à 4,5 pour cent est largement symbolique. Toutefois l'augmentation à 20 pour cent placerait le programme nucléaire iranien en mesure d'atteindre plus rapidement le niveau d'enrichissement de 90 pour cent. C'est le niveau nécessaire à produire de l'uranium de qualité militaire.
Téhéran a constamment nié, avant et après la signature de l'accord de 2015, n'avoir jamais cherché à se doter d'armes nucléaires ou utilisé son programme nucléaire à des fins autres que pacifiques.
Les dernières actions de l'Iran ont provoqué une vague de nouvelles menaces de la part de hauts responsables américains. Le Président, Donald Trump, a déclaré lundi à la Maison-Blanche que «l'Iran ferait mieux d'être prudent». En même temps il a suggéré que l'augmentation minimale de son enrichissement d'uranium visait à obtenir une arme nucléaire.
De même, le secrétaire d'État américain Mike Pompeo a tweeté que «la dernière expansion du programme nucléaire de l'Iran conduira à un isolement plus profond et des sanctions supplémentaires.»
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Le vice-président Mike Pence prend la parole lundi[Crédit C-Span]
Le vice-président Mike Pence, s'est exprimé devant un auditoire sympathique d'évangéliques de droite lors de la conférence Christians United For Israel à Washington lundi. Il a déclaré: «L'Iran ne doit pas confondre la retenue américaine avec un manque de détermination américain...», il a ajouté, «les États-Unis d'Amérique et nos militaires sont prêts à protéger nos intérêts et à protéger notre personnel et nos citoyens dans la région.»
Un texte préparé publié avant le discours décrivait l'Administration américaine comme «disposée à parler» avec Téhéran. Toutefois, Pence a omis cette ligne dans ses remarques.
Le mois dernier, Trump a annulé les frappes aériennes qui auraient pu déclencher une escalade vers une guerre à grande échelle à seulement 10 minutes du lancement des bombes et des missiles. Trump avait ordonné le bombardement américain en réponse à l'Iran qui avait abattu un drone espion Golden Hawk valant 200 millions de dollars que Téhéran avait accusé d'avoir violé l'espace aérien iranien.
La menace d'une conflagration militaire demeure élevée. L'Iran est entouré de garnisons américaines renforcées abritant des dizaines de milliers de soldats américains. Il y a aussi une armada navale comprenant un groupe d'assaut amphibie transportant dans le golfe persique. Enfin, une unité expéditionnaire marine et une force des chasseur-bombardiers B-52 à capacité nucléaire sont déployées dans la région.
La réponse des puissances européennes à la dernière action de l'Iran a été d'appeler Téhéran à revenir sur ses violations de l'accord de 2015. En même temps, ils ont résisté aux demandes de Washington de réagir par la réimposition immédiate de sanctions.
Le président français Emmanuel Macron renvoie son conseiller diplomatique en chef à Téhéran pour des pourparlers sur l'accord nucléaire. Le Palais de l'Élysée a déclaré lundi qu'Emmanuel Bonne s'envolerait mardi pour l'Iran, son deuxième voyage en quelques semaines.
Berlin, pour sa part, a attribué à Téhéran la responsabilité de la crise croissante qui entoure l'accord nucléaire. «La balle est clairement dans le camp iranien», a déclaré lundi un porte-parole du ministère allemand des affaires étrangères lors d'une conférence de presse. «Nous voulons préserver l'accord. Pour cela, les parties doivent s'y tenir.»
La réalité, cependant, est que Téhéran n'a aucune raison de «s'y tenir». Le régime de sanctions américain a déjà privé l'Iran de la promesse de normalisation économique qu'on lui avait faite en échange de ses vastes concessions nucléaires.
Alors que les puissances européennes ont annoncé le mois dernier l'activation d'Instex (Instrument to Support Trade Exchanges), un mécanisme commercial destiné à échapper aux sanctions américaines en contournant le système financier basé sur le dollar, rien n'indique que la mesure entraînera une augmentation significative des exportations de pétrole. En raison des sanctions américaines, ces exportations sont tombées à 300.000 barils par jour (bpj), contre plus de 2,5 millions en avril.
Pour sa part, la Grande-Bretagne reste mêlée à un conflit acharné avec Téhéran au sujet de son acte de piraterie d'État et de son agression militaire. Le 4 juillet, lors de l'arraisonnement d'un superpétrolier iranien chargé de pétrole dans ce que l'Iran affirme être des eaux internationales près du détroit de Gibraltar, Londres a prétendu de façon absurde qu'elle avait agi à la demande de la police de Gibraltar dans le cadre des sanctions économiques de l'Union européenne qui visent à réduire les expéditions de pétrole vers la Syrie.
Toutefois, c'est évident que c'est Washington qui a téléguidé l'action dans le but d'intensifier l'affrontement militaire avec l'Iran.
Les autorités iraniennes ont insisté sur le fait que le pétrolier n'était pas destiné à la Syrie, dont le terminal ne pouvait même pas accueillir un navire de sa taille. Elle a également reproché au Royaume-Uni et à toute autre puissance européenne de ne pas avoir le droit d'appliquer les sanctions de l'UE à l'encontre des pays non membres de l'UE.
Le chef du pouvoir judiciaire iranien, Hojatoleslam Seyyed Ebrahim Raisi, a exigé que le Royaume-Uni «livre immédiatement le pétrolier, sinon, il devra en subir les conséquences».
La menace de l'Iran de riposter en s'emparant d'un navire qui battait pavillon britannique a eu un résultat au Royaume-Uni, lundi. Basé à Londres, BP, le conglomérat énergétique a arrêté le voyage d'un pétrolier qui battait pavillon britannique dans le golfe Persique. Selon Bloomberg News, le pétrolier, le British Heritage, avait été à destination du terminal pétrolier irakien de Bassorah, mais il a fait demi-tour samedi, faisant escale au large des côtes de l'Arabie saoudite.
Entre-temps, Pékin et Moscou ont réagi à la dernière violation par l'Iran des termes du JCPOA en accusant Washington pour son abrogation unilatérale du traité.
Le ministre chinois des affaires étrangères, Geng Shuang, a déclaré lors d'une conférence de presse à Pékin: «La pression maximale exercée par les États-Unis sur l'Iran est la cause profonde de la crise nucléaire iranienne». Il a ajouté qu'«C'est évident que les brimades unilatérales sont devenues une "tumeur" de plus en plus grave et créent plus de problèmes et de crises à l'échelle mondiale.»
La Chine défie le régime de sanctions américain et devrait importer 200.000 barils par jour d'Iran.
De même, le porte-parole du Kremlin, Dmitry Peskov, a déclaré le soutien continu de la Russie au JCPOA. Il a décrit l'action de l'Iran sur l'enrichissement de l'uranium comme l'une des «conséquences» de la rupture de l'accord par le gouvernement Trump.
Le ministère russe des affaires étrangères a décrit comme une «bizarrerie ironique» la demande de Washington d'une réunion extraordinaire du Conseil des gouverneurs de l'AIEA, le 10 juillet. Le but sera de discuter de la violation par l'Iran d'un accord que les États-Unis eux-mêmes ont complètement renié. Moscou a souligné que les concessions de Téhéran dans le cadre du JCPOA n'avaient rien à voir avec d'autres accords internationaux. Notamment, le respect continu des accords de non-prolifération nucléaire ou d'autres protocoles que l'Iran a signés avec l'agence nucléaire internationale.
Autre signe des tensions provoquées par la campagne de Washington contre l'Iran, les États-Unis ont détenu et interrogé des membres de l'équipe iranienne de volley-ball masculin pendant quatre heures, samedi. L'équipe venait d'atterrir à l'aéroport international O'Hare de Chicago. Les États-Unis ont accueilli d'autres équipes nationales sans problème. Téhéran a déposé une protestation diplomatique officielle au sujet de l'incident de lundi auprès de l'ambassade de Suisse en Iran, qui représente les intérêts américains dans le pays. Le ministère iranien des affaires étrangères a déclaré que les États-Unis ne devraient plus accueillir de manifestations sportives internationales s'ils ne peuvent pas traiter les équipes équitablement.
(Article paru d'abord en anglais le 9 juillet 2019)